Instruments de propagande, les monnaies racontent la succession des gouvernants, tout en s’affichant comme de véritables œuvres d’art…Ainsi que l’atteste avec éclat la collection du Docteur F.
F igure discrète mais bien connue par tous les spécialistes de numismatique, entre Paris et le nord de la France, son point d’attache, le docteur F., aujourd’hui disparu, a constitué une impressionnante collection de monnaies. Pendant plus de soixante ans, la diversité comme la richesse de cette dernière ont inscrit son inlassable instigateur «dans la lignée des grands collectionneurs classiques, toujours soucieux de composer les ensembles les plus exhaustifs possibles et sur toutes les périodes», rappelle l’expert Thierry Parsy. Mais, bien que la collection prochainement dispersée ait débuté avec un statère d’or du Lydien Crésus, frappé au VIe siècle av. J.-C., pour s’achever sous la Ve République, les séries les plus complètes s’avèrent être celles émises par la royauté française, de l’époque gothique à Louis XVIII, une longue période particulièrement appréciée par cet esthète des monnaies et autres médailles.
Les plus belles monnaies médiévales du Royaume
C’est à la fin du XIIIe siècle que, sous l’impulsion de Philippe le Bel (régnant de 1285 à 1314), les monnaies royales se diversifient pour la première fois en de multiples types, et où le souverain apparaît de face assis sur un trône, ce qui est une nouveauté. Parmi ces différents modèles se détache ici le florin d’or dit «à la reine» de 1305 (4,76 g) ; le roi y tient un sceptre et une fleur de lys, tandis qu’au revers se détaille une croix quadrilobée, cantonnée de quatre lys. Le docteur F. a acquis cette pièce (aujourd’hui estimée 10 000/15 000 €) en mai 1988, à l’hôtel George V, lors d’une des nombreuses dispersions de la célèbre collection de numismatique réunie par Armand Trampitsch. Issu de la même vacation, un parisis d’or de Philippe VI de Valois (1328-1350) ouvre la série des impressionnantes productions de ce roi. Cette pièce, frappée le 6 septembre 1329 (7,01 g), le représente assis en majesté, couronné, tenant le sceptre et la main de la justice, au revers une croix feuillue et fleuronnée dans un quadrilobe (10 000/ 15 000 €). Cependant, la pièce la plus spectaculaire des monnaies de ce souverain Valois demeure la couronne d’or émise le 29 janvier 1340 (5,43 g). Elle porte donc la couronne royale entourée de six lys et se caractérise au revers par une croix feuillue, toujours cantonnée de quatre lys couronnés. «Parmi les frappes de Philippe VI, cette pièce est une véritable œuvre d’art, l’une des plus parfaites du Moyen Âge», souligne Thierry Parsy. Pour cette pièce superbe, il faudra prévoir de 30 000 à 40 000 €. Enfin, on clôturera les frappes brillantes de ce monarque avec un florin Georges d’or «de la plus grande rareté», en date du 27 avril 1346 (poids 4,74 g). On y voit saint Georges à cheval, à gauche, coiffé d’un heaume à visière relevée, plongeant une lance dans la gueule du dragon (15 000/20 000 €).
Profils bourboniens et merveilles de l’âge classique
Durant les deux siècles de son règne, la dynastie des Bourbons aura produit parmi les plus belles monnaies de l’Europe d’alors. Une qualité qui n’a pas échappé à l’œil aiguisé du collectionneur, appréciant surtout la figure de Louis XIII (1610-1643), dont les traits spécialement plastiques se dessinent sur une soixantaine d’items… Deux d’entre eux, en or, sont des chefs-d’œuvre du genre : un huit louis et un quatre louis, chacun orné d’une tête laurée. Le premier présente un profil à droite (à l’avers une croix formée de huit «L» couronnés, avec la lettre «A» au centre). Estimée 20 000/30 000 €, cette pièce due au grand médailleur Jean Warin a été frappée à Paris en 1640 (poids 53,65 g). D’ailleurs, pour Leblanc, auteur en 1692 d’un Traité historique des monnayes de France, «on n’avait vu aucune monnaie aussi belle depuis l’Antiquité». Mêmes signature, millésime et estimation pour le quatre louis (poids 26,72 g), lui aussi arborant un profil à droite et extrêmement rare. Précisons encore qu’il s’agit de pièces d’hommage ou de plaisir, par exemple destinées au jeu. L’époque de Louis XIV (1643-1715) s’ouvre de son côté sur une pièce de transition, ou plutôt un essai : celui d’un écu étonnant car orné des deux effigies de Louis XIII et de son fils enfant, laurés, occupant chacun l’avers et le revers, toujours par Warin, et issu également de la fameuse collection Trampitsch (8 000/12 000 €). Mais le Roi-Soleil sera ici au firmament avec une médaille en or de 1703 (diam. 41 mm, poids 74,89 g) de la chambre de commerce de Rouen, signée par Thomas Bernard, avec la tête du souverain à droite, en grande perruque, et au revers, Mercure assis de face sur des ballots (10 000/ 15 000 €). Parmi les pièces rares qui illustrent le règne de son arrière-petit-fils, Louis XV (1715-1774), se détache indéniablement l’essai sur flan or de l’écu au bandeau frappé à Paris en 1740, à tranche lisse. On y voit le profil caractéristique du roi avec tête à gauche ceinte d’un bandeau et derrière, l’écu ovale sommé d’une couronne entre deux branches d’olivier (h. 5,7 cm). Il peut prétendre à 30 000/40 000 €, d’autant qu’il n’a été réalisé qu’à 50 exemplaires, et gravé par Joseph Charles Roëttiers d’après le modèle d’Edme Bouchardon.
De 1789 aux années 1930, la France du changement
Parmi tous les Bourbons, c’est pourtant Louis XVI que le docteur F. semble avoir particulièrement chéri : les belles frappes du dernier souverain de l’Ancien Régime sont illustrées dans le catalogue par 58 numéros, certaines pièces existant même en plusieurs exemplaires ! «On compte ainsi 31 double louis à la tête nue à gauche, constate Thierry Parsy. Ils affichent au revers les écus accolés de France et de Navarre, de différents millésimes et ateliers.» Leurs estimations vont de 600 à 1 500 €. L’une des monnaies les plus intéressantes de ce règne fatal demeure cependant un dernier louis d’or de 24 livres de 1792, émis à Paris (poids 7,73 g), à tête nue à gauche, avec le génie de la France debout à droite, gravant le mot «Constitution» au revers (4 000/6 000 €). Mais le docteur F. s’est également intéressé aux somptueuses productions de l’Empire, dont la médaille en or de la maison de l’Empereur, de 1810, est ici le plus bel exemple ; la pièce (41 mm, poids 64,50 g), arborant le profil de Napoléon Ier gravé par Bernard Andrieu (tête laurée à droite), est estimée 3 000/5 000 €. Une semblable magnificence est aussi de mise avec le retour des Bourbons, et ces 40 francs or de Louis XVIII, frappé en 1815 à Paris, avec buste couronné et habillé à droite, au revers l’écu couronné (8 000/ 12 000 €). Plus majestueuse encore s’affirme la médaille en or (45 mm, 75,30 g) émise pour le sacre de son frère Charles X, le 29 mai 1825, où le souverain se tient debout en habit de sacre, et qui était destinée aux représentants des provinces (prévoir aussi 8 000/12 000 €). Fasciné par la royauté, notre collectionneur n’en aura pas pour autant négligé la IIIe République (1871-1940), représentée par quelques-unes de ses plus belles réalisations… À l’exemple du «presque superbe» 100 francs or, du type Génie, monnaie émise à Paris en 1889 à 100 exemplaires à l’occasion de l’Exposition universelle (20 000/30 000 €). Et pour finir en beauté, évoquons le graphique 100 francs or de 1929, de la série de Lucien Bazor, orné du profil d’une figure féminine coiffée d’un bonnet phrygien ailé, promettant un avenir prospère que symbolisent, au revers, les rayons d’un soleil levant, des rameaux d’olivier et de chêne (5 000/7 000 €).