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Bernard Ruiz-Picasso, retour à Boisgeloup

Publié le , par Éric Jansen

Alors que le musée Picasso célèbre Olga, son petit-fils entrouvre la porte de la maison de Boisgeloup, où l’artiste a vécu avec sa femme de 1930 à 1935. Un lieu symbolique que Bernard et son épouse Almine souhaitent dorénavant associer à l’art contemporain.

Bernard Ruiz-Picasso devant l’Hispano-Suiza de son grand-père. Bernard Ruiz-Picasso, retour à Boisgeloup
Bernard Ruiz-Picasso devant l’Hispano-Suiza de son grand-père.


Tout le monde connaît les maisons de Picasso, La Californie, à Cannes, ou le mas Notre-Dame-de-Vie, à Mougins ; mais peu de gens savent que le domaine de Boisgeloup, situé à soixante-dix kilomètres de Paris, occupe également une place importante dans sa vie et dans son œuvre. Picasso achète cette propriété en 1930 et y fait des allers-retours jusqu’en 1937. Il est alors marié à Olga et le couple a un fils, Paul. À Boisgeloup, Picasso se consacre principalement à la sculpture, avec comme modèle… Marie-Thérèse Walter. Olga et lui se séparent en 1935. Boisgeloup est ensuite occupé par Paul, jusqu’à sa mort en 1975. Son fils Bernard hérite de la maison et entame, dans les années 1980, de grands travaux de restauration. En 2000, il épouse la galeriste Almine Rech et Boisgeloup va connaître un nouveau destin. Le couple crée en 2002 la fundacion Almine y Bernard Ruiz-Picasso para el Arte, dont le but est l’étude de l’œuvre de Picasso, mais aussi la constitution d’une collection d’œuvres d’art contemporain. En 2012, ils entrouvrent la porte de Boisgeloup à une centaine de privilégiés, qui y découvrent des œuvres de Franz West et de Cy Twombly, à côté d’une sculpture de Picasso. Cinq ans plus tard, le couple renouvelle la démarche, à l’attention du grand public. Mais seulement les samedis 22 avril, 13 et 27 mai. Picasso rime encore avec rareté.
Pourquoi Boisgeloup est-il resté si longtemps secret ?
La maison n’était pas inconnue des personnalités du monde de l’art, si Werner Spies la mentionne dans son ouvrage sur la sculpture de Picasso, mais c’est vrai qu’on a plus en tête un Picasso créant sur la Côte d’Azur que dans le Vexin français. On connaît aussi l’atelier de la rue des Grands-Augustins, parce qu’il y a peint Guernica, et le château de Vauvenargues, parce qu’il y est enterré.
Qu’est-ce qui séduit Picasso à Boisgeloup ?
Quand il découvre la propriété, elle n’est pas en bon état ; il n’y a pas de chauffage, et la maison est vide de meubles. C’est Olga et Coco Chanel qui aménageront les lieux, rapidement, car avec Picasso, il fallait que les choses aillent vite. Ce qui emporte sa décision, ce sont les communs : Picasso voit qu’il aura la place nécessaire pour se consacrer à ses recherches sur la sculpture.
Connaît-on les œuvres qu’il a créées dans cette maison ?
À Boisgeloup, il expérimente le modelage, le plâtre, les objets trouvés à portée de main, du fil de fer, du bois, du grillage de clapiers à lapin. Il réalise ses premières sculptures-assemblages. Sur une photo de Brassaï, on en voit une monumentale qui a disparu ensuite, parce que la structure n’a pas tenu. Et puis, il y a bien sûr les grandes têtes de femme que lui inspire Marie-Thérèse en 1932.

 

Une sculpture d’Aaron Curry dans le parc. Bernard Ruiz-Picasso et son épouse Almine souhaitent faire de Boisgeloup un lieu ouvert à l’art contemporain
Une sculpture d’Aaron Curry dans le parc. Bernard Ruiz-Picasso et son épouse Almine souhaitent faire de Boisgeloup un lieu ouvert à l’art contemporain.

Il vit avec Olga, mais c’est Marie-Thérèse qui pose ?
Marie-Thérèse venait assez souvent à Boisgeloup, quand ma grand-mère et mon père étaient à Paris. Picasso a trouvé le moyen de vivre avec Olga, tout en menant une vie extraconjugale avec Marie-Thérèse, ce que ma grand-mère savait. Boisgeloup, c’est l’époque de la métamorphose, un moment charnière dans l’évolution de son œuvre. Picasso est dans une situation qui lui donne de la matière à façonner. Pour lui, atelier et maison, création et vie amoureuse se confondent. Les situations qu’il connaîtra par la suite seront encore plus complexes.
Dans les années 1950, Picasso, qui n’est jamais revenu à Boisgeloup, souhaite que Paul s’en occupe. Qu’en est-il exactement ?
Oui, il lui demande de réinvestir cette propriété. Mon père y revient avec ma mère, de Pâques à l’automne, parce que la maison n’était pas chauffée. Nous y vivions de façon extrêmement simple, tout tombait un peu en ruine, je me souviens qu’il y avait des étais dans l’escalier ; un jour, mon père a traversé le plancher et a failli se tuer. Le pigeonnier était aussi à moitié écroulé, Picasso a demandé à mon père de le restaurer, mais cela ne l’intéressait pas. Il n’avait qu’une envie : avoir une maison moderne.

"À Boisgeloup, picasso mélange création et vie sentimentale. c’est un moment charnière dans l’évolution de son œuvre"

Hormis ce côté spartiate, en avez-vous gardé de bons souvenirs ?
Oui, c’était un lieu de vacances très agréable, dans une ambiance campagnarde, avec les fermes, les moissons, les bois, les cabanes, les copains du village. L’environnement n’avait rien à voir avec aujourd’hui, on se sentait très loin de Paris.
Quand vous héritez de cette maison après la mort de votre père, y a-t-il encore des traces du passage de Picasso ?
Il y a bien quelques meubles, mais il n’y a plus d’œuvres. Picasso avait mis, avant la guerre, ses plâtres à l’abri. Au deuxième étage, dans une chambre qu’il avait transformée en atelier, où il a peint des tableaux de Marie-Thérèse et des vues de Boisgeloup, on trouve encore des taches de peintures au sol. Dans les communs, il y a aussi un grand escabeau que l’on distingue sur les photos de Brassaï.
Sans oublier la voiture, la fameuse Hispano Suiza…
Je l’ai récupérée dans l’atelier du Fournas à Vallauris. Elle était dans un état pitoyable, mais j’ai absolument voulu la faire restaurer car mon père l’a beaucoup conduite dans les années 1950, emmenant Picasso partout sur la Côte d’Azur. C’est le modèle H6B de 1930 acheté par Picasso pour pouvoir aller en Espagne. Aujourd’hui, c’est moi qui la conduis sur les petites routes de campagne.

 

Le château de Boisgeloup, à Gisors est une gentilhommière achetée par Picasso en 1930.
Le château de Boisgeloup, à Gisors est une gentilhommière achetée par Picasso en 1930.

 

Est-ce l’exposition «Olga» au musée Picasso qui vous incite à entrouvrir Boisgeloup ?
Le projet de l’exposition «Olga», dont je suis l’un des commissaires, est né il y a de nombreuses années. Cela fait longtemps que je traite un fonds d’archives inédites, avec une importante correspondance d’Olga. Son étude a permis de mieux comprendre sa personnalité, sa mélancolie : au fil des lettres, elle apprenait la disparition de toute sa famille emportée par la Révolution russe. 2017 correspond au centenaire de sa rencontre avec Picasso, c’était donc la date parfaite pour lui rendre hommage. Se sont ensuite greffés d’autres projets, comme l’exposition consacrée à Boisgeloup au musée des beaux-arts de Rouen et l’ouverture de la maison. Au fond, tout se complète.

Avec cette particularité qu’à Boisgeloup, vous exposez aussi de l’art contemporain…
Cette présence de l’art contemporain a été initiée par Almine. Toute la dynamique de ce lieu est reliée à mon épouse. Sans elle, je n’aurais pas eu la volonté ou l’énergie de le faire. En 2012, nous avions présenté, le temps d’une soirée, des sculptures de Picasso, Franz West, Cy Twombly et David Smith. Cette fois, des œuvres de Joe Bradley sont exposées dans les communs, d’autres de Don Brown, Aaron Curry ou Dan Graham sont visibles dans le parc. Sous une tente, il y a des pièces de Richard Prince et de Louise Nevelson.

Une façon de prolonger l’histoire de ce lieu, de l’inscrire dans la création du XXIe siècle ?

Oui, absolument. C’est un peu obsédant, Picasso… Le fait d’être l’héritier peut inciter à se refermer sur soi-même, à se replier sur un passé qu’on idéalise. Ma rencontre avec Almine m’a fait entrer dans l’univers de la création contemporaine ; j’avais déjà des relations avec des artistes, mais nous sommes à présent des deux côtés.
Cela rend-il cet héritage moins lourd ?
J’ai eu énormément de chance de naître dans cette famille, d’avoir ce patrimoine. Si je peux le faire partager, tant mieux. La fondation que nous avons créée avec Almine en 2002, au moment de l’ouverture du musée de Malaga, est notre façon de le vivre. Nous collectionnons aussi de l’art contemporain, c’est une chose assez naturelle, cela donne une dynamique à notre démarche. L’art fait évoluer sans cesse la perception que l’on en a.

BERNARD
RUIZ-PICASSO

EN 5 DATES
14 juin 1959
Naissance à Bayonne
8 avril 1973
Mort de Pablo Picasso, son grand-père
5 juin 1975
Mort de Paul Picasso, son père
2002
Création de la fundación Almine y Bernard Ruiz-Picasso para el Arte
Avril et mai 2017
Exposition d’art contemporain au château de Boisgeloup
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