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Deal or no deal ? That is the question…

Publié le , par Stéphanie Dieckvoss et Pierre Naquin

Alors que la date fatidique approche, la possibilité d’un accord entre le Royaume-Uni et le reste de l’Europe sur sa sortie programmée des instances communautaires paraît de plus en plus improbable. Quid du tout petit monde de l’art ?

Brexit (2017), Banksy.  Deal or no deal ? That is the question…
Brexit (2017), Banksy.


Lorsque David Cameron en appela à un référendum quant au maintien de la participation de son pays aux instances européennes, il faisait un calcul politique interne. Peu imaginaient alors que le Brexit aura effectivement lieu à 23 h le 29 mars 2019, créant un précédent dans l’histoire européenne contemporaine. 51,9 % des Britanniques ont donc voté  comme le martelaient les slogans  dans l’espoir de regagner le contrôle sur leurs frontières, de pouvoir commercer avec n’importe qui dans le monde selon leurs conditions, de freiner l’immigration et d’allouer comme ils l’entendent l’intégralité de leurs dépenses sociales sans passer par l’Union. Depuis ce fameux 24 juin 2016, le Brexit ne cesse de faire la une des journaux nationaux comme européens, éclipsant au passage toutes les dissensions internes propres au Vieux Continent. Theresa May  remplaçant au pied levé l’infortuné David Cameron  lutte depuis pour obtenir le deal impossible : un maximum de liberté commerciale, un minimum de contraintes économiques et légales, la fin de la liberté de circulation des personnes… sauf entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande. Comme le Royaume-Uni en général, le secteur de l’art s’est tout de suite polarisé. Le marché secondaire  celui des marchands, organisé principalement à travers la British Art Market Federation (BAMF)  soutient alors le Brexit, quand celui des artistes, des galeries et, plus généralement, de la création lutte contre celui-ci. Ainsi la Fédération des industries créatives a-telle mené une enquête auprès de ses membres : 96 % sont opposés au leave. Logique quand on sait que 56 % de leur activité se réalisent dans l’UE : la liberté de mouvement entre pays de la Zone leur est tout simplement indispensable. À l’opposé, les marchands traditionnels promeuvent l’idée d’une place londonienne à vocation mondiale, pouvant traiter aussi bien avec des clients américains, asiatiques, qu’européens. Pour eux, le cadre légal imposé par l’Union (droit de suite, TVA, taxes à l’exportation, etc.) étouffe la compétitivité du pays. La place de n° 1 en Europe  de n° 2 au niveau mondial  ne leur suffit pas. Le Brexit pourrait être l’occasion pour eux d’en finir avec ces contraintes, tout en capitalisant sur les atouts de Londres : centre culturel et financier, hub de transport de tout premier plan.
Les hypothèses hasardeuses
Deux ans plus tard, les points de vue n’ont pas fondamentalement évolué. Même s’il est maintenant limpide que Downing Street a bien d’autres chats à fouetter  plus de cinquante mille textes de loi doivent être transférés en droit britannique , les plus gros acteurs du microcosme de l’art restent convaincus que, quoi qu’il arrive, ils parviendront à conserver leur position. Nick Brett, P-DG d’AXA Art UK, indique ainsi que le Brexit n’aura aucun impact sur l’activité, «que ce soit au Royaume-Uni ou en Europe. Nous avons planifié et fait évoluer notre structure pour que tout soit business as usual »… Mais dans les faits, nul n’a idée de ce qui va bien pouvoir se passer, d’où un sentiment que le mieux reste encore de ne rien faire. David Juda déclare ainsi : «Très honnêtement, notre galerie ne peut rien préparer tant que nous n’avons pas davantage d’informations.» Almine Rech  présente à Paris et à Londres ne dit pas autre chose : «Plutôt que d’envisager des hypothèses hasardeuses, nous choisissons de réagir très vite.» Partageant cette situation, Kamel Mennour précise être «très attentif aux évolutions des questions douanières, pour les importations d’un côté et de l’autre. Nous ajusterons notre fonctionnement selon les décisions effectivement prises». Freya Simms, à la tête depuis peu de la principale association professionnelle d’artistes au Royaume-Uni, Lapada, se dit maintenant submergée par les questions spécifiques : «Celles-ci ont tellement augmenté que je ne peux répondre personnellement et je renvoie à nos notes d’orientation, qui reprennent les principaux points de la note technique publiée par le gouvernement fin août.»
Des formalités sans précédent
Lorsque l’union douanière entre l’UE et le Royaume-Uni cessera, en avril, et que les Britanniques quitteront le marché unique, les marchandises ne voyageront plus librement. Sans accord bilatéral, le commerce entre l’île et le continent se retrouverait régi par les termes de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Cela signifie que s’appliqueraient les règles douanières de chaque pays. Une masse de papiers et de formalités administratives sans précédent qui viendra avant tout augmenter les frais et les délais d’opération, rendant la vie difficile à tout le monde. Là où les grands acteurs parviendront à s’adapter, les galeries de taille moyenne ou petite  dont les marges sont déjà très faibles  n’auront peut-être pas cette chance. Alors qu’elles n’avaient qu’à simplement charger un camion pour participer à une foire à Bruxelles, Cologne ou Paris, elles ne pourront certainement plus développer de nouveaux marchés hors de leur base. Thaddaeus Ropac, qui a ouvert sa nouvelle galerie à Londres juste à l’heure du Brexit, s’interroge : «Déplacer de l’art, que ce soit pour le vendre ou simplement le montrer, va-t-il devenir plus compliqué ? Quid des dépôts aux douanes ? Comment va-t-on financer cela ?»
Turbulences et incertitudes
Le Royaume-Uni est certainement le pays qui a le plus à perdre ; il est tout seul là où les autres conservent un marché de vingt-sept nations. Comme l’exprime très clairement François Curiel, président Europe et Asie de Christie’s, «le pays dont les droits seront les moins élevés sera le grand gagnant». L’autre gros enjeu concerne la liberté de circulation, et donc la capacité à attirer les talents et à permettre aux artistes de travailler. Niru Ratnam, le nouveau directeur de la galerie Koenig à Londres, remarque : «Ce n’est pas tant pour le business que pour la diversité des pratiques que nous sommes inquiets. Un Brexit sans accord, avec l’incertitude économique qui en découlerait, pose problème pour le pan le plus jeune et le plus expérimental du marché.» Les universités dont les écoles d’art ont déjà constaté une baisse des inscriptions d’étudiants européens. Une tendance qui va sans doute s’intensifier. De même, la galeriste bruxelloise Valérie Bach attire l’attention sur l’assèchement des moyens destinés aux commissions et aux résidences artistiques. «Les artistes sont également impactés dans leurs productions, qui bien souvent sont mises en attente du Brexit, surtout lorsqu’il s’agit de commandes publiques», déclare-t-elle. La grande question est de savoir qui pourrait bénéficier de ces scénarios. D’autres pays et villes d’Europe vont probablement essayer d’exploiter la situation. Pour Kamel Mennour, «une sortie sans accord serait une nouvelle déconvenue politique pour l’Union européenne, mais peut-être néanmoins une bonne nouvelle pour Paris en tant que capitale artistique». Le Financial Times est d’accord, qui a placé dans un récent article cette ville en tête des cités pouvant profiter du Brexit. Sur un marché de l’art toujours plus polarisé, entre grands acteurs globaux et petites entreprises régionales, le Brexit pourrait ne pas être un problème pour le 1 % de galeries, maisons de ventes et collectionneurs les plus importants. Si la livre reste basse, acheter au Royaume-Uni pourrait continuer d’être attractif. Cependant, le secteur est composé en très grande majorité de petites entreprises, qui opèrent à un niveau local. Pour Niru Ratnam, il est clair qu’un «no deal Brexit» en particulier «entraînerait de fortes turbulences économiques et une grande incertitude sur l’île». Cela nuira à un marché intermédiaire déjà fragile. Espérons égoïstement qu’à terme les marchés européens ne bénéficient pas seulement d’une plus grande part du gâteau, mais qu’ils sachent continuer de soutenir un écosystème créatif prônant l’humanité et l’universalité… nos chères valeurs européennes.

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