«Nous avons accordé le diplôme à un fou ou à un génie. Le temps nous le dira», aurait lancé le directeur de l’École d’architecture de Barcelone lors de la remise du précieux sésame au jeune Antoni Gaudí (1852-1926), en 1878. Falstaff de l’architecture baroque pour qui le sens de la démesure était une source d’inspiration, le Catalan fait l’objet à Orsay d’une vaste rétrospective. Mais celle-ci n’est en rien d’une «gaudímania» échevelée. Elle est rigoureuse, voire clinique par certains aspects, tant l’abondance des documents de travail, livres et lettres manuscrites jalonnent le parcours de la visite. Il faut décrypter, décortiquer la foisonnante matière à laquelle le visiteur est soumis – pas une mince affaire pour qui les notions d’architecture sont minces. Mais le musée sait visiblement ménager la curiosité pour un artiste hors du commun, à l'extraordinaire défi technique lancé aux règles de la gravité. L’ambiance tamisée et la succession des cartels sonnent comme un roman, soit une introduction, cinq sections composant l’intrigue et un épilogue comparable à un dénouement : au total, un peu plus de deux cents œuvres, objets et pièces de mobilier, plans, dessins, photographies, vitraux, maquettes, ainsi qu’une reconstitution du «dispositif aux miroirs», système photographique permettant d’obtenir des images fiables et complémentaires de ses travaux préparatoires. Au gré des chapitres, on côtoie l’indéfectible amitié entre l’architecte et Eusebi Güell (1846-1918) – industriel du textile, mécène et fleuron de la jet-set catalane –, dont la collaboration donnera naissance au palais et au parc Güell. Gaudí enchaînera les commandes avec les casas Vicens, Calvet, Battló, Milà, jusqu’à son œuvre ultime, la Sagrada Família, à ce jour encore en chantier. La complexité de son œuvre est en réalité faite de multiples paradoxes : ombre et lumière, équilibre et déséquilibre, abondance et épure, raffinement et austérité… Un festival de contre-pieds architecturaux contribuant à la popularité et à la singularité du personnage.