Buffet : accessoire et portrait psychologique

On le sait, Bernard Buffet travaillait par séries. Les paysages, les horreurs de la guerre, les scènes d’intérieur puis religieuses, la corrida, le théâtre japonais et même Vingt mille lieues sous les mers se sont succédé sous son pinceau au fil des expositions annuelles à la galerie Maurice Garnier. Bien que plus rare au vu de l’ensemble de son travail, le portrait marqua tout particulièrement le début de sa carrière. Le jeune prodige qui ne resta que deux ans à l’École des beaux-arts, décidant de terminer sa formation seul, obtient à 20 ans seulement le prix de la Critique, avant d’être désigné en 1955 «meilleur peintre français de l’après-guerre» par le magazine Connaissance des arts. Le premier tableau qu’il présente lors d’une exposition, celle de 1946 à la galerie des Beaux-Arts, n’est autre qu’un autoportrait. Les années 1950 verront ainsi l’aboutissement de plusieurs séries de figures, comme, en 1955, celles d’une dizaine de collectionneurs qui le soutiennent ou, en 1959, celle de son épouse Annabel. Daté de cette année-là, notre portrait à la fraise se place donc dans la meilleure partie de sa carrière. Déjà, Buffet connaît le succès médiatique et artistique, mais sa peinture n’en demeure pas moins authentique et personnelle. Cette œuvre offre également une belle originalité par son format horizontal, plutôt rare dans cet exercice, son fond neutre, permettant de privilégier l’étude psychologique du modèle, et sa palette de couleurs, à cette époque encore très restreinte voire monochrome. Au visage triste et aux traits tirés s’oppose – et s’impose – cette gigantesque fraise, accessoire pour le moins détonnant que l’on retrouve dans nombre de figures de clown peintes par Bernard Buffet, mais aussi dans un Autoportrait daté de 1961, et vendu le 18 novembre 1992 par la maison parisienne Loudmer. Une composition dans laquelle Buffet portait également un vêtement jaune à peine visible sous la collerette en dentelle…