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Éléonore de Lacharrière, l’engagement pour la culture

Publié le , par Carole Blumenfeld

La déléguée générale de la fondation Culture & Diversité, également présidente des conseils d’administration du musée Rodin et de l’école des Beaux-Arts de Paris, décrit avec enthousiasme son action en faveur de l’accès aux études et aux métiers de la culture.

Éléonore de Lacharrière. Éléonore de Lacharrière, l’engagement pour la culture
Éléonore de Lacharrière.
© ANA DU PARC

La formule «L’enfer est pavé de bonnes intentions» revient souvent chez vous…
J’ai la chance d’avoir grandi dans un monde où la culture avait un rôle primordial. Très jeune, j’étais intimement persuadée de sa capacité d’épanouissement, tant pour ses spectateurs que pour ses acteurs. Je savais que l’on ne doit jamais négliger la part de joie qu’elle nous apporte, mais j’ai aussi appris que tout n’allait pas de soi. Au lycée Henri-IV, mon camarade de classe et ami avait été sélectionné car il était le meilleur élève de son collège de ZEP ; or, sa scolarité dans ce lycée d’élite a été une véritable catastrophe, car il n’avait pas du tout les codes sociaux. À la fin de la terminale, les professeurs ont écrit sur son bulletin «Devrait retourner dans sa banlieue». Par certains côtés, ce passage à Henri-IV a fondamentalement changé sa vie, en négatif, et il n’a jamais fait d’études supérieures. J’ai la conviction que l’accompagnement des jeunes issus des milieux éloignés de la culture doit se faire sur la durée ; il ne faut jamais les planter en cours de route. Notre société a besoin de ces jeunes tout autant, si ce n’est plus, qu’ils ont besoin d’accompagnement, en particulier le monde de la culture.
En 2006 justement, vous quittez l’Inde, où vous travaillez dans une ONG, pour rejoindre la nouvelle fondation Culture & Diversité.
Depuis le début des années 1990, Marc Ladreit de Lacharrière, mon père, menait une politique de mécénat en faveur du rayonnement culturel de la France et contre les discriminations envers les Français issus de l’immigration. En 2006, il a voulu créer cette fondation pour investir des moyens supplémentaires en faveur d’une philanthropie qui lierait les deux axes, la culture et le social. Il avait été l’un des membres du conseil d’administration de Sciences-Po à soutenir le plus Richard Descoing (directeur de Sciences-Po Paris de 1996 à 2012, ndlr) lorsqu’il a créé la filière d’accès pour les élèves issus des zones d’éducation prioritaire, et l’idée venait de là. Pour dire vrai, je m’occupais d’un programme de lutte contre la pauvreté en Inde et n’envisageais pas de rentrer en France, mais je suis tombée malade et ai été rapatriée. Mon père, qui cherchait quelqu’un pour s’occuper de sa future fondation, m’a proposé de travailler avec lui. Jusqu’alors, je faisais de la gestion de projet et ne songeais pas à une fondation redistributive, mais opérationnelle. Nous n’étions pas attendus et avions intérêt à trouver un vrai angle d’action, là où un opérateur public ne l’aurait pas envisagé. Une question me suit depuis : est-il mieux que nous le fassions, plutôt que de financer quelqu’un qui le ferait mieux que nous ?
Vous mettez alors en place une méthodologie, depuis reconnue par les ministères de l’Éducation nationale et de la Culture…
Lorsque nous nous sommes lancés, Francine Mariani-Ducray (alors à la direction des Musées de France, ndlr) nous a conseillé de rencontrer Philippe Durey, le directeur de l’École du Louvre. Tout est parti de là. Toutes les étapes des quinze programmes d’égalité des chances dans l’accès aux études supérieures et aux métiers de la culture sont construites à partir d’un protocole très précis et évalué à 360 degrés. Le ministère de l’Éducation, dans le cadre de notre partenariat, nous met en lien avec les inspecteurs d’académie qui, eux-mêmes, nous dirigent vers les professeurs ressources, en histoire des arts pour le programme École du Louvre, en arts plastiques pour les écoles d’art, ou des techniciens d’études du bâtiment pour les écoles d’architecture, que nous invitons à venir visiter les écoles pour comprendre la pédagogie et le profil des étudiants. Ils repèrent ensuite les élèves susceptibles d’être intéressés et les en informent. Après des actions d’aide à l’orientation, telles que la visite des établissements, la présentation de débouchés professionnels, si les élèves ont toujours le désir de s’engager dans cette voie, nous les préparons aux concours. Lors des vacances, les jeunes sélectionnés viennent ainsi augmenter leurs chances de réussite en participant à des stages intensifs dans les lieux qu’ils veulent intégrer. À l’École du Louvre par exemple, trente lycéens, que nous logeons et prenons en charge vingt-quatre heures sur vingt-quatre pendant une semaine, visitent des expositions, rencontrent des étudiants et des professionnels, suivent des séminaires et des ateliers. Qu’ils réussissent ou non, nous les accompagnons tout au long de leurs études, en leur attribuant des bourses bien sûr, mais aussi en les accueillant à la sortie de leur train à la rentrée, en leur trouvant un logement, en les aidant à remplir leurs papiers administratifs et, surtout, en leur proposant tout un panel d’ateliers et de tutorats, notamment pour pallier les difficultés de l’écrit. Au fur et à mesure des années, ces séminaires deviennent de plus en plus techniques, jusqu’à la préparation d’un CV ou au choix d’un statut professionnel.

 

L’hôtel de Chinay, côté jardin, appartenant à l’École nationale supérieure des beaux-arts.
L’hôtel de Chinay, côté jardin, appartenant à l’École nationale supérieure des beaux-arts.© ENSBA

En quoi votre regard a-t-il changé depuis 2006 ?
Nous ne sommes pas du tout dans «on assassine Mozart». On ne vient pas «sauver des quartiers» la future star de demain, mais plutôt offrir à des jeunes gens motivés, talentueux mais subissant des difficultés dans l’accès à l’information, les capacités de réussir en mettant toutes les chances de leur côté. Je garde le même enthousiasme pour le courage et le talent des jeunes, mais je sais désormais qu’il faut être modeste dans la petite pierre que nous leur apportons car, pour parvenir à les aider, il faut une multiplicité de facteurs. Ce que je n’avais sans doute pas perçu au début, c’est que, dans certains cas, nous n’y arrivons vraiment pas, en particulier lorsqu’ils doivent donner de l’argent à leur famille. Les bourses du Crous et celles que nous leur donnons leur suffisent globalement pour faire leurs études dans des conditions acceptables, mais s’ils doivent travailler à temps plein en même temps, c’est impossible. Ce constat est vraiment dur.
Un mot peut-être des futurs projets de Culture & Diversité ?
Pour nos programmes d’égalité des chances, nous sommes aujourd’hui très heureux des résultats, de la qualité du partenariat avec les écoles partenaires et des solutions de suivi des jeunes, de l’orientation jusqu’à l’insertion professionnelle. Nous intervenons à un endroit qui n’est pas la place des écoles, en nous occupant de la logistique et du volet personnel des étudiants. C’est une vraie complémentarité public-privé ! Nous développons également des actions de sensibilisation culturelle et de pratique artistique pour des jeunes éloignés de la culture. Alors que nous étions très novateurs et apporteurs de méthodologie dans les établissements scolaires d’éducation prioritaire il y a dix ans, les ministères de la Culture et de l’Éducation nationale ont aujourd’hui pris à bras-le-corps la question de l’éducation culturelle et artistique. Il faut donc nous réinventer afin d’œuvrer en complémentarité et non en redondance avec les acteurs publics. Un challenge ! Les fondations dotées de moyens sont si précieuses qu’elles se doivent d’être le plus utile possible.
Quel est votre rôle au musée Rodin ?
Encore une fois, mon parcours professionnel a commencé dans le secteur social plus que culturel, et c’est la fondation qui m’a persuadée de la puissance de l’« outil culture» et de son importance dans notre monde. Lors- qu’on m’a proposé d’entrer au conseil d’administration du musée Rodin, un artiste que j’adore, j’avais en tête que la sculpture, en termes de médiation, pouvait apporter autre chose que la peinture. En prenant la tête du conseil d’administration, j’ai rencontré l’ensemble des chefs de département et des services une bonne connaissance des équipes qui est peut-être ma touche personnelle et nous partageons la même philosophie. Le musée Rodin, à Meudon, est en train de devenir le premier musée national entièrement dédié à l’éducation artistique et culturelle. Nous avons de plus acquis la maison mitoyenne pour la mettre à la disposition de l’association de Gérard Garouste, La Source-Rodin, pour accueillir des artistes en résidence et développer des ateliers de sculpture pour des jeunes en difficulté.

 

Stage «Égalité des chances en école d’art», Ensci, 2012.
Stage «Égalité des chances en école d’art», Ensci, 2012. © Fondation Culture & Diversité

Et aux Beaux-Arts ?
Je crois avoir été choisie pour ma bonne connaissance de l’écosystème des écoles d’art et le fait que j’aime ces étudiants, mais aussi parce que je sais lire un bilan comptable et un budget ! Je suis très heureuse de pouvoir accompagner Jean de Loisy (nouveau directeur de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, ndlr) dans le projet très clair qu’il nous a présenté. Ma part est modeste, mais je suis vraiment très attentive aux élèves, à leur bien-être, à leurs conditions de vie et à leur futur. La précarité des étudiants en général et en particulier dans ce domaine est très inquiétante. Nous pouvons nous réjouir que les écoles d’art soient de plus en plus ouvertes, une grande conviction tout à fait partagée aujourd’hui, mais la contrepartie de l’augmentation des taux de boursiers, ce sont des conditions de vie parfois trop compliquées pour suivre sereinement des parcours exigeants. Il faut que nous parvenions à mettre en place des fonds spécifiques et surtout à réfléchir au problème du logement. Le Crous, qui croule sous les demandes, n’attribue quasiment plus ou pas de chambre aux première et deuxième années, préférant donner la priorité à ceux qui sont déjà engagés dans une trajectoire d’études. C’est la raison pour laquelle nous prévoyons, pour les élèves suivis par la fondation Culture & Diversité, des places seules ou en collocation.
Vous êtes désormais très impliquée dans l’entreprise familiale Fimalac : n'est-ce pas un jeu d'équilibriste ?
Mon héritage familial, c’est à la fois l’intervention dans le domaine de l’intérêt général, ayant grandi avec un père qui avait été boursier tout au long de sa scolarité puis pion dans des zones sensibles à partir de 18 ans, s’affirmant pur produit de la méritocratie française, et une entreprise détenue à 100 % par notre famille. Je suis profondément imprégnée par le sentiment de devoir transmettre la chance que j’ai eue et que j’ai toujours. C’est un privilège incroyable de pouvoir être impliquée dans des sujets aussi diversifiés. Avoir le pied dans l’intérêt général me permet de rester en lien avec le monde. Le management d’équipe de la fondation est très enrichissant, et les présidences de Rodin et des Beaux-Arts me permettent d’accompagner des établissements culturels magnifiques et primordiaux pour notre société. Autant d’interlocuteurs qui sont autant de petites fenêtres sur les autres. 

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