Acquise directement auprès de l’artiste, cette toile a été peinte par Achille Laugé en 1896, en plein apogée de son œuvre marqué par un pointillisme vivant. Un paysage qui nous ramène aussi sur l’un des lieux favoris de l’Audois.
Peinte en 1896, cette toile appartient à la série décrivant « L’Hort, route de Cailhau », dont une autre version très célèbre, aux couleurs printanières, est aujourd’hui conservée au musée Fabre de Montpellier. La nôtre fut offerte en cadeau de mariage à une chirurgienne-dentiste de la région, qui, séduite, en acheta deux autres directement auprès du peintre (Genêts devant une maison, vers 1924, présentée à 6 000/8 000 €, et Genêts de 1921, à 8 000/10 000 €). Ces trois toiles, inédites sur le marché, sont restées dans sa descendance jusqu’à nos jours. Une fois de plus, Laugé ne s’est presque pas éloigné de L’Alouette, sa maison édifiée en 1895 sur les terres familiales ; la bâtisse visible au bout du chemin n’est autre que celle de son voisin, située sur le lieudit Hort, mot gascon signifiant « jardin ». Près de 90 % de ses tableaux ont été peints dans un périmètre de trois à cinq kilomètres autour de son foyer ! Une incroyable obsession, qui n’est pas sans évoquer celle de Claude Monet pour son jardin de Giverny. Tout comme lui, Laugé s’était d’ailleurs fabriqué une « roulotte chevalet », en 1905, qu’il poussait à mains nues sur les routes… Voulant se rendre sur le motif plus vite et restituer par n’importe quel temps ses précieux paysages, il fit une fois encore évoluer sa touche vers toujours plus de liberté.
Les leçons de Cézanne et de Signac
Si Achille Laugé consacre sa carrière à la peinture de paysage, il ne considère pas son travail de la même manière qu'un peintre réaliste hollandais du XVIIe siècle ou qu'un impressionniste du XIXe. Ses œuvres reposent sur les lignes de construction, sur l’harmonie entre diagonales, verticales et horizontales. « Il a un rapport très cézannien avec le paysage », confirme la spécialiste de l'artiste Nicole Tamburini. En témoigne cette vue de L’Hort près de Cailhau, concentrée sur l’essentiel : une route en contrebas de laquelle se place le spectateur, une ligne dynamique avec les maisons en point de mire, des arbres accompagnant le mouvement de perspective de chaque côté, enfin une ouverture vers une nature scintillante à droite. Il offre à ce tableau une vibrante animation, tant par sa construction que grâce à ses touches colorées. Ainsi, poursuit Mme Tamburini, l'œuvre « se situe dans la meilleure période de l’artiste, dans la seconde moitié des années 1890, où l’on voit Laugé abandonner le tout petit point du début de la décennie pour ce bâtonnet très fin qui crée ce caractéristique treillis de hachures »… Avec beaucoup de sensibilité et de spontanéité, il anime l'ensemble, proposant sa propre interprétation du néo-impressionnisme, figé, créé par Georges Seurat en 1886 avec le Dimanche après-midi à l'île de la Grande Jatte. Il suit plutôt là les préceptes de Paul Signac, qui refusait d’être appelé « pointilliste », appelant de ses vœux la création d’une touche résolument vibrante et vivante. Laugé module ainsi la sienne en fonction de l’effet recherché. Tantôt elle s’allonge pour suivre la trajectoire de la route, accompagnant le mouvement vers l’avant qu’effectue naturellement notre regard, tantôt elle se sculpte pour donner leur texture aux troncs d’arbres. La palette est au diapason : le rouge, le bleu et le jaune s’associent à leurs complémentaires, le violet, l’orangé et le vert, afin de faire scintiller ce paysage de début d’automne.