À l’occasion de sa première rétrospective, organisée par le Fonds Hélène et Édouard Leclerc à Landerneau, l’artiste nous ouvre les portes de son atelier, installé en banlieue parisienne. Un univers enchanté.
Sa journée de travail commence tôt, vers sept ou huit heures, moment le plus propice à la clarté de la pensée. Par chance, elle n’a que quelques mètres à parcourir depuis sa maison pour retrouver ses pinceaux. Lorsqu’en 2009 elle a emménagé à Cachan, avec son mari le photographe Hervé Plumet et leurs deux enfants, elle avait réuni deux chambres pour constituer son atelier. S’y est substitué celui qu’elle a fait construire en 2011 dans le jardin : un cube moderniste aux murs blancs percés de baies vitrées, donnant sur un environnement végétal – inattendu dans cette banlieue parisienne – avec palmier, sapin et magnolia. C’est dans ce havre verdoyant que Françoise Pétrovitch (née en 1964) manipule huile et encres, à moins qu’elle ne modèle la terre. Un atelier de plus dans sa liste car, depuis ses débuts dans les années 1990, l’artiste en a expérimenté plusieurs, collectifs ou aménagés dans une pièce de son domicile. «Même dans les lieux les plus petits, je me suis toujours débrouillée», assure-t-elle. Cela probablement parce que dès sa plus tendre enfance, bien que vivant à la campagne, éloignée du monde des musées, elle était animée par la fibre créatrice… À 6 ans, elle avait déjà décrété qu’elle ferait le métier de «dessinatrice». Elle a suivi obstinément cette voie, non par le canal des beaux-arts mais, après un brevet d’arts graphiques, à l’École normale supérieure, option arts appliqués, d’où elle est sortie une agrégation en poche. À 23 ans, elle intégrait l’école Estienne à Paris, où elle n’a jamais cessé d’enseigner, tout en menant son travail artistique. C’est cette persévérance qui l’a finalement conduite dans cet atelier de Cachan, le plus spacieux de ceux qu’elle ait connus. Et ce changement d’échelle a entraîné une évolution de sa pratique.
Changement de format
Que les aficionados de Françoise Pétrovitch se rassurent : ses œuvres, aux couleurs subtiles et aux cadrages audacieux, n’en ont pas moins conservé leur esprit. Figures humaines et animales ou personnages hybrides, elles évoquent la fragilité du vivant dans ce style singulier qui la caractérise, entre réalisme et fantaisie, épuré et inquiétant à la fois. En revanche, l’emménagement dans un vaste atelier a favorisé le passage au grand format, comme elle en rêvait. Jusqu’alors, elle le pratiquait occasionnellement, lorsqu’une institution l’invitait à des interventions murales éphémères. De fait, l’espace insuffle aux œuvres une respiration nouvelle. Et change leur mode d’exécution. Ainsi réalise-t-elle ses plus grands dessins à plat, sur le sol. Elle tourne autour de la feuille, laissant son pinceau jouer avec les sinuosités aléatoires que tracent ses lavis d’encre. L’espace lui permet par la même occasion de prendre du recul. «Pouvoir accrocher une toile sur un mur au lieu de l’avoir juste sous les yeux est un vrai luxe», apprécie-t-elle. D’ailleurs, elle a récemment installé un polyptique de six mètres de long dans son atelier. Dépeignant un bord de mer avec personnages, il avait été ébauché il y a environ deux ans, puis oublié et ressorti. «J’avais besoin de le voir pour me le remettre en tête et l’achever», précise-t-elle. Pour l’instant, son emploi du temps ne lui en a toutefois guère laissé le loisir, entre la préparation de la rétrospective de Landerneau et celle des expositions ou événements divers programmés pour cette année, de l’abbaye de Fontevraud à la Bibliothèque nationale de France, en passant par l’Opéra de Rouen. En pénétrant dans ce lumineux atelier que surplombe une mezzanine-bibliothèque, on a presque envie de marcher sur la pointe des pieds pour ne pas troubler la sérénité ambiante. «J’ai besoin de lumière naturelle pour travailler, précise Françoise Pétrovitch, que la venue de la nuit angoisse. L’endroit est également épargné par le bruit. Heureusement, le silence lui est indispensable. «Même la musique me déconcentre», ajoute-t-elle. Et surtout, on est frappé par l’ordonnancement de lieux immaculés. Aucune coulure, ni sur le sol ni les murs. Et pour cause, la manipulation du papier exige de faire place nette ! Quant à l’organisation, elle est impeccable. «Cela me rassure», souffle-t-elle. Dans un coin est regroupé le matériel de peinture, à côté d’un chevalet. Les flacons d’encre sont quant à eux posés à l’extrémité d’une vaste table centrale, spécialement conçue pour le format des dessins. Un grand portfolio coulissant est glissé en dessous, avec à l’intérieur des œuvres non encadrées dont elle ignore encore la destinée. Sur un autre meuble sont disposées quelques-unes de ses sculptures, rappelant l’univers des contes : Peau d’Âne, chat et autre tête de lapin.
Contre l'ennui
Le sous-sol est réservé au stockage, essentiel pour elle, qui estime que c’est aux archives que se mesure l’épaisseur de la vie d’un artiste. D’autant que Françoise Pétrovitch conserve toujours un exemplaire des séries qu’elle compose. Elle procède en effet essentiellement par séquences, même si rien n’est décidé en amont. D’abord, parce que l’idée d’une œuvre peut surgir à tout moment, d’une conversation, d’un geste, d’une attitude, d’un souvenir. Comme elle se refuse aux esquisses préparatoires, elle se laisse alors guider par l’inspiration, le hasard. Et c’est seulement lorsqu’un sujet l’accroche qu’elle en amorce des variations, dont émanent des séries comme «Étendu», «Nocturnes» ou «Saint Sébastien». Toutefois, dans ce domaine non plus rien n’est systématique et ce déploiement varie d’une dizaine d’exemplaires à cinquante ou soixante. Un seul principe guide la plasticienne : s’arrêter lorsqu’elle commence à s’ennuyer. Parce qu’elle aime par-dessus tout la surprise et le plaisir de la découverte. Cette curiosité l’a poussée dès le début des années 2000 à explorer de nouveaux médiums. Elle s’est d’abord confrontée au modelage de la terre, «sorte de croquis en volume». Ne disposant pas de four, elle opérait alors au sein d’ateliers extérieurs, aux côtés de céramistes l’aidant à conduire la cuisson ou à poser l’émail. La manufacture de Sèvres l’a même invitée à plusieurs reprises à officier en ses murs, où elle a notamment conçu un Service de Fables en porcelaine. Elle a prolongé l’expérience de la sculpture avec le bronze, développant cette fois des collaborations avec des fondeurs. Puis en 2011 sont venues les vidéos, nées d’une «envie d’immersion dans le dessin». L’artiste en a signé cinq dont l'une, Le Loup et le Loup, a été commandée par le musée de la Chasse et de la Nature à Paris. Ou plutôt cosigné. Car cette aventure, elle la partage avec son complice Hervé Plumet. Elle produit les dessins – deux à trois cents par projet –, lui s’occupe de la bande son et ensemble, ils réalisent le montage. «Il ne s’agit pas de dessin animé, précise-t-elle. C’est la juxtaposition des images qui fabrique le mouvement et apporte du sens pour celui qui regarde». Ces vidéos, présentées sous forme d’installations, l’ont enfin entraînée vers le spectacle vivant. Récemment, elle a travaillé pour l’Opéra de Rouen, à la demande de son directeur Loïc Lachenal, pour exécuter le décor d’une pièce musicale d’Arthur Lavandier, L’Abrégé des merveilles de Marco Polo. Ce n’est évidemment pas dans son atelier de Cachan qu’elle a peint cette toile de 200 mètres carrés, sur le thème des voyages de l’explorateur, mais dans le hangar de l’Opéra prévu à cet effet. Une «immersion dans la couleur que je
ne suis pas près d’oublier», s’enthousiasme-t-elle, ses yeux bleus traversés d’étincelles.