À l’Hôtel-Dieu-le-Comte de Troyes, une rare collection de boîtes médicinales permet d’entrer dans le monde fascinant des remèdes à l’époque de Molière. Elle est présentée dans son écrin d’origine, datant du XVIIIe siècle.
Exilée pendant quatre ans hors de l’Hôtel-Dieu-le-Comte, dont le bâtiment était fermé pour préparer l’installation, en son sein, de la Cité du vitrail (voir l'article Ouverture de la Cité du vitrail à Troyes de la Gazette n° 45 du 16 décembre 2022, page 174), l’exceptionnelle collection de boîtes médicinales en bois a retrouvé sa place dans la grande salle de l’apothicairerie de l’ancien hôpital, musée désormais accessible par le hall d’accueil commun avec la cité. Soigneusement dépoussiérées, les 319 boîtes aux décors polychromes ont été reposées, dans l’ordre, sur les six dernières étagères des boiseries, restaurées pour l’occasion. Sur celles du bas, défile une collection plus classique de majoliques, d’albarelli, de piluliers des XVIe et XVIIe siècles, et quelque trois cents pots en faïence rustique de style Nevers du XVIIIe, dont beaucoup de chevrettes, ces récipients dont le bec ressemble à la corne d’un chevreuil, que seuls les apothicaires étaient autorisés à utiliser. Comme les boiseries patinées et la grande échelle de bois, qui permettait aux apothicaires d’aller chercher les remèdes les plus haut perchés, la collection de boîtes en bois de Troyes est contemporaine de l’installation de la pharmacie, vers 1725, dans le nouvel hôpital de pierre. Celui-ci avait remplacé l’ancien, en bois, vétuste, et inadapté aux flots d’incurables, de soldats blessés ou d’enfants trouvés défilant à sa porte. Qu’elle soit bleue, ocre, rouge ou verte, chacune de ces boîtes présente, dans un cartouche, le nom du produit qu’elle contenait, surmonté d’une illustration. Classé monument historique depuis 1958, cet ensemble, précieux par ses qualités esthétiques et ses dimensions, est aussi un document historique unique.
Décors Renaissance
« D’après les différentes sources, explique Juliette Faivre-Preda, chargée des collections du musée, dans les apothicaireries anciennes, les matières premières séchées destinées à la fabrication des remèdes étaient conservées principalement dans des boîtes en bois. Mais comme elles étaient fragiles et, surtout, moins précieuses que les pots en faïence, elles n’ont pas été collectionnées au XIXe siècle, et ont presque toutes disparu. C’est une chance incroyable que celles-ci soient restées intactes. » Parmi cette série, cinquante-huit boîtes sont cylindriques, creusées dans un billot de bois dur, principalement du chêne (hormis deux d’entre elles, en placage). Sur quelques-unes, la couche picturale se décollait légèrement, laissant deviner une peinture antérieure. Lors de la restauration de la collection, entre 1995 et 1999, les études stratigraphiques du laboratoire « LP3 Conservation » ont confirmé qu’elles avaient en effet été repeintes plusieurs fois jusqu’au début du XVIIIe siècle. Sur cinq de ces boîtes, on a choisi de dégager la peinture du XVIe siècle. Des décors emblématiques de la Renaissance sont alors apparus : ici un buste de femme entouré de fleurs et de fruits, là un enfant nu menaçant avec une massue un animal, qui tient à la fois du chien ou de la chèvre, à moins qu’il ne veuille jouer avec l’animal. Sur une troisième boîte, un homme entouré de verdure affronte le feu de son épée. La quatrième est ornée de rinceaux dorés sur un fond rouge ; au centre sont inscrits les mots Baccae myrthi (baies de myrte). Quant à la cinquième, elle a révélé ce dont rêve tout conservateur ou archéologue : une date. Celle de 1534 est inscrite entre les pattes de deux sombres loups surmontant un écu armorié, peut-être les armes d’un des donateurs de l’hôpital au XVIe siècle. Mais ces objets, eux, sont bien les plus anciennes boîtes en bois de pharmacie connues à ce jour en France. Les coffres rectangulaires, constitués de fines planchettes de tilleul ou de peuplier clouées entre elles, sont donc plus tardifs. Le nom de l’artiste qui les a décorés est inconnu, mais les illustrations, peintes sur un pittoresque fond de ciel tendre et de montagne, sont toutes copiées d’après les gravures en taille douce de Jean Crespy, tirées de l’Histoire générale des drogues, du marchand-droguiste et professeur au Jardin du Roy Pierre Pomet. Paru en 1695, l’ouvrage, traduit en plusieurs langues, témoigne de l’état des connaissances pharmaceutiques à la fin du règne de Louis XIV et sous la Régence : aux savoirs enseignés par les médecins arabes dans l’Antiquité et à ceux des herboristes médiévaux, s’ajoutent les nouvelles drogues puissantes venues du Nouveau Monde. Un exemplaire du livre de Pierre Pomet, don de l’association des Amis des musées d’art et d’histoire en 2021, est désormais présenté au public dans l’apothicairerie. Les vestiges des ingrédients stockés dans les boîtes sont conservés au musée des beaux-arts de la ville, et devraient être analysés, quand les scientifiques seront certains qu’ils ne présentent aucun danger. Leurs noms sont rédigés en français et la plupart d’entre eux correspondent au décor peint dans le cartouche.
Magiques potions
Les plantes sont nombreuses, la violette de mars, ou la fleur de bouillon blanc, la bourrache, l’iris de Florence, le gui des chênes, la rose de Provins, le tilleul, la rhubarbe, la marjolaine, la cannelle, le sang-dragon (sève rouge du dragonnier), la mythique mandragore ou l’opium, ce jus extrait des fruits du pavot avant maturité, dont les Égyptiens avaient compris le puissant pouvoir calmant. Une douzaine de boîtes abritaient des ingrédients minéraux : antimoine, corail, vitriol, alun. Illustrée par une couronne, l’une contenait des « fragments de pierres précieuses ». Une vingtaine d’autres servaient à conserver des remèdes d’origine animale : cire d’abeille illustrée par une ruche, ivoire, graisse et cervelle de cachalot, corne de cerf, castoréum, urine de chameau riche en sels minéraux, poudre de vipère. Sans oublier le bézoard, cet animal proche du bouc, qui désigne également une pierre fabriquée par l’estomac de certains vertébrés, et à laquelle on a prêté des vertus curatives et surnaturelles jusqu’au XIXe siècle. Parmi les mammifères, figure encore l’être humain. Mais que signifie cette tête d’homme chauve ? Au XVIIIe siècle, les médecins faisaient venir d’Irlande des crânes de pendus sur lesquels une mousse, l’usnée, s’était développée, et réduisaient le tout en une poudre très utilisée dans la confection des remèdes. Une dernière boîte de ce mur d’images attire encore l’attention : deux faces de momies dressées en premier plan. Elles étaient très recherchées par les apothicaires qui grattaient les restes d’huiles imprégnant les bandelettes, pour leurs vertus hémostatiques… Dans la grande salle voûtée jouxtant l’apothicairerie, ancien laboratoire aujour-d’hui vidé de son matériel, de nouvelles vitrines modulables ont été installées. Complétés par des cartels et des reproductions de gravures, d’autres objets, parmi les mille sept cents de la collection, serviront à initier les visiteurs à l’art des remèdes sous l’Ancien Régime. Deux tablettes tactiles leur permettent de découvrir des recettes concoctées au début du XVIIIe siècle, comme celle de la précieuse thériaque contenue dans le grand vase balustre en étain de 1709, don également de l’association des Amis des musées d’art et d’histoire en 2022, ou composée avec les ingrédients répartis dans les boîtes de la collection. Certaines font frémir. D’autres sont plus douces, comme la potion mélangeant perles, feuilles d’or et d’argent, hyacinthes, cannelle, girofle, sucre blanc et eau de rose : un remède à la mélancolie.