Un nouveau chapitre s’ouvre pour le Pavillon des Arts et du Design. Finis les rêves d’expansion à Los Angeles, Singapour ou Hong Kong. Des marchés s’avérant trop immature pour le premier, trop éloignés, donc peu rentables, pour les deux autres. Après une expérience malheureuse à New York en 2011 «Nous nous sommes fait voler le concept par The Salon», déclare-t-il sans ambages , Patrick Perrin, le fondateur du PAD, aspire à des relations solides et de longues durées. Depuis des années, il lorgne du côté helvète, qui offre selon lui, outre une proximité géographique et linguistique, «un vivier de grands collectionneurs». Le déclic est venu d’un déjeuner partagé en 2017 avec le marchand d’art installé à Genève Marc Blondeau, ex-président de Sotheby’s France, et Thomas Hug, le directeur d’Art Genève, lequel lui propose une association à l’occasion de la foire. «Nous avons la même conception du travail bien fait. Art Genève est un salon très sérieux, qui privilégie, comme nous, la qualité et la relation de confiance aux arguments marketing», explique-t-il. Une fois les détails logistiques réglés le PAD ne sera pas intégré à la foire en tant que section assimilée, mais aura droit à son espace à part entière au sein du Palexpo , le gros du travail a consisté à convaincre les exposants. Vingt-cinq au total, venant de France, de Belgique, du Royaume-Uni, de Suisse romande, d’Espagne et de Suède, ont accepté de participer à «l’aventure».
Jauge restreinte
«Nous n’en sommes qu’au tout début», commente Patrick Perrin à propos de cette réduction des effectifs par rapport aux éditions londonienne, jusqu’ici la Ferrari de l’écurie PAD, et parisienne. Ce resserrement autour des secteurs clés que sont l’art décoratif du XXe et le design contemporain évite notamment la surenchère de stands, qui se cumulent de fait avec ceux d’Art Genève, cette dernière s’étant réservé tout naturellement les beaux-arts. Seuls les deux joailliers parisiens Lorenz Bäumer et Walid Akkad, le petit nouveau, ainsi que la prestigieuse galerie suisse d’archéologie Phoenix Ancient Art, s’écartent de cette ligne programmatique. Beaucoup de leurs confrères de l’art tribal (comme les habitués Flak ou Ratton) sont retenus à la Brafa dont l’inauguration quelques jours avant cette première édition complique le calendrier. Quant aux autres fidèles de Paris et Londres qui ont décliné l’invitation, la plupart invoquent, à l’instar de la galerie Mouvements modernes, un emploi du temps trop chargé. «De nombreux exposants, anglo-saxons notamment, se sont montrés intéressés ; je les ai invités au dîner d’ouverture. Si le bilan est bon, ils seront là l’année prochaine», annonce Patrick Perrin. La cartographie, elle, reste franco-française à quelques exceptions près. Mais n’est-ce pas déjà le cas à Design Miami Basel, où les enseignes hexagonales affirment d’année en année leur supériorité numéraire ? «Curieux», en recherche de «nouveaux clients», «fidèles» à l’esprit du PAD et au travail «appliqué» de son directeur, les participants 2018 se disent conscients des «inconnues» du marché genevois tout en restant optimistes. Certains, comme la Galerie Italienne, profitent même de l’occasion pour lancer un nouveau concept de stand, mélangeant pièces de design italien et art contemporain (Spazio Tattile), ou encore choisissent Genève plutôt que Paris (Marcilhac).
Le classique pour caution
À l’image du Parisien Jacques Lacoste, qui propose sur son stand un «échantillon représentatif des artistes de la galerie», notamment une table de George Jouve dont on ne connaît aujourd’hui «qu’un seul exemplaire», les exposants sont restés sages. Pas d’angle thématique, aucune fioriture en vue. «Il s’agit de montrer des pièces de grande qualité, sans volonté de surprendre comme ça avait été le cas, par exemple, lors du dernier PAD Paris, où notre stand était dédié à l’art nouveau», s’explique le galeriste. Matières nobles (Damien Gernay) et lignes élégantes (Men Allen) chez l’éditeur de design contemporain Gosserez ; collection «signature» pour Maison Rapin et artistes phares André Sornay en tête chez Marcelpoil (Paris). Les valeurs sûres du goût «à la française» s’y mesureront aux créations suisses du XXe, Genève oblige. Ainsi le stand au style intentionnellement épuré de la galerie Marcilhac fait se côtoyer un bureau de Paul Dupré-Lafon, passé par l’ancienne collection Jacques Mostini, et de belles pièces uniques de Jean Dunand, né dans le Canton de Genève. Chez le Suisse Patrick Gutknecht, une paire de fauteuils crapaud de Jacques-Émile Ruhlmann et des appliques en bronze doré d’Armand-Albert Rateau au modèle identique à celles réalisées pour Jeanne Lanvin partagent la vedette avec un lampadaire «Tête de femme» en bronze d’Alberto Giacometti et des photographies, l’autre spécialité de la galerie. Bref, le choix du classique pour limiter les risques inhérents à toute première édition. Du côté des exceptions : Pierre Dumonteil et Armel Soyer (Paris), qui s’offrent respectivement l’audace, au sein d’une sélection éclectique, d’un focus sur le sculpteur animalier Jean-Marie Fiori et sur le designer Christopher Boots, qui vient tout juste de rejoindre la galerie.
La patine Art Genève
Une chose est sûre, cette première édition du PAD peut compter sur la réputation croissante d’Art Genève, qui a réussi à s’imposer sur l’échiquier des foires d’art contemporain depuis son audacieuse implantation dans la ville romande, en 2012. Car Genève, «où l’économie se porte bien», tient à nous rassurer le marchand suisse Patrick Gutknecht, n’est ni l’incontournable Bâle, ni encore Bruxelles et son irrésistible décontraction. La cité calviniste, bousculée dernièrement par l’affaire Rybolovlev/Bouvier un enfant du pays , a toujours brillé par sa discrétion. On loue d’ailleurs dans les allées d’Art Genève «l’esprit de salon». Ici pas de précipitation, mais la possibilité de passer du temps à parler des œuvres, comme le rappelle régulièrement à la presse son directeur, Thomas Hug. À cela s’ajoute une juste répartition entre galeries romandes et internationales entendez «plus juste qu’à Art Basel». Menus Plaisirs, le cercle des collectionneurs franco-suisses fondé en 2011 par le conseiller en art Frédéric Elkaïm, y invite ainsi tous les ans ses adhérents, guidés cette année par la galeriste française Catherine Issert. «Arriverons-nous à susciter l’intérêt des amateurs d’art moderne et contemporain», s’interroge Félix Marcilhac Jr ? Au vu de la situation privilégiée du PAD au sein de Palexpo (en face de l’entrée), il sera en tout cas impossible à quiconque d’en perdre une miette.