Homme «indépendant, obstiné, un peu excentrique», Atget a, avec des moyens presque archaïques, immortalisé un Paris «pittoresque et artistique» à sa manière : patiente, minutieuse, documentaire… et dotée d’un instinct esthétique.
Un escalier aux marches de pierre usées, quoi de plus banal ! Sous l’œil d’Eugène Atget, il devient une œuvre d’art par le choix de la prise de vue, plus ou moins éloignée de son sujet, par la recherche d’un éclairage pour donner de la profondeur à la scène et par la qualité et le soin du tirage. Issu d’une famille de selliers-carrossiers de Libourne, orphelin tout jeune, et élevé par ses grands-parents, il désire devenir comédien et, en 1878, «monte» à Paris. Atget joue plutôt les utilités que les premiers et même seconds rôles. Il ne devient photographe professionnel qu’en 1890, ne se déclarant «auteur-éditeur d’un recueil photographique du vieux Paris» qu’en 1912, comme malgré lui. Discret, effacé presque, il allait d’atelier en maison d’édition vendre pour quelques sous ses albums et ses tirages. Sa gloire sera posthume, 1 300 négatifs et 7 000 tirages y compris des doubles sont acquis en 1928, l’année après sa mort, par Berenice Abbott et exposés peu après à la galerie Julien Lévy à New York. Man Ray, son voisin, avait déjà constitué un album de 47 vues diverses vitrines de grands magasins, prostituées, mannequins de cire, zones, fêtes foraines, bistrots, rues brumeuses…, sujets repris par la peinture, le cinéma et la chanson. Ce qui nous touche encore, plus que le côté inventaire, ce sont ces instants qui nous semblent volés, en fait longuement mûris. Atget utilisait une vieille boîte en bois, des plaques en verre, et un trépied. L’éditeur Camille Recht use de cette métaphore : «Le violoniste doit d’abord créer la note, il doit la chercher, la trouver en un éclair, tandis que le pianiste frappe sur une touche : la note retentit.»
Le photographe dépendant d’un objet mécanique se rapproche du pianiste. La grande rétrospective proposée en 2007 à la Bibliothèque nationale a montré un «Atget pionnier pour des photographes qui ont entretenu le style documentaire rigoureux dont il ne s’est jamais départi depuis la fin des années 1880 jusqu’à sa mort, en 1927». L’escalier devenu un motif récurrent, parions cependant que le photographe était surtout séduit par les jeux de ligne des rampes en fer forgé, les points de focalisation obtenus ainsi que les jeux d’ombre ; que ce soit L’Escalier de l’ancien monastère des bénédictins anglais, Paris (1898), ou celui de L’Ancien Cloître des Chanoines, Meaux (1908), soulignant davantage la mélancolie sereine du lieu. Piéton archiviste d’un temps passé et d’un temps qui passe, Atget le revendique en ces termes : «Cette énorme collection artistique et documentaire est aujourd’hui terminée. Je puis dire que je possède tout le vieux Paris.»