Fruits, animaux, vases ou coupes aux couleurs chatoyantes ou pastel, cette collection témoigne, s’il en était besoin, du talent des céramistes depuis les années 1950. Quand les grandes figures côtoient celles plus confidentielles…
Secret ? Discret ? Vous ne saurez ni son nom, ni même ses initiales… Tout juste qu’il a une quarantaine d’années, qu’il exerce un métier de bouche sur la Côte d’Azur et qu’il est «tombé» dans la céramique il y a vingt-cinq ans. Un choix qui a toutes les apparences d’une évidence quand on vit dans le sud de la France, où ont fleuri nombre d’ateliers durant les décennies 1950-1960, et où ont exercé bien des artistes dans le sillage d’un certain Pablo Picasso venu – initialement – à Vallauris passer ses vacances, en 1947. Notre collectionneur met la main à la pâte – enfin si l’on peut dire – en chinant sa première pièce dans une brocante, il y a une vingtaine d’années. Puis les choses s’enchaînent entre achats en galeries, parisiennes notamment, et ventes publiques. Séduit par les formes, les couleurs, le subtil mariage de l’argile et de l’eau, il achète au coup de cœur, mais il possède un «œil», nous assure le commissaire-priseur en charge de la vente. Et il le pose sur les pièces où l’on sent, où l’on voit, derrière une apparente simplicité, la démarche de l’artiste, sa main et son travail. Comme quelque chose qui ferait écho peut-être à son propre métier… L’amour des belles pièces se double aujourd’hui d’une connaissance des techniques, et de liens avec des céramistes. Pourquoi tourner la page aujourd’hui ? Comme beaucoup de passions, celle pour la céramique est quelque peu envahissante. D’autant que si certains placent leurs œuvres dans des vitrines, notre amateur les préfère à ses côtés, figures familières de son quotidien, n’hésitant pas d’ailleurs à se servir d’une coupe ou d’un pichet. Le beau dans l’utile… Deux cent cinquante pièces prennent aujourd’hui le chemin des enchères, d’autres sont conservées qui pourraient bien être rejointes par de nouvelles. «On est collectionneur à vie», précise l’expert de la vente, Romain Coulet. Rares sont les vacations entièrement consacrées à cette spécialité. Le marché est porteur, soutenu par des marchands et des amateurs, français et américains notamment. Et nos pièces sont assorties d’estimations attractives. L’une des recettes du succès…
L’homme et la terre
Art noble et ancien, la céramique naît entre les doigts des hommes qui lui donnent ses formes arrondies, allongées, droites ou creusées, avant de subir la magie du four, tout en introduisant le hasard. Les années 1950 lui offrent un renouveau. Elle est à la fois une œuvre d’art et un objet du quotidien. L’argile est sa matière première, qui se plie à l’imagination des créateurs. Entre minimalisme et excentricité, formes abstraites et figuratives, rigueur du grès et exaltation de la couleur, décors peints ou incisés, à Céret, à Collioure, à Dieulefit près de Montélimar, à La Borne –petit village installé entre Sologne et Sancerrois –, à Aubagne, à Moly-Sabata en Ardèche, à Vallauris bien sûr, ils explorent. En solitaire ou dans le creuset d’un atelier.
Foisonnement
Pas de vente consacrée à la céramique de la seconde moitié du XXe siècle sans pièces de Pablo Picasso. Elles se comptent ici sur les doigts d’une main mais elles pourraient être aussi les plus disputées. Prévoyez entre 10 000 et 15 000 € pour décrocher des plats en terre de faïence à décors de faunes et autres joueurs de flûte, aux marques de l’atelier Madoura, exécutées vers 1955. De Pol Chambost, des pièces bicolores aux formes tourmentées côtoient des cache-pots et des vases monochromes aux formes traditionnelles dont le dépouillement met en valeur la matière et la couleur intense des émaux (estimations de 200 à 2 000 €). De Colette Gueden, deux masques chinois, associant faïence et coton, palette jaune et noire, nécessiteront (chacun) 1 000/1 500 €. « Avec deux clous et un bout de ficelle, il faisait des miracles», disait Norbert Pierlot de son confrère Georges Jouve. Venu au travail de la terre presque par désœuvrement, il est vite reconnu comme un maître par nombre de ses amis, et sa sœur Denyse Gatard. Outre le noir et le blanc, celle-ci aime les teintes douces du jaune paille au vert anis, les craquelés, les formes libres et naturelles, irrégulières (600/800 €). Outre son monogramme en nœud de trèfle, les pièces de Georges Jouve révèlent sa maîtrise du modelage. Bouteilles, vases boule, galet, émaux simplifiés à l’extrême, silhouettes abstraites et asymétriques séduisent de longue date les amateurs, qui devront ici engager de 2 000 à 6 000/8 000 €, exception faite d’un miroir mural dit Coq (vers 1946), annoncé à 35 000/40 000 €. Le couple de céramistes Jacques et Dani Ruelland est adepte d’une esthétique simple et aux couleurs vives et brillantes, qui s’illustre dans des vases et des bouteilles (voir photo ci-dessus). Très reconnaissable, le style de Jacques Blin est marqué par un aspect plus ou moins ombré de l’émail, des décors incisés, une palette dans laquelle le noir prédomine. Oiseaux, personnages stylisés et animaux primitifs sont ses motifs de prédilection, à l’image d’un Rhinocéros (vers 1965), pour lequel 4 000/6 000 € sont demandés. Si le nom de Hans Hedberg ne vous dit rien encore, un coup d’œil à ses fruits plus vrais que nature et aux couleurs pures est une parfaite entrée en matière. Impossible de citer la liste complète des invités de cette dispersion – de Mado Jolain à Gilbert Valentin, en passant par Peter et Denise Orlando, Hervé Thomas, Raphaël Giarusso, Alice Colonieux, Robert Picault ou Michel Anasse. Incontournable enfin d’une telle collection, Roger Capron, arrivé à Vallauris avant Picasso et dont les pièces aux formes solides, à l’émail blanc ou aux motifs «pavés» ou «rayés» lui assureront la reconnaissance (voir photo ci-dessous). Ludique, la céramique ? Bien plus encore…