Réunis par le couple pendant plus de quarante ans, leurs objets de pharmacie, de médecine et de chirurgie racontent l’évolution du quotidien des malades et des praticiens au fil des siècles.
Adoptant la forme d’une pyramide triangulaire, le cœur est un muscle creux doté de quatre cavités, le myocarde, doué de contractions automatiques involontaires faisant de lui l’organe moteur de la circulation sanguine... On imagine sans peine Claude Renner, cardiologue de profession, régaler ses amis avec ses explications médicales devant le cœur démontable en papier mâché réalisé selon le modèle du docteur Auzoux (1797-1878), trônant dans l’entrée de sa maison de Chenevières-sur-Marne. C’est au dernier étage, cependant, que ses invités pouvaient prendre toute la mesure d’une passion qui a conduit le praticien et son épouse Danielle à collectionner des objets de médecine. Dans ce véritable musée privé, bien des récits et des anecdotes ont été contés aux visiteurs ayant eu le privilège d’y pénétrer. Outre leur intérêt scientifique évident, les objets réunis racontent en effet l’histoire de notre humanité.
Pour le bien des patients
Au commencement sont les biberons et la Vierge d’accouchée, en faïence de Nevers du XVIIIe siècle. Au bout du chemin attendent les étains religieux, ceux qui renferment l’huile bénite destinée à l’onction des malades. En cours de route, on pourra compter sur des onguents capables de réveiller les morts, précieusement conservés dans un albarello à l’effigie de saint Lazare, fabriqué à Palerme au XVIe siècle (autour de 2 000 €), se convertir aux ventouses et prendre les suppositoires et autres ovules fabriqués en série, au XIXe siècle, dans des moules en étain conçus à cet effet (environ 1 500 €). Bien des patients ont dû prier pour échapper aux saignées, dont témoignent encore ici nombre d’écuelles calibrées en étain. Paris, où l’on saignait plus qu’en aucun autre lieu selon Pierre Dionis, chirurgien et anatomiste sous Louis XIV, a longtemps été le principal centre de production de ce matériel médical. Au XVIIIe siècle, la saignée est prescrite par palettes, l’ordonnance standard étant de trois. Classées par ordre de prélèvement et placées au frais, elles sont observées le lendemain. Raffinement barbare, diront certains, le traitement peut être pratiqué avec des lancettes délicatement ornées, comme celles fabriquées par Charrière vers 1860, damasquinées au modèle de leur écrin de laiton (300 €). À côté de ces désagréments, tout a cependant été prévu pour faciliter la vie des patients, les borgnes pouvant faire leur choix parmi une large sélection d’yeux de verre, présentés en coffret, et les élégantes dures d’oreilles du XIXe siècle ayant le loisir de dissimuler l’appareillage de leur infirmité grâce à un éventail acoustique proposé par Frank-Valéry, à Paris. Une médecine tout en subtilité…
À chacun sa collection
En tant que praticien, Claude Renner a naturellement été sensible aux outils de diagnostic que sont les stéthoscopes. En bois, celluloïd, bakélite, ivoire ou encore étain, provenant de différents pays, une trentaine de modèles illustrent leur évolution. Tous descendent de l’instrument primordial imaginé par René-Théophile-Hyacinthe Laennec (1781-1826) à l’hôpital Necker, en 1816 : un cylindre acoustique auquel le médecin collait son oreille pour écouter la cage thoracique de son patient. Bien que raillée par une partie de la presse médicale, l’invention fit immédiatement florès. Elle est aujourd’hui conservée dans les vitrines du musée d’Histoire de la médecine, à Paris, où le nom de Renner est bien connu. Le collectionneur disposait aussi d’un exemplaire également à vis en bois, mais fabriqué vers 1819-1826 (5 000 €). Parmi les autres objets de cœur réunis par le médecin, figurent les faïences médicales, représentant près du tiers de la collection tous types d’objets confondus, avec une mention spéciale pour les albarelli italiens du XVIe siècle. Parmi les plus belles pièces, des vases vénitiens à décors de profils en médaillon, et ceux réalisés en Sicile, figurant de saints personnages dans des paysages. Elles seront proposées dans une fourchette allant de 1 500 à 5 000 €. Danielle Renner s’est quant à elle passionnée pour les étains. Elle en a rassemblé plus de deux cents, pour moitié des pichets, en provenance de toutes les régions de France. Leur état de conservation est d’autant plus remarquable que ce matériau est fragile, aisément déformé et rapidement endommagé par un usage intensif. À ce titre, les objets étaient régulièrement fondus pour en fabriquer de nouveaux… La plupart des pièces datent ainsi du XIXe siècle, d’autant que le remplacement de l’étain par la faïence fut préconisé dès le siècle des Lumières en raison de la toxicité déclenchée par l’association avec le plomb. D’une insigne rareté, une saupoudreuse ornée de fleurs de lys à la fin du XVIIe siècle devrait ainsi être emportée entre 1 500 et 2 000 €, selon l’expert Philippe Boucaud. Un ustensile réalisé par maître G. Troche. Nombre de marques poinçons de contrôle et signatures des potiers rendus obligatoires par Louis XIV, puis marques commerciales, mais aussi poinçons de propriété seront appréciées par les spécialistes.
Âmes sensibles s’abstenir
Assidu des ventes publiques, où il était connu comme le loup blanc, le couple a également réuni un remarquable ensemble de coffrets évoquant bien des disciplines, des soins dentaires prodigués avec les ustensiles de détartrage du coutelier Capron, aux verres concaves et convexes, cylindriques et prismatiques, destinés aux ophtalmologistes. Toutes sortes d’instruments précieusement conservés dans leur écrin, de l’aspirateur du docteur Potain à l’écraseur de Chassaignac, intrigueront les profanes, quand ils ne les effraieront pas… La chirurgie tient en effet une place de choix dans cette collection. Sept coffrets consacrés à la trépanation seront ainsi proposés, dont un petit nécessaire du XVIIIe siècle dans sa boîte en maroquin rouge doré aux petits fers (750 €). Un procédé attesté dès le Mésolithique, soit environ 10 000 ans avant notre ère. L’archéologie ne dit pas si les patients ont été guéris, mais des traces de cicatrisation prouvent au moins qu’ils ont survécu à la délicate opération… La véritable évolution des pratiques chirurgicales aura lieu au XIXe siècle, comme le précise Denis Roland, attaché de conservation du patrimoine au Musée national de la Marine - École de médecine navale de Rochefort : «Une trentaine d’instruments chirurgicaux étaient utilisés à la fin du XVIIIe siècle ; on en compte plus de huit cents un siècle après. Il s’agit là du meilleur signe des progrès accomplis dans la connaissance du corps humain.»