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Françoise Costa, la passion en héritage

Publié le , par Eric Chauvel

Fille d’Hélène, fondatrice du Musée provençal du costume et du bijou, et de Jean-François Costa, à l’origine des musées Fragonard à Grasse et à Paris, Françoise Costa dirige avec ses sœurs Anne et Agnès la maison Fragonard, créée par leur arrière-grand-père en 1926.

Françoise Costa. Françoise Costa, la passion en héritage
Françoise Costa.
© Martin Morrell / Fragonard Parfumeur

Dans une famille de passionnés, est-ce que l’affirmation de soi passe nécessairement par la collection ?
Je dirais plutôt par les collections ! Nous avons eu la chance, mes sœurs Anne et Agnès et moi, d’être élevées par deux amateurs qui ont eu plaisir à nous apprendre à regarder un objet. Alors que j’étais enfant, mon père passait des heures à me «raconter» l’histoire de France à travers l’évolution des styles et des arts décoratifs. Très naturellement, j’ai appris à dater une faïence de Moustiers, à distinguer une commode Régence d’une commode Transition et à étudier les poinçons XVIIIe. Avec mes sœurs, lorsque nous avons commencé nos études à Paris, nous nous sommes tournées vers d’autres domaines. Agnès a un goût extrêmement éclectique, et elle achetait tout à la fois des têtes antiques, des textiles ethniques ou des photographies contemporaines. Moi qui étais toujours fourrée aux puces, à Drouot et surtout dans la galerie de Laurence Strapélias, je me suis intéressée au dessin italien des XVIe et XVIIe siècles. Ce n’est qu’à la mort de nos parents que nous avons cessé d’acheter à titre personnel, à quelques exceptions près bien sûr, pour nous dédier complètement aux collections qu’ils ont constituées pour les différents musées de la maison Fragonard. Je crois, en un sens, que nous avons désormais plus de plaisir à acheter pour partager que pour nous-mêmes. Nous sommes heureuses d’en faire profiter. Inconsciemment, sauf pour les costumes anciens, qui nécessitent des précautions liées à la conservation, nous en venons à appliquer l’une des formules favorites de notre père : «Tu n’achètes pas une pièce si tu ne vas pas l’exposer.»
Vous continuez à enrichir leurs collections grâce à une politique d’achat très soutenue. En quoi vos choix se distinguent-ils ?
À travers nos acquisitions, il y a pérennisation de l’esprit de leurs collections, c’est certain. L’Oiseau chéri de Fragonard est un bon exemple (voir Gazette no 26, page 197 Les baisers volés de Grasse). Lorsque l’historienne de l’art Carole Blumenfeld l’a découvert chez un marchand en province, elle était sûre d’elle, mais ne nous avait pas caché qu’il y avait une part importante de risque lié à la restauration (l’œuvre était entièrement recouverte de repeints et d’un épais vernis opaque, ndlr). Elle pensait que seule Isabelle Leegenhoek pouvait se lancer dans un projet aussi délicat. Elle a eu l’élégance de ne pas l’exprimer ainsi, mais il est évident qu’elle ne s’adressait pas par hasard aux filles de Jean-François Costa ! Mon père aurait accepté ce défi, et il aurait surtout adoré ce tableau. Nous sommes extrêmement fidèles à nos parents, tout en prenant plaisir à bâtir de nouveaux ensembles. Pour les objets liés à l’histoire de la beauté et du parfum, mon père avait réuni des collections très complètes, mais je dirais que nous y avons ajouté une part de fantaisie. Nous avons acheté un étonnant flacon de la fin du XVIIe siècle en verre filé de Nevers, un autre en porcelaine de Charles Gouyn datant de 1750, un faucon avec l’inscription «Fidélité» sur le col et «Qui me néglige me perd» aux pieds, un exceptionnel pomander français à huit quartiers de la fin du XVIIe, un flacon en jaspe avec une micromosaïque représentant un oiseau, ou encore des flacons XVIIIe illustrés des Fables de La Fontaine.

 

Pomander à huit quartiers avec compartiments à glissières, chacune gravée d’un nom de parfum : «tubéreuse, binjouin, pastille, ambre, jonquille, musqu
Pomander à huit quartiers avec compartiments à glissières, chacune gravée d’un nom de parfum : «tubéreuse, binjouin, pastille, ambre, jonquille, musque, jasmin et sivette », vers 1680-1683, vermeil et argent, probablement par Antoine II Morelot, Dijon.© Olivier Capp / Fragonard Parfumeur

Comment la présentation des objets de parfumerie a-t-elle évolué depuis l’ouverture du premier musée de la maison Fragonard ?
Dès 1947, mon père avait acquis la collection d’un industriel du parfum grassois installé à Carthage, qui renfermait un ensemble d’objets antiques liés à l’histoire de la beauté. Après la disparition de sa grand-tante Lucienne, le dernier membre de la famille vivant au-dessus de l’usine historique Fragonard à Grasse, il a ouvert un premier cabinet de curiosités. Dans la foulée, il est parti travailler quelques années à New York avec mon grand-oncle Georges. Le XVIIIe siècle chéri par les États-Unis, le «goût Duveen» des period rooms du Metropolitan Museum of Art ou de la Frick Collection l’ont alors considérablement influencé. Que ce soit dans l’usine familiale, dont il n’a cessé d’agrandir la partie liée à la présentation des collections, ou au musée du Parfum, rue Scribe, ouvert au début des années 1980 à Paris, il avait toujours en tête ces grands modèles américains. Or, dix ans plus tard, il a compris qu’il n’était plus possible d’exposer simplement de beaux objets. Pour le théâtre-musée des Capucines, à Paris, nous avons installé en 1992 une usine miniature à partir de modèles anciens réduits d’extraction (une véritable usine est prohibée dans la capitale, ndlr), afin de présenter au public les techniques d’extraction et notre savoir-faire de parfumeur. Pour le musée du Parfum inauguré en 2015 à côté de l’Opéra Garnier, nous nous sommes beaucoup appuyées sur des films d’archives réalisés au début du XXe siècle dans le pays grassois. Ces images sont un témoignage exceptionnel de la pérennité du geste et de l’évolution des techniques. Il y a quarante ans, nous expliquions l’histoire du parfum à partir des flacons : ce n’est plus possible aujourd’hui. Il faut créer un récit autour des objets. Pour les nouveaux espaces de notre musée historique, qui ouvriront leurs portes en février prochain, nous avons imaginé un fil conducteur à partir d’un tableau de la collection Jacques Doucet, conservé au musée Angladon d’Avignon, intitulé Petit salon dit «Fragonard» de Jacques Doucet, rue Spontini. Cette idée suggérée par notre directeur artistique, Jean Huèges, nous a charmées, et permis de faire écho au lieu, un hôtel particulier Napoléon III. Nous inviterons ainsi le public à découvrir une résidence, dans le goût «Marie-Antoinette et Eugénie», d’un collectionneur parfumeur du second Empire.
La maison Fragonard possède aujourd’hui la plus grande collection au monde de flacons anciens. Que recherchez-vous encore ?
À la mort de mon père, en 2012, je me suis beaucoup appuyée sur mes échanges avec plusieurs spécialistes pour identifier les domaines où nous pouvions encore renforcer nos collections. J’ai beaucoup appris de Michèle Bimbenet-Privat, conservatrice au département des Objets d’art au musée du Louvre pour qui mon père avait une immense estime, l’antiquaire Alexis Kugel, qui sait toujours identifier l’objet d’exception, l’expert Daniel Lebeurrier, rencontré lors d’une vente publique et qui a été d’une aide précieuse pour les objets antiques… Nous recherchons aujourd’hui la pièce insolite : toutes les boîtes à senteur telles que les productions allemandes du XVIIe ou du XVIIIe siècle en forme d’escargot, de sifflet, de montre, les flacons-bagues bien sûr, tous les flacons à message du XVIIIe qui nous enchantent, les flacons ou pomanders en agate cornaline ou émaillés… J’adore la production de Bernard Perrot (verrier orléanais de la seconde moitié du XVIIe, ndlr), ses têtes moulées, mais aussi ses créations plus classiques de couleur bleue, safran, violette. J’ai récemment acquis un étonnant Perrot partiellement recouvert d’argent ciselé à décor d’écailles. Au fond, ce qui amuse un collectionneur, c’est de chercher.

 

Marguerite Gérard, Portrait de François-Yves Roubaud, 1797, huile sur toile, 80,8 x 65, Grasse, musée Jean-Honoré Fragonard.
Marguerite Gérard, Portrait de François-Yves Roubaud, 1797, huile sur toile, 80,8 x 65, Grasse, musée Jean-Honoré Fragonard.DR

Et moins le moment de la vente aux enchères ?
C’est toujours un peu stressant… L’année dernière, j’ai espéré un après-midi entier décrocher un coffre en ébène de Biennais, d’une beauté absolue, présenté chez Osenat. J’ai tout adoré : la forme, la ciselure sublime de qualité et de fantaisie, le contenu. Mon père aimait beaucoup l’argenterie, et ce coffret aurait été un bel hommage au collectionneur qu’il était. Nous n’en avons été propriétaires que quelques secondes, avant sa préemption par le Louvre ! Je suis très heureuse qu’il soit entré dans les collections nationales, bien sûr, mais c’était extrêmement frustrant.
Comment décidez-vous d’une acquisition ?
Extrêmement vite ! Au coup de cœur et à l’œil. J’aime chiner et passe beaucoup de temps sur les sites des maisons de ventes. J’opère alors une sélection que je transmets à mes sœurs, et nous décidons ensuite qui va aller voir l’objet ou, le cas échéant, si nous envoyons une personne avisée. Nous sommes, comme pour le reste, presque toujours d’accord sur tout. 

 

À voir
À Grasse : usine historique Fragonard, 20, boulevard Fragonard, tél. : 04 93 36 44 65 ; Musée provençal du costume et du bijou, 2, rue Jean-Ossola, tél. : 04 93 36 44 65 ; musée Fragonard, collection Hélène et Jean-François Costa, hôtel de Villeneuve, 14, rue Jean-Ossola, tél. : 04 93 36 02 07.
À Paris : musée du Parfum, 3-5, square de l’Opéra-Louis-Jouvet (IXe), tél. : 01 40 06 10 09.
www.fragonard.com/fr/usines