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Germaine Richier, sculptrice majeure

Publié le , par Henri Guette

Alors que le Centre Pompidou et le musée Fabre unissent leurs efforts pour une grande rétrospective dédiée à son œuvre, de nombreuses publications et événements permettent d’éclairer autrement la vie de la sculptrice.

Agnès Varda, Germaine Richier dans son atelier, mars 1956. © Adagp, Paris, 2023 ©... Germaine Richier, sculptrice majeure
Agnès Varda, Germaine Richier dans son atelier, mars 1956. © Adagp, Paris, 2023 © succession Agnès Varda

La fortune critique de Germaine Richier (1902-1959) semblait tout établie. Alors que de son vivant d’éminents historiens de l’art comme Jean Cassou, André Chastel ou Alain Jouffroy avaient pu défendre son travail, il paraissait logique de voir son œuvre trouver sa place dans la grande lignée des sculpteurs français, après Rodin, Claudel et Bourdelle. Ce n’est pourtant qu’en mai 2023, soit soixante-quatre ans après sa mort, que doit sortir le premier tome de son catalogue raisonné aux éditions Silvana Editoriale. Cette année marque aussi la publication d’autres ouvrages, dont une bande dessinée chez Bayard, La Femme sculpture, ainsi qu’une biographie signée par sa petite-nièce Laurence Durieu aux éditions Fage, L’Ouragane : de quoi faire connaître à un large public le parcours de cette force de la sculpture. Germaine Richier a su en effet réinventer son art au tournant de la Seconde Guerre mondiale en y proposant une vision acérée des corps humains, tantôt animale, tantôt végétale, mais toujours infiniment vivante. Formée dans un premier temps à la sculpture aux beaux-arts de Montpellier, ville et région à laquelle elle restera fidèle, Germaine Richier rejoint Paris et l’atelier d’Antoine Bourdelle en janvier 1927. Grâce à ses talents de modelage, elle devient vite l’une de ses praticiennes et travaille aux reliefs de ses monuments. Comme l’avait montré l’exposition « Transmission/ Transgression », organisée par le musée Bourdelle en 2018, le sculpteur, dont l’atelier fut l’un des rares à accueillir des élèves femmes, se considérait moins comme un maître que comme un artiste travaillant avec d’autres artistes ; Germaine Richier, l’élève chérie qui affirmera longtemps avoir tout appris de lui, y tiendra une place particulière. Comme Giacometti qui passa par cet atelier, elle est formée au procédé de la triangulation – qui consiste à marquer les lignes du corps pour mieux les assimiler – avec l’aide d’un compas et d’un fil à plomb, avant d’en interpréter les formes. Ils en garderont tous deux le recours aux modèles et une attention rigoureuse à la construction de leurs sculptures. Après le décès de Bourdelle en 1929 et son premier mariage avec le sculpteur Otto Bänninger, Germaine Richier enseigne elle-même la sculpture et trouve sa place parmi la communauté d’artistes du 14e arrondissement. Elle connaît une reconnaissance internationale de son travail dès 1936, avec notamment le prix Blumenthal qu’elle reçoit pour le Buste no 2, portrait du fils du sculpteur Robert Coutin. Ce buste, exposé notamment à la galerie Dina Vierny, qui consacre une exposition aux liens d’amitié entre l’artiste et Robert Couturier, lui permet d’intégrer plusieurs expositions collectives sur la sculpture contemporaine française, notamment à l’Exposition universelle de 1937 où elle est médaillée. Il témoigne aussi, avec La Regodias (1938), de l’importance de cet exercice condensé du buste pour une artiste qui affirme y faire ses gammes. Le visage, ou du moins la figure humaine, constituera toujours pour Richier un enjeu particulier, quand bien même elle serait cachée ou altérée, ce qui est le cas pour son Buste n° 12 (1933-1934).
 

Germaine Richier, La Chauve-Souris, 1946. © Adagp, Paris 2023 © Musée Fabre de Montpellier Méditerranée Métropole / photographie Frédéric
Germaine Richier, La Chauve-Souris, 1946. © Adagp, Paris 2023 © Musée Fabre de Montpellier Méditerranée Métropole / photographie Frédéric Jaulmes

Brouiller les frontières du vivant
Avec la Seconde Guerre mondiale, Germaine Richier trouve refuge en Suisse comme d’autres sculpteurs de son entourage, Giacometti, Jean Arp, Marino Marini et bien sûr son mari, originaire de Zurich. Durant cette période, elle commence à déstructurer l’équilibre de la sculpture qu’elle a patiemment appris. Elle expérimente et développe une réflexion sur les corps hybrides. En 1940, avec Le Crapaud, sculpture à la taille d’une main, elle place une figure féminine dans une position accroupie et quasi animale, dont le titre témoigne. La Sauterelle, en 1944, lui permet de poursuivre dans cette direction en intervenant plus directement sur la physionomie humaine. À partir d’une problématique formelle – comment faire tenir en sculpture un modèle accroupi et faire exister le vide sous lui –, elle crée un prolongement du corps qui suggère une sauterelle et suscite un même élan, avant le saut. D’autres animaux et insectes trouvent leur place dans l’œuvre de Germaine Richier, qui déclare au critique Paul Guth qu’ils lui rappellent des souvenirs d’enfance et du Sud. Au sein de son atelier, dans des vitrines, elle constitue un véritable répertoire de formes naturelles où des coquillages voisinent avec des galets, des insectes, et même des branchages… Avec L’Homme-forêt (1945), elle incorpore au plâtre branches et feuillages et parvient à une nouvelle étape de cette hybridation entre les vivants et la sculpture. Comme le note Valérie Da Costa dans Germaine Richier : la magicienne, une forme d’animisme est à l’œuvre. L’artiste fait plus que prêter attention au vivant, elle cherche à insuffler la vie à sa sculpture. Les branches dessinent dans l’espace de nouvelles dynamiques et elle souligne encore ces lignes en insistant et en incisant la terre avec un stylet, son « épée ». Des figures mi-humaines mi-animales telles que La Mante (1946), La Chauve-Souris (1946), Le Griffu (1952) ou La Fourmi (1953) ne sont pas sans proposer une réflexion formelle sur l’instabilité de l’être, à une période où l’existentialisme est très influent. René de Solier, le poète qu’elle épouse en secondes noces en novembre 1946, note à propos de sa démarche : « La difficulté vaincue, après quelques explorations aventureuses, nous surprenons l’hybride et le pouvoir d’oublier les origines. »
 

Germaine Richier, La Mante religieuse, vers 1946. © Adagp, Paris 2023 / Photo : Courtesy Galerie de la Béraudière
Germaine Richier, La Mante religieuse, vers 1946. © Adagp, Paris 2023 / Photo : Courtesy Galerie de la Béraudière

L’amie des poètes
Germaine Richier est une artiste très appréciée des écrivains, comme le rappelle le Centre Pompidou avec la republication de certains textes de Francis Ponge, Jean Paulhan, Jean Grenier ou André Pieyre de Mandiargues. Cette influence croissante de la littérature sur son travail, par l’intermédiaire de René de Solier, peut se lire dans son travail de gravures, qui accompagne différents recueils de poèmes. Ses impressions et son travail de la ligne dans Les Illuminations de Rimbaud font penser à certains moments à l’Histoire naturelle de Max Ernst qui lui rendra d’ailleurs un émouvant hommage filmé en 1959, à la galerie Creuzevault. Elle refusera néanmoins tous les rapprochements que certains critiques essaient d’établir avec le surréalisme. En faisant poser Nardone – modèle de Rodin pour son Balzac –, pour L’Orage (1947-1948), elle semble plutôt vouloir perpétuer l’art statuaire, comme le suggère Pierre Restany, intéressé par l’humain au prisme des forces qui le dépassent. L’Ouragane (1948-1949) serait ainsi une réponse directe à L’Orage et donne l’impression, dans l’immobilité d’un frémissement, d’une possibilité de mouvement par la matière accidentée, déchirée. Tempête contenue et d’autant plus dangereuse. Les années 1950, avec la commande d’un Christ en croix par l’église Notre-Dame-de-Toute-Grâce du plateau d’Assy, assure à Germaine Richier une reconnaissance publique qui va de pair avec une polémique sur la représentation du corps qu’elle propose, jugée blasphématoire par le Vatican. Cette période, documentée par la critique Dominique Rolin, est bien retracée dans l’exposition du Centre Pompidou, qui met aussi en valeur le travail de la couleur que développe l’artiste à la même époque, en collaborant notamment avec son amie Maria Helena Vieira da Silva. Au travers d’un dialogue intergénérationnel avec Clavé, Richier et César, la galerie Clavé Fine Art cherche quant à elle à retracer une histoire de la sculpture française au XXe siècle : Germaine Richier en a assurément été un maillon important, dont cette année 2023 nous permet de prendre conscience.

à voir
« Germaine Richier », Centre Pompidou,
place Georges-Pompidou, Paris IVe, tél. : 01 44 78 12 33, 
jusqu’au 12 juin 2023
www.centrepompidou.fr

puis au musée Fabre,
39, boulevard Bonne-Nouvelle, Montpellier (34), tél. : 04 67 14 83 00,
du 12 juillet au 5 novembre 2023
museefabre.montpellier3m.fr

« César, Clavé, Richier. Un lieu, une histoire d’amitié », galerie Clavé Fine Art,
10 bis, rue Roger, Paris XIVe, tél. : 01 88 40 44 30,
 jusqu’au 22 avril 2023
www.clavefineart.com
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