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La sculpture sans limites

Publié le , par Caroline Legrand

Vincent Lamouroux, artiste en perpétuel mouvement, est constamment en voyage entre la France et les États-Unis, avec plusieurs projets en tête. son imagination le mène toujours plus loin, toujours plus haut.

Vincent Lamouroux.  La sculpture sans limites
Vincent Lamouroux.
© 2017 All rights reserved

Le concept traditionnel d’atelier ne convient pas à Vincent Lamouroux. Lors de notre rencontre dans le quartier de Belleville, dans le 20e arrondissement de Paris, nous avons découvert l’artiste dans l’intimité de son travail. Ce petit appartement en rez-de-chaussée donne sur un jardin largement arboré où un bambou, planté par ses soins il y a huit ans, s’élève aujourd’hui dans les étages de l’immeuble. Le lieu est relativement exigu : juste de quoi caser deux ordinateurs, quelques petites maquettes, un canapé, une petite cuisine et son vélo, qui lui permet de se déplacer librement dans la capitale. Ce n’est pas ce que l’on appelle un lieu de production, mais plutôt un espace de conception où l’artiste, en toute tranquillité, peut réfléchir à ses projets en cours. Il sépare ainsi son travail entre un temps d’élaboration dans son atelier et un vrai temps de réalisation pendant le montage, in situ, de ses œuvres monumentales. «Je préfère faire le bazar chez les autres», nous lance-t-il, espiègle, avant d’ajouter qu’il se prépare tout de même un nouvel atelier, plus grand et pratique, dans un petit village de l’Hérault. Vincent Lamouroux ne reste pas en place. Ambitieux, il voit les choses en grand. Tel un enfant posant son regard curieux et avide sur le monde, il imagine des projets originaux, parfois même un peu fous, dont un certain nombre n’ont d’ailleurs jamais vu le jour. S’il se définit lui-même comme un sculpteur, son travail demeure très difficile à classer, relevant autant de l’architecture que de la sculpture, parfois de la menuiserie ou de la peinture. Land art, street art ou art conceptuel ? Peu importe le nom que l’on donne à sa démarche : l’important pour lui est de se sublimer, de voir toujours plus loin.

«Chacun de mes projets est animé d’une forme d’utopie, quelque chose qui serait là en plus, pour rien, pour sa gratuité…"

S’approprier le temps et l’espace
Né à Saint-Germain-en-Laye en 1974, Vincent Lamouroux commence à peindre à l’adolescence, vers 14-15 ans. Sa vision du métier est encore romantique : il rêve d’une vie de bohème, «trouve ça cool» de peindre… Le bac en poche, la faculté d’histoire de l’art obtient sa préférence. Mais il se cherche encore… L’artiste en herbe veut approcher de plus près la réalité du métier, mieux connaître le milieu. Vincent s’inscrit ensuite à la faculté d’art plastique, qu’il juge «pas assez dans la pratique» et finalement, aux Beaux-Arts de Paris. Un cheminement qui lui permet de mûrir ses envies et de savoir comment il veut exercer son art. Une évidence s’impose à lui : il sera sculpteur, réalisera des installations. Sa première exposition a lieu en 2000, dans l’ancien cinéma désaffecté du Berry-Zèbre, boulevard de Belleville. Il est encore étudiant lorsque naît l’œuvre qui le lancera dans la profession : Terrains vagues, présentée en 2002 à Paris Project Room et qui sera déclinée durant des années, de Sol#02, à la galerie Corentin Hamel à Paris en 2003, à Sol#07, au Centre Pompidou en 2009. Entre les deux, ce hit est demandé partout et produit également à Indianapolis, New York et Miami. Inspiré des skateparks, ce plancher en bois tout en vagues invite chacun à se déplacer sur sa surface, à réfléchir à sa relation à l’autre et à l’espace. Le visiteur devient acteur de l’œuvre, devant produire des efforts pour se mouvoir, son centre de gravité se trouvant alors déplacé. Une réalisation qui s’inscrit résolument dans la continuité de l’art minimal la sculpture ne s’érige plus mais s’horizontalise, elle n’est plus simple objet de contemplation mais espace d’expérimentation. Un succès rapide qui dépasse les frontières de l’Hexagone, à la faveur notamment des années passées dans une école d’art à Los Angeles, à la fin de son cursus.

 

Vincent Lamouroux, Par nature, 2016, installation in situ pour la fondation d’entreprise Martell, à Cognac. DR
Vincent Lamouroux, Par nature, 2016, installation in situ pour la fondation d’entreprise Martell, à Cognac.
DR

De nouvelles expériences
Vincent Lamouroux n’est pas un sculpteur au sens classique du terme. Pour lui, la «sculpture est un objet en trois dimensions autour duquel on tourne, avec toujours une relation au corps et au déplacement, qu’il soit physique ou imaginaire». S’il est obligé de se faire aider dans l’installation de ses œuvres aux formats monumentaux, il met un point d’honneur à créer des pièces qu’il pourrait confectionner entièrement lui-même, dont il connaît et maîtrise les principes de fabrication. Il passe d’ailleurs des mois à concevoir leur mise en place. Si le dessin intervient dans un premier temps, le travail sur ordinateur, à partir de logiciels d’architecture, est essentiel. Il permet de mettre en situation l’œuvre dans l’espace qui va l’accueillir et de réfléchir à la faisabilité technique, aux contraintes de sécurité, afin de mieux les anticiper et de s’en affranchir pour plus de liberté. Cette singularité, très professionnelle, est une force de persuasion auprès des institutions, nombreuses, à venir vers l’artiste avec des projets. S’il réalise quelques maquettes, l’ultime phase est l’installation in situ, qui prend bien souvent la forme de happening, de véritable performance, tant l’artiste est audacieux dans ses expérimentations. Il repousse le champ des possibles, que ce soit au cloître de Fontevraud en 2011, quand il crée un escalier en bois de 150 mètres offrant un espace de déambulation atteignant huit mètres de hauteur, ou en 2012, lorsqu’il emplit de sable l’abbaye de Maubuisson, afin d’évoquer l’érosion du temps. Vincent Lamouroux tente de s’approprier les lieux. Dans ce monde où tout va vite, tout semble maîtrisé, l’idée est de «renouer avec des formes intentionnelles, d’attirer l’attention des gens sur leur déplacement, sur l’espace et le temps».

 

Vincent Lamouroux (né en 1974), Projection, 2015, chaux inerte projetée sur le Sunset Pacific Motel, à Los Angeles.
Vincent Lamouroux (né en 1974), Projection, 2015, chaux inerte projetée sur le Sunset Pacific Motel, à Los Angeles. © 2017 Vincent Lamouroux. All rights reserved

Un jeu sans limites
Tel un acteur, Vincent Lamouroux s’exprime ainsi lorsqu’il parle d’une de ses installations : «J’ai joué cette pièce». Reconnaissons que ses œuvres, leur confection et leur réalisation ressemblent bien souvent à de véritables aventures cinématographiques, telle celle qui se déroula dans l’Utah en 2007, lors de la mise en place de Salt Flats. L’artiste se rendit en voiture dans un désert de sel interdit au public afin d’installer et de photographier ce caisson lumineux  sorte de dôme géodésique ou de piscine californienne évidée , quand il se retrouva à la nuit tombée enlisé, obligé d’appeler la police et de trouver une dépanneuse… laquelle s’enlisa à son tour. L’autre grande invention de Lamouroux est l’utilisation de la chaux inerte en projection. Il l’utilise pour la première fois en 2010 dans la Meuse, dans un centre d’art à ciel ouvert, le «Vent des forêts». Les artistes contemporains sont invités chaque année à y laisser une œuvre d’art pérenne, mais Vincent décide de créer une œuvre éphémère. Après avoir taillé un arbre en forme de dôme, il projette dessus, à la lance à incendie, un mélange de chaux, de farine et de sucre concocté dans une petite piscine gonflable. Une véritable performance à la vue de la difficulté technique, mais aussi du déroulement des événements, car l’aspect blanc n’apparaît qu’après un temps de séchage, laissant quelques minutes de suspens… Tel un fantôme apparaissant aux yeux de tous ! Une démarche reproduite en 2015 sur un motel de Sunset Boulevard à Los Angeles, et qui fit grand bruit. Cet hôtel, qui devait être détruit par un promoteur, est devenu un symbole : les gens s’y introduisent pour s’y prendre en photo ou même faire des shootings de mode. À l’image encore de l’île Par nature, créée pour l’inauguration de la fondation Martell à Cognac en 2016, Vincent Lamouroux donne naissance à des lieux à part, sortis de son imagination : «Chacun de mes projets est animé d’une forme d’utopie, quelque chose qui serait là en plus, pour rien, pour sa gratuité, pour sa dimension somptuaire, comme dirait Georges Bataille». Et cette utopie va bientôt le porter jusque dans les airs. Ce grand enfant, pilote d’un avion à hélices, ne se contente plus de rester sur la terre ferme… Il veut conquérir le ciel avec un projet en Californie, en 2017, d’une piste de décollage à la chaux, d’où il s’envolera avec quelques spectateurs privilégiés. Direction l’espace aérien, pour un vol sans but qui créera sa propre architecture invisible en trois dimensions, libre de toute contrainte !

L’ARTISTE
EN 5 DATES
1974
Naissance à Saint-Germain-en-Laye
2003
Sol#02, galerie Corentin Hamel, Paris
2006
Prix Fondation d’Entreprise Ricard
2010
Première monographie (coédition Les Presses du réel, Le Grand Café, le Credac, le SPOT, la galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois et le CNA).
2015
Projection, Sunset Pacific Hotel, Los Angeles
À VOIR
«Un été au Havre». Pour fêter ses 500 ans, une cinquantaine d’artistes contemporains, dont Vincent Lamouroux, sont invités à créer des installations au
cœur même de la ville, du 27 mai au 5 novembre.
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