Le 28 septembre, l’INHA a accueilli un colloque organisé par l’Adagp, Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques. Y ont été discutés les enjeux liés à la traçabilité des œuvres d’art, qui concernent tant les artistes plasticiens que les conservateurs de musée et les marchands. Compte rendu.
L’auditorium Colbert était plein à craquer, signe que les enjeux sont importants autour du thème discuté, la traçabilité. Le terme non reconnu, mais toléré par l’Académie française désigne la possibilité de suivre le parcours d’un produit, de sa production à sa consommation. Il s’impose aujourd’hui dans le monde de l’art comme une nécessité. Des intervenants de qualité dans des domaines très variés ont proposé leurs solutions pour faire face au contexte global, dominé par la toute-puissance d’Internet et menacé par le trafic illégal.
Protection des artistes et des œuvres
L’une des principales menaces de la traçabilité s’appelle Internet, avec ses mille milliards d’images disponibles en quelques clics. Les artistes ne sont évidemment pas équitablement rémunérés pour la diffusion massive de leurs œuvres sur des sites tel Google Image, le droit de suite ne s’appliquant pas à ce domaine. Invention française de 1920, toujours balayé d’un revers de main par les deux premières puissances du marché de l’art les États-Unis et la Chine , le vieux droit de suite est devenu obsolète. Donc délaissé par les députés européens, qui ne lui voient plus guère d’avenir dans un monde régi par le «tout, tout de suite, maintenant et gratuitement» offert par le Net. Bien sûr, si le consommateur pense avoir accès à cette infinie galerie gracieusement, il se fourvoie : comme l’ont rappelé plusieurs intervenants, parmi lesquels le professeur en philosophie de l’art et de la culture Christophe Genin, la gratuité est illusoire. Pire : elle n’est pas souhaitable, car l’usager se doit de «rendre grâce» à l’auteur de l’œuvre photographiée. C’est une question de dignité. «Les artistes doivent se battre, et non plus seulement créer», regrette le plasticien Hervé Di Rosa. Si le maître de la figuration libre se méfie de la législation «jamais acquise», force est de constater que le témoignage de la députée des Hauts-de-Seine, Constance Le Grip, a donné bon espoir à l’assistance du colloque. Députée européenne de 2010 à 2017, elle a alors travaillé sur la révision de la directive de 2001 visant à moderniser le droit d’auteur en général pour l’inscrire, à l’échelle européenne, dans l’ère du digital. Dans son discours du 26 septembre dernier sur la refondation de l’Union européenne, qui a fait grand bruit, Emmanuel Macron a défendu le droit d’auteur, qui «n’a rien de ringard» et permet «la juste rémunération de toutes les formes de création». Un appui de choix, au moment où le texte final de la nouvelle directive en est à sa phase ultime de réécriture. Son envoi en négociation à Bruxelles, prévu pour la fin de l’année, a dû être repoussé, mais il a de grandes chances d’être adopté malgré le puissant lobbying des géants du Net, car l’enjeu n’est autre que la souveraineté européenne. Dans son propos introductif au colloque, filmé et diffusé dans la salle, la ministre de la Culture, Françoise Nyssen, rappelle même son ambition de rendre le droit de suite universel. Pour rémunérer la diffusion des œuvres sur Internet, encore faut-il les trouver. Hervé Di Rosa a rappelé avec conviction combien il tenait à cœur aux artistes de pouvoir suivre, grâce à l’action du droit de suite, la vie et le parcours de leurs œuvres sur le marché. Sylvain Piat, le directeur de la Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs (Cisac), a dévoilé trois techniques à l’étude actuellement, qui permettront peut-être un jour de «tracer» les œuvres d’art. Elles portent des noms bien mystérieux, que l’on entendra sûrement de nouveau : «watermark», «fingerprint» et «blockchain». La Cisac mène d’ailleurs un projet à l’initiative de l’Adagp, intitulé «AIR», pour «Automatic Image Recognition», soit une base de référence des œuvres gérées par l’Adagp utilisant le procédé fingerprint. Tout un programme, tant législatif que scientifique, dont on attend avec impatience l’aboutissement.
La traçabilité, garante de la valeur
Garante de la protection des œuvres d’art, la traçabilité l’est aussi de leur valeur. La provenance est susceptible d’augmenter le prix d’une œuvre, et ce paramètre prend de plus en plus de poids dans les transactions. La connaissance du parcours d’une œuvre rassure ainsi les artistes, mais également les acquéreurs. Les scandales liés à la vente de faux qui ont jalonné le marché ces dernières années et les risques de se découvrir propriétaire d’une antiquité pillée durant le conflit syrien ont eu raison de leur confiance. L’Adagp en a pris conscience, et lance à travers ce colloque un appel à une collaboration entre tous les acteurs du monde de l’art artistes, marchands et conservateurs de musée. Une collaboration nécessaire, mais encore faut-il que les marchands l’acceptent. «C’est la balance des intérêts qui parlera», assure Françoise Labarthe, professeur de droit privé et sciences criminelles à l’université Paris-Sud. Les diverses interventions permettent d’envisager ce dessein, grâce à des témoignages que l’on veut croire pleins de bonne volonté. Grâce à leurs archives, qui n’ont parfois pas de prix, les galeristes et antiquaires peuvent souvent retracer le parcours d’une œuvre, voire la retrouver. Grâce à leurs réseaux, les comités d’artistes, qui veillent au respect des successions, sont également des aides précieuses. Comme l’a rappelé Michel Menu, directeur du département Recherche au Centre de recherche et de restauration des Musées de France, l’Hexagone peut se prévaloir d’un niveau d’excellence dans la maîtrise des technologies au service des examens scientifiques sur des œuvres d’art. Par ailleurs, pour répondre aux critiques à peine voilées à l’encontre du laboratoire, liées à sa responsabilité dans l’affaire des faux meubles XVIIIe siècle, il a annoncé que le C2RMF accueillera, dans quelques semaines, une dendrochronologue. À côté des faux, il a bien entendu été question du trafic des biens culturels. Le journaliste Vincent Noce a fermé la table ronde avec une franche mise au point : le marché ne doit pas seul en endosser la responsabilité. «L’un des moteurs qui ont permis un changement de comportement sur cette question est le marché, pas les musées. Il y a été obligé». Les musées français se seraient engagés sur la traçabilité des œuvres notamment spoliées de manière tardive et incomplète. Finalement, la nécessaire collaboration entre les acteurs du monde de l’art doit encore laisser sa trace. Et ce n’est pas chose acquise.