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Anne-Aymone Giscard d’Estaing vend une partie de ses collections

Publié le , par Sylvain Alliod
Vente le 13 décembre 2022 - 14:00 (CET) - Salle 5-6 - Hôtel Drouot - 75009
Cet article vous est offert par la rédaction de la Gazette

Pas moins de 181 numéros sont inscrits au catalogue d’une vente à pedigree, celui des collections d’’Anne-Aymone et Valéry Giscard d’Estaing. Entre provenances familiales et choix artistiques, portrait des goûts d’un couple présidentiel.

© JEAN-CLAUDE DEUTSCH/PARISMATCH / SCOOP Anne-Aymone Giscard d’Estaing vend une partie de ses collections
© JEAN-CLAUDE DEUTSCH/PARISMATCH / SCOOP

Madame Giscard d’Estaing, quelles sont vos motivations pour procéder à cette vente ?
Après le décès de mon mari, l’hôtel particulier où nous habitions, rue Bénouville, dans le 16
e arrondissement de Paris, était devenu trop grand pour que j’y vive seule. Mes enfants ont fait le choix des meubles et tableaux qui leur convenaient et j’ai réalisé une sélection à la taille de mon nouvel appartement. Malgré l’attachement que l’on porte à des objets, vient un moment où le principe de réalité nous rattrape, et il faut s’en séparer... Il y a par exemple cet imposant bureau de Garnier et son cartonnier, difficiles à placer dans un logement moderne. Je l’aime beaucoup et je l’ai connu toute ma vie. Il était au château du Fresne, en Touraine, où j’ai grandi. Je m’y suis mariée et nous y avons habité une bonne dizaine d’années avec mon mari. Nos enfants ont été élevés là. D’après la légende familiale, ce grand bureau, qui aurait appartenu au duc de La Vallière, a été acheté par mon arrière-grand-père durant le siège de Paris au moment de la guerre de 1870.
Votre collection est constituée d’un fonds familial et de biens que vous avez achetés. La lecture du catalogue de la vente montre que vous avez acquis des meubles et objets ayant appartenu à votre famille…

Mon mari était très attaché aux objets de famille et, si nous pouvions prendre la décision de ces achats ensemble, il a pu quelquefois en prendre seul l’initiative. Il ne me soumettait pas toujours ses acquisitions, j’avais quelquefois des surprises ! Parmi les meubles, il y a par exemple la commode Louis XV de Rochette, à panneaux de laque, que nous avons trouvée en 1993, à Drouot. Elle avait appartenu à une princesse de Faucigny-Lucinge au début du XXe siècle, et ma grand-mère Brantes, née Schneider, l’avait achetée. Ma mère en avait ensuite hérité. Valéry était par ailleurs passionné par la céramique. Il a complété des pièces de Sèvres qui venaient de ma famille, notamment de ma grand-mère Schneider. Il a par exemple acquis les deux assiettes du service «petits vases et guirlandes» de madame du Barry.
Votre mari se faisait-il conseiller pour ces achats de céramiques ?

Il suivait attentivement les ventes aux enchères. Il était très lié avec Maurice Aicardi, très grand connaisseur et collectionneur, qui a été pendant des années son conseiller principal. Valéry ne se limitait pas aux porcelaines de Sèvres : il aimait également beaucoup les sujets en porcelaine de Meissen, comme les quatre statuettes acquises à Drouot en 1991, qui ont appartenu à Gustave de Rothschild. Il avait aussi réuni une importante collection de faïences de Clermont-Ferrand, dispersée au moment de la vente du contenu du château de Varvasse, que nous possédions à Chanonat, dans le Puy-de-Dôme. Il était très attaché à ses racines auvergnates et c’est comme cela qu’il a acquis cette très originale et extraordinaire pendule d’époque Empire, qui est en réalité la maquette d’un monument à la gloire de Louis Charles Antoine Desaix, général de la Révolution, qui était Auvergnat. Il se trouve que mon mari a été conseiller général du canton d’où était originaire Desaix. Aussi se sentait-il une familiarité avec ce personnage.
 

Adélaïde Labille-Guiard (1749-1803), Portrait d’Étienne François de Choiseul-Beaupré Stainville, duc de Choiseul (1719-1785), huile sur to
Adélaïde Labille-Guiard (1749-1803), Portrait d’Étienne François de Choiseul-Beaupré Stainville, duc de Choiseul (1719-1785), huile sur toile, 72 56 cm. 
Estimation : 30 000/50 000 €. 
Adjugé : 243 200 €
Auguste Rodin (1840-1917), Gustav Mahler, type tête B ou seconde version, épreuve en bronze patiné, signée, Alexis Rudier fondeur, 34 x 24
Auguste Rodin (1840-1917), Gustav Mahler, type tête B ou seconde version, épreuve en bronze patiné, signée, Alexis Rudier fondeur, 34 24 23,5 cm, modèle créé en 1909, fondue entre 1911 et 1914. 
Estimation : 20 000/30 000 €. 
Adjugé : 147 200 €


Il semblait également avoir des affinités avec l'époque Louis XV…
C’était en effet une période artistique qui l’attirait énormément et j’ai le souvenir de la grande exposition qui a eu lieu en 1974 sur cette époque, sommet de l’art français. L’autre jour, le conservateur de Versailles me disait que, dans l’actuelle exposition célébrant le règne du Bien-Aimé, il se réfère très souvent à celle inaugurée par mon mari, qui venait alors d’être élu président. Valéry était aussi bien intéressé par l’homme politique qu’était le roi que par l’amateur d’art et mécène. C’est un peu comme pour le portrait de Choiseul par Adélaïde Labille-Guiard. Il admirait autant le grand ministre d’État que l’amateur d’art et collectionneur.
Le sommaire de la vente comprend aussi une belle sélection de bronzes, notamment le portrait de Gustav Mahler par Rodin, est-ce un choix du Président ? 
Valéry a acheté ce bronze, auquel il était très attaché, en raison de son double intérêt : pour le compositeur et pour le sculpteur. C’était un grand amateur de musique classique. Il avait étudié le piano et, quand il en avait l’occasion, il en jouait volontiers. Il avait un attrait particulier pour Mahler et cette tête, il la regardait souvent et y tenait énormément. Mais, plus généralement, il appréciait la sculpture, de la Renaissance à Rodin, avec un goût appuyé pour le bronze. La collection en comprend certains que j’aimais beaucoup, mais je n’en ai conservé qu’un seul, qui venait de ma famille, ainsi que nos deux portraits réalisés dans les années 1970 par une artiste contemporaine.
Était-il bibliophile ?

Mon mari a acheté des livres, mais il n’était pas un bibliophile à proprement parler. Il se trouve que notre propriété en Auvergne en contenait un grand nombre, car mon beau-père leur était extrêmement attaché. Néanmoins, notre maison à Authon, en Touraine, a une belle bibliothèque, contrairement à Paris, où nous n’en avions pas.
 

Époque Empire. Pendule simulant une fontaine en bronze doré et bronze patiné surmontée d’une statue allégorique à la mémoire du général De
Époque Empire. Pendule simulant une fontaine en bronze doré et bronze patiné surmontée d’une statue allégorique à la mémoire du général Desaix (1768-1800), mouvement à deux cadrans tournant à guichet dans une colonne en bronze doré ornée d’un bas-relief allégorique, socle pivotant posé sur une colonne en marbre bleu turquin et marbre blanc, h. 89, diam. 42 cm. 
Estimation : 20 000/30 000 


Et vous, madame, quelles sont vos prédilections en matière de thématiques de collection ?
Mes goûts étaient plus modestes. J’ai fait une collection de noix de coco sculptées, dont j’ai conservé quelques exemplaires. J’en avais réuni un grand nombre au fil des années. L’origine de mon attrait remonte à une boîte en buis sculpté, qui avait été offerte à mon grand-père lorsqu’il a pris sa retraite de général. Elle était ornée de motifs militaires et, enfant, j’étais fascinée par cette boîte. Je me suis donc intéressée aux objets sculptés en bois et j’ai ainsi découvert les noix de coco. Je les ai trouvées assez fascinantes car elles sont très variées. J’aime les sujets, qui sont très divers, et souvent inattendus. Il y en a par exemple qui montrent des trophées d’instruments de musique, d’autres des sujets cynégétiques, militaires aussi. Napoléon a inspiré un certain nombre de ces artistes. J’ai par ailleurs acquis d’autre petits objets en bois, en buis notamment. Mais j’ai aussi acheté des choses ayant trait à ma famille. Je me souviens avoir enchéri une fois pour l’achat d’un portrait alors que je participais à une chasse en Espagne. J’ai dû monter sur une colline pour avoir du réseau et pouvoir prendre part à la vente par téléphone. Et j’ai obtenu le tableau ! En revanche, je ne suis pas sûre que j’aurais beaucoup insisté pour obtenir celui de Joseph Boze, acquis en 1978 dans une vente parisienne de souvenirs historiques de la famille royale de Bourbon, de son château de Frohsdorf, représentant le duc de Berry enfant, dont je descends. C’est un joli portrait mais je trouve que le modèle manque de séduction…

Que retenez-vous du palais de l’Élysée ?
L’Élysée était parfait pour les réceptions, mais absolument pas pour abriter une famille avec quatre enfants. Ce n’est pas une maison vraiment chaleureuse car c’est avant tout le siège d’une administration. Nous avons donc continué à habiter rue Bénouville. Mais Valéry et moi tenions à ce que le palais soit une belle vitrine des arts décoratifs français, et il communiquait donc beaucoup avec le Mobilier national pour trouver les objets qui convenaient. Il était plus attiré par le XVIIIe siècle, et certaines pièces décorées par les Pompidou vieillissaient mal. Aussi ont-elles été réaménagées de manière plus classique. J’y avais un bureau où j’allais régulièrement. J’y traitais notamment de la création de la Fondation pour l’enfance.
Comment est née cette fondation ?
En tant qu’épouse de président, je recevais un courrier considérable, des dizaines de lettres par jour, en général des cas désespérés. Quand les gens avaient tout essayé, j’apparaissais comme l’ultime recours à leurs malheurs. Face à ces situations dramatiques, j’avais créé une commission pour essayer d’aider au maximum ces personnes qui me contactaient. Nous nous sommes aperçus qu’il y avait un grand nombre d’enfants subissant des violences de toute espèce, et nous avions très peu de réponses à apporter. Quand mon mari a proposé de me donner les droits d’auteur de son livre Démocratie française, qui s’est extrêmement bien vendu, j’ai utilisé ces fonds pour créer une fondation dont le but était la protection des enfants victimes de maltraitance. Entre 1990 et 2010, nous avons organisé de grandes soirées à Versailles. Elles avaient un grand succès car j’invitais des souveraines et des vedettes, qui donnaient un lustre particulier à l’événement. Cela rapportait des sommes non négligeables, qui m’aidaient à faire vivre la fondation.Je l’ai dirigée et présidée durant trente-cinq ans, avant de la transmettre à une autre fondation. Mais je vois avec regret et tristesse que les violences faites aux enfants n’appartiennent pas au passé…
 

Pierre Garnier (reçu maître le 31 décembre 1742), époque Louis XVI, bureau plat de milieu en placage d’amarante, pieds en gaine à cannelur
Pierre Garnier (reçu maître le 31 décembre 1742), époque Louis XVI, bureau plat de milieu en placage d’amarante, pieds en gaine à cannelures de laiton, 79  232 129 cm, cartonnier associé en placage d’amarante intégrant un baromètre à mercure et un régulateur signé «F. Ageron à Paris», et une sphère armillaire en bronze rapportée, 231 130 81 cm. 
Estimation : 300 000/400 000 


Vous vendez votre collection à Drouot. Durant les travaux de reconstruction de l’hôtel des ventes, dans la deuxième partie des années 1970, celui-ci a occupé la gare d’Orsay, que votre mari avait destinée à devenir le musée que l’on connaît…Valéry a en effet joué un rôle essentiel dans la naissance du musée d’Orsay car, quand il a été élu, il a sauvé la gare, que le président Pompidou avait envisagé de détruire. Il a pris une part très active à la constitution des collections et a pesé de tout son poids pour que le Louvre accepte de se dessaisir de ses collections postérieures à 1848. Ma famille et moi avons un regret : si l’établissement public s’appelle depuis 2021 «musée d’Orsay et de l’Orangerie — Valéry Giscard d’Estaing», nous souhaiterions que le musée d’Orsay porte plus visiblement le nom de mon mari.
Un dernier mot ?

Je souhaite simplement que les meubles, tableaux et objets qui vont être dispersés trouvent des propriétaires qui les aiment autant que nous le faisions.

 
Anne-Aymone et Valéry Giscard d’Estaing
en 5 dates

1952 Mariage civil le 17 décembre, à Paris, et religieux le 23, au château du Fresne, à Authon
1974 Valéry Giscard d’Estaing est élu président de la République française
1977 Anne-Aymone Giscard d’Estaing crée la Fondation pour l’enfance
1986 Élection de Valéry Giscard d’Estaing à la présidence du Conseil régional d’Auvergne
2020 Décès le 2 décembre de Valéry Giscard d’Estaing, dans sa 95e année
mardi 13 décembre 2022 - 14:00 (CET) - Live
Salle 5-6 - Hôtel Drouot - 75009 Paris
Beaussant Lefèvre & Associés
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