Tout feu, tout flamme ! Le marchand, entré presque par hasard dans l’univers de la céramique, tourne aujourd’hui la page d’une aventure commencée il y a trente ans. Première vente le 18 juin.
Elle n’est estimée que 3 000/5 000 € mais une statuette en faïence de Niderviller, figurant un Raccommodeur de vaisselle, est un clin d’œil amusant à notre homme. «Je ne suis pas un intellectuel, ni un manuel. Heureusement, il reste le commerce», lance malicieusement Christophe Perlès, qui se définit justement comme un «marchand de vaisselle». Le hasard a voulu qu’un jour il rencontre un restaurateur de céramiques. Il a 18 ans. Fasciné par ce travail et par l’idée de donner une deuxième vie aux objets, il se lance à son tour. Sans succès… Contre l’avis familial, il entame quelques études d’histoires de l’art mais débute surtout son «petit trafic de céramiques». Armé d’une motivation sans faille, il prouve à ses parents que l’on peut réussir ailleurs que dans la banque ou la finance ! Et plutôt bien : aujourd’hui son compteur, comprenez son livre de comptes, affiche dix mille pièces vendues, trois décennies d’activité, un achat tous les jours ouvrés. «Trente ans de découvertes, de rencontres, de rêves, de voyages, de déceptions parfois, de musées, d’études et de publications», résume cet homme d’une grande droiture, d’une érudition phénoménale, «un spécialiste qui ne s’est jamais généralisé». Il est d’ailleurs salué pour cette raison par de nombreux confrères marchands, un peu moins par d’autres car il a toujours préféré faire cavalier seul. «Je faisais ce métier avec la liberté de choisir ma clientèle. Ce n’est pas le code du commerce, mais c’est le mien.» Qui en déroge est vite écarté. Il y a un an environ, à 54 printemps, il a décidé de mettre un terme à cette «chasse au trésor permanente». Comme d’autres vendent leur entreprise, lui ferme sa boutique rue de Beaune, et vend son contenu sous le marteau de Brice Pescheteau-Badin, héritier d’une maison de ventes spécialisée dans les céramiques depuis cent ans…
Panorama de la production européenne
Cent cinquante numéros, partagés pour moitié entre stock et objets acquis en vente mais inconnus du public, sont inscrits au catalogue de cette première dispersion. La seconde, composée sur le même modèle, aura lieu à la fin de l’année. L’expert de la vente, Cyrille Froissart, s’enthousiasme de ces «objets bien choisis, rares et recherchés, proposés en bon état, dans un marché un peu compliqué, mais dont les prix redeviennent plus justes». Véritable panorama de la production céramique européenne, l’ensemble débute avec quelques majoliques Sienne, Faenza, Castelli, Deruta , se poursuit avec la faïence puis la porcelaine, d’époque Empire pour les plus récentes. Mais celles-ci se comptent sur les doigts d’une main. S’il n’a jamais établi de hiérarchie entre les manufactures, notre marchand a toujours affiché une nette prédilection pour les pièces anciennes, et notamment le XVIIIe. Ses céramiques sont rares et désirables. Ne lui parlez pas de beauté en revanche, c’est une notion trop subjective… L’une de ses faveurs va pourtant à un plat en faïence de Delft, début XVIIIe, décoré dans le style des porcelaines de Chine de la famille verte de l’époque Kangxi. Cette pièce rare est une copie fidèle des modèles orientaux… Tout comme une paire de grandes potiches couvertes, de la manufacture hollandaise d’Adrian Kocks, ornées de jardinières fleuries et objets de lettrés en camaïeu bleu, remarquables tant par leur dimension (h. 70 cm) que par leur ancienneté elles datent des années 1690 (40 000/ 60 000 €). Le duo gagnant parmi les faïences de Delft pourrait bien être complété d’un vase, en camaïeu bleu, de la manufacture de Samuel Van Eenhorn, à panse dodécagonale. Le prix de cette prouesse technique des années 1680 ? 6 000/8 000 €.
Tout comme une grande figure de Chinois, de Lille (reproduit page 15). Exécutée au milieu du XVIIIe, elle faisait certainement partie d’un surtout de table. Un ensemble dans le même esprit composé de figures d’empereurs, de personnages chinois au sabre, tenant une corbeille ou une corne, est conservé au musée Adrien-Dubouché de Limoges. Plus symbolique que belle, une bobèche en terre blanche émaillée de Saint-Porchaire milieu XVIe, à décor de rinceaux feuillagés, devrait être disputée autour de 8 000/12 000 €. Même accidentées, les productions de cette fabrique du sud-ouest de la France sont recherchées. Trois chandeliers terminés par une bobèche similaire sont aujourd’hui répertoriés dans les collections du Victoria and Albert Museum de Londres, à la National Gallery de Washington et au Petit Palais à Paris… Dans un autre genre, on a retenu une curieuse chocolatière en faïence de Höchst (milieu XVIIIe) en forme de tronc d’arbre décoré au naturel de chenilles, coléoptères et feuilles de chêne (5 000/6 000 €), et une bouteille, allemande également, de Creussen cette fois, décorée en camaïeu bleu des armoiries de Saxe, datée 1618 (5 000/8 000 €). Les amateurs d’objets à pedigree tenteront leur chance, à hauteur de 6 000/8 000 €, sur une bouquetière en faïence de Sceaux (manufacture de Chapelle), décorée dans le style de Teniers de paysages de bord de mer et de villageois attablés. Exceptionnelle également par sa qualité de peinture, elle a fait partie de diverses grandes collections dont celle de Georges Papillon, ancien conservateur du musée de Sèvres, et fut exposée en 1932 au pavillon de Marsan.
La porcelaine, une bonne pâte
Le XVIIIe siècle fut emblématique de la porcelaine française. Et les manufactures de Saint-Cloud, Chantilly, Mennecy, Vincennes et Sèvres, fascinées par cette matière fragile et translucide mise au point par des alchimistes que fut la pâte tendre. Elles avaient donc toutes les raisons d’être présentes aujourd’hui, le marché étant en outre trop restreint, pour se permettre de ne faire commerce que d’un type de faïence ou de porcelaine. Si celle-ci attire, à commencer par Sèvres, un public international, la faïence demeure aux mains des amateurs français presque exclusivement. Malgré une certaine désaffection pour le XVIIIe depuis une dizaine d’années, quelques belles batailles d’enchères devraient ici accueillir une soucoupe en pâte tendre de Vincennes (vers 1755), ornée de guirlandes de fleurs polychromes et peignées or, issue probablement du premier service de Louis XV pour le château de Versailles (15 000/20 000 €), et un pot à pommade de Chantilly (vers 1740-1750), voir photo) décoré dans le style Kakiemon du Japon (8 000/12 000 €, reproduit ci-contre). Et surtout une assiette en porcelaine dure de Sèvres (reproduite page 16) à fond noir à base d’oxyde de fer, de cobalt et de manganèse — imitant l’aventurine ou le laque. Ces productions font écho au renouveau du goût pour les meubles en laque. L’argent s’oxydant, le platine le remplace avantageusement. Entre 1790 et 1793, la manufacture va ainsi réaliser une quarantaine de vases, pots à eau, bougeoirs, services à thé et de table, destinés aux clients fortunés et aux cours européennes. Quinze assiettes sont aujourd’hui conservées au musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, douze autres au Metropolitan Museum de New York. Aujourd’hui, Christophe Perlès quitte ce «métier excitant» d’un cœur léger. «J’achète et je vends énormément, et comme je ne sais pas freiner, j’arrête !» Il reviendra plus tard, tranquillement, autrement. Pour l’heure, il revient à ses premières amours, le Japon. Il est passionné par les porcelaines, mais surtout par les laques, l’art du métal, un domaine où la qualité prime sur l’ancienneté. Ne l’effacez pas toutefois du paysage des ventes publiques. Le 18 juin prochain, il sera en train de chiner dans le sud de la France…
3 questions à
ANTOINETTE FAŸ-HALLÉ
Directrice du musée national de la céramique de sèvres de 1981 a 2009, cette spécialiste, aujourd’hui à la retraite, est une conférencière dans l’âme. En novembre dernier, elle a publié le catalogue de «la mirifique collection de céramique du château-musée de Saumur» et prépare celui des collections du musée jacquemart-andré.