À Montpellier, une nouvelle entité entend redistribuer les cartes de l’art contemporain avec la réhabilitation d’un hôtel particulier pour accueillir des collections inédites. Un établissement ancré dans le territoire et ouvert sur l’ailleurs.
On y est ! À deux pas de la gare Saint-Roch, le MoCo (pour Montpellier Contemporain) inaugure l’«Hôtel des collections», maillon principal de cette structure tripartite prenant place dans un bâtiment édifié au XVIIIe siècle, l’hôtel Montcalm. «Ce projet est issu d’une volonté politique, explique Philippe Saurel, maire et président de Montpellier Méditerranée Métropole. Avant mon élection, j’avais la sensation que l’art contemporain n’existait pas ou peu dans les propositions culturelles de la ville. En 2014, alors en fonctions, j’ai réalisé ma promesse de créer un centre d’art contemporain.» Mais le nouvel édile se heurte à un projet de musée de l’Histoire de France en Algérie, initialement prévu et porté par son prédécesseur, Georges Frêche. La lenteur des délais et des travaux aidant, ledit projet se réoriente vers le MoCo, incluant deux institutions en activité : l’école supérieure des beaux-arts et le centre d’art contemporain La Panacée, qui se consacre dès lors à la création émergente. Nicolas Bourriaud, son directeur, est nommé à la barre de ce grand navire de la culture et la styliste Vanessa Bruno, à la présidence du conseil d’administration. Troisième figure de la triade, l’architecte et urbaniste Philippe Chiambaretta. Il est le fondateur de l’agence PCA-Stream, qui dirige les travaux de réhabilitation de l’hôtel particulier. L’ambition de Philippe Saurel est claire : offrir un lieu de vie accessible à tous, dans une métropole qui soit productive, attentive à l’environnement, à l’humain et ouverte sur le monde. «Le MoCo crée de la valeur ajoutée, indique-t-il, produit des emplois, de la civilisation, de la conscience, du social, comme la culture dans son acception globale. Fruit, entre autres, de la réhabilitation d’une friche sur une ligne de tramway, il est écoresponsable. Enfin, il est solidaire et connecté tant au niveau local, régional qu’international.»
Un patrimoine «réenchanté» par l’art
Pour atteindre ces desseins, il fallait une intervention architecturale pertinente mais non spectaculaire. «Le temps des architectures-logos comme le Guggenheim de Bilbao n’est plus, commente Nicolas Bourriaud. La question était plutôt de savoir comment nous allions faire pour réenchanter un lieu de patrimoine sans geste radical.» En réhabilitant le bâti de manière douce, et en accordant une grande place aux productions artistiques… «Le MoCo explore les transformations de la ville par l’art, peut-on lire sur le site de l’agence d’architectes, selon un modèle organique répondant aux enjeux de régénération des cœurs historiques et de recyclage de l’architecture existante.[…] Ce “réenchantement” se fait également au travers de l’action d’artistes transformant le fonctionnel en fictionnel.» Dès la grille d’entrée, côté rue de la République, le visiteur est invité à vivre une «expérience sensorielle et poétique» dans le «jardin magique» du parc Emmanuel-Roblès. Ouvrant sur la bâtisse patrimoniale, autrefois propriété de l’armée française, un atlas botanique sorte de mappemonde végétale imaginée par l’artiste Bertrand Lavier représente les cinq continents. À l’entrée de l’édifice, une baie vitrée tel un sas met le public en contact direct avec la création actuelle, à travers des interventions ponctuelles, dont la première est confiée à la plasticienne alésienne Mimosa Echard. Au rez-de-chaussée, en enfilade, se trouvent les services de réception, de restauration et une boutique-librairie. Au plafond du restaurant-bar, dont l’architecture rénovée révèle comme pour les autres salles une signature originelle très XVIIIe, se déploie Idle Mode, une pièce lumineuse de Loris Gréaud conçue pour le lieu. En d’autres termes, un jardin de tous les mondes, un sas d’entrée et un premier niveau symbolisant le respect du patrimoine et de son histoire, pour les cultures locales et internationales à l’image des «couleurs» de la cité via le prisme de l’art contemporain. Enfin, à l’arrière, sur la rue Joffre, la Cour des fêtes disponible à la privatisation présente une vue sur le Cube. Cet unique ajout géométrique au bâtiment historique investit l’espace auparavant réservé au mess des officiers.
Un «musée des musées»
Mais c’est à l’étage inférieur que se découvre ce qui anime Nicolas Bourriaud depuis son arrivée à la direction de La Panacée, en mars 2016 : la présentation de «projets consacrés exclusivement aux collections publiques ou privées du monde entier, peu voire pas du tout connues du public.» Des mises en lumière d’ensembles individuels, de fondations, d’artistes et d’autres, renforçant les propos de Philippe Saurel lorsqu’il affirme que «l’ère n’est plus à la possession mais au partage, au flux, au faire-connaître.» Et Nicolas Bourriaud d’ajouter : «Hors des sentiers battus, ce musée qui n’en est pas un va donner des points de vue sur ceux des autres.» Exposé pour trois mois, le premier ensemble, initié en 2011, est celui de l’entrepreneur japonais Yasuharu Ishikawa. Sous le commissariat de Yuko Hasegawa, directrice du musée d’Art contemporain de Tokyo, «Distance intime» présente une sélection de pièces multimédia d’artistes comme On Kawara, Pierre Huyghe, mais aussi Félix González-Torres, Simon Fujiwara, Danh Võ, Gerhard Richter ou Marcel Broodthaers. «C’est une collection d’œuvres des années 1960 à nos jours qui révèle une histoire à la fois intime et universelle, et porte sur des questions familiales, d’écologie, de migration…» Mais le directeur prévient : «À travers ces monstrations, nous ne cherchons pas à célébrer le marché de l’art mais plutôt à souligner la cohérence d’une quête et à être le plus inattendu possible.» Preuve en est encore, dès octobre prochain, avec un second focus sur une «collection jamais exposée de la galerie Tretiakov, à Moscou, créée dans l’optique d’un musée d’art contemporain n’ayant jamais vu le jour.»
Rééquilibrer les pôles
Musée des collections sans collection propre, l’ex-hôtel Montcalm est donc le maillon central d’une structure originale, multi-sites, présente à tous les échelons du parcours artistique. «De la formation aux résidences, en passant par les lieux d’exposition, de création, de médiation et de publication, ce triptyque est unique au cœur du paysage culturel national et international, indique le maire. C’est le seul centre d’art contemporain public ouvert en France depuis l’inauguration du Palais de Tokyo en 2002, et le seul en Europe en 2019.» Une structure horizontale dont la stratégie de développement combine des énergies préexistantes et tisse des liens avec d’autres institutions emblématiques, comme par exemple le musée Fabre. «Fabre, c’est la puissance “collectionnante” par excellence, explique le directeur. Nous sommes partenaires et complémentaires.» Ainsi le MoCo s’attribue-t-il plusieurs rôles, dont celui d’assurer un nouvel équilibre des forces culturelles au sein de la ville et de la région, et au sud de l’Europe. Ambitionnerait-il également de contrecarrer le potentat culturel de Paris ? «La France souffre d’une centralisation extrême, conclut-il, qui finit par devenir un handicap évident avec l’évolution de l’immobilier parisien […], entraînant un “devenir-luxueux” des commerces et des institutions, et l’exode des artistes. Dans un futur proche, la concentration […] dans une seule ville deviendra absurde : Paris risque de devenir un grand showroom doublé d’un immense édifice administratif, supposé gérer le reste du pays. Montpellier Contemporain veut ouvrir d’autres voies et créer une polarisation artistique existant dans tous les grands pays.» Intégrant la ville dans sa géographie connectée, ce lieu de vie multifonctionnel, se voulant également respectueux et sobre, semble faire un pied de nez à un élitisme culturel d’un autre temps. Comme une leçon de la province à la capitale.