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Pissarro, une bonne nature

Publié le , par Claire Papon
Vente le 22 novembre 2019 - 14:00 (CET) - Salle 6 - Hôtel Drouot - 75009

À l’Hermitage près de Pontoise, où il séjourne de 1866 à 1868 et après la guerre de 1870, Camille Pissarro célèbre le travail de la terre. Pour preuve, ce tableau récemment découvert qui vient s’ajouter au corpus de l’aîné des impressionnistes.

Camille Pissarro (1830-1903), Le Jardin de Maubuisson, l’Hermitage, Pontoise, huile... Pissarro, une bonne nature
Camille Pissarro (1830-1903), Le Jardin de Maubuisson, l’Hermitage, Pontoise, huile sur toile, vers 1878-1880, 38 45,5 cm.
Estimation : 100 000/120 000 €

Depuis la publication en 2005 du catalogue raisonné de peintures de Camille Pissarro, moins de dix tableaux sont venus l’enrichir. Ce Jardin de Maubuisson, l’Hermitage à Pontoise est l’un des heureux élus, et il est le seul sur ce sujet. Tout commence il y a un an et demi lorsqu’un client apporte la toile à Nicolas Nouvelet, de la maison Ader. Elle n’est ni signée ni datée, mais a été exposée du 5 au 20 novembre 1929 à la galerie Simonson, rue Caumartin, sous le numéro 52 et avec le titre Le Potager. Son auteur annoncé ? Jean-François Raffaëlli (1850-1924), à qui l’on doit de nombreuses représentations du petit peuple de la banlieue parisienne dans une palette sombre, des paysages des faubourgs. Rien à voir a priori avec cette peinture lumineuse, cette composition paisible ! Nicolas Nouvelet se lance dans un impressionnant travail de recherche. «Quand j’ai vu l’œuvre, j’ai pensé à un peintre de grand talent, notamment à Camille Pissarro, car j’avais en tête un tableau, Le Jardin potager à l’Hermitage, conservé au musée d’Orsay», explique-t-il. «Le cadrage était plus serré mais le point de vue était le même. J’étais fasciné par la technique parfaitement maîtrisée, par cette succession de micro-touches extrêmement fines et superposées, qui créent une véritable harmonie colorée.» Fort de cette intuition, il se tourne vers Christophe Duvivier, conservateur des musées Tavet-Delacour et Camille-Pissarro, à Pontoise. Celui-ci est formel : «Selon moi, il ne pouvait s’agir que d’une œuvre de Pissarro ou bien d’un faux très malin. Nous sommes ici en présence de la palette, de la lumière et de la facture, mais cela nécessitait des recherches, bien sûr… » Sollicitée elle aussi, Claire Durand-Ruel, spécialiste et co-autrice du catalogue critique des peintures de l’artiste, propose de faire examiner le tableau au comité Pissarro, à New York. «Le motif est très identifiable dans l’œuvre du peintre, l’écriture aussi, mais l’absence de signature laissait un point d’interrogation», confie-t-elle. Nicolas Nouvelet consulte boîtes d’archives et catalogues du musée d’Orsay, notamment celui de l’exposition «Cézanne et Pissarro, 1865-1885», du 28 février au 28 mai 2006.

En réserve
«Cézanne […] a subi mon influence à Pontoise et moi la sienne. […] Parbleu, nous étions toujours ensemble ! Mais ce qu’il y a de certain, chacun gardait la seule chose qui compte, “la sensation”… Ce serait facile à démontrer… », écrit Camille Pissarro à son fils Lucien le 22 novembre 1895. L’exposition est une illustration de ces propos, la manifestation ayant aussi permis des radiographies révélant la technique de peinture en réserve, propre à l’artiste. Notre tableau, soumis à son tour à l’examen, révèle ce même procédé. Pour donner du relief à ses toiles, Pissarro conservait volontairement une infime surface non peinte autour de certains éléments de la composition (arbres, maisons) pour intensifier les volumes. Ces contours, laissés «en réserve», se remarquent facilement lors de cette investigation. En négatif, ils apparaissent comme un cerne foncé autour des formes peintes. La restauratrice de la maison de ventes élimine un vernis qui défigurait le tableau : le résultat est saisissant, qui permet de voir les milliers de touches subtilement posées. Quel grand nom se cache derrière ce paysage rappelant Les Toits rouges, coin de village, effet d’hiver, 1877 (musée d’Orsay) ? La succession de plans parallèles à la surface de la toile, l’impression de profondeur donnée par la taille décroissante des motifs, les maisons du quartier de l’Hermitage barrant l’horizon, les tonalités et ce travail de la terre traduit par des empâtements accrochant la lumière… La comparaison avec un autre tableau, connu par des photographies, mais non localisé, s’avère décisive. C’est Le Jardin au grand soleil, signé et daté 1876, issu de la collection Lacroix, adjugé 2 800 F (11 000 € en valeur réactualisée) à l’hôtel Drouot le 12 avril 1902, sous le marteau de Me Paul Chevallier et avec l’expertise de MM Bernheim-Jeune. Une ligne de coteaux verts découpée sur le ciel bleu, chargé de flocons épais, à droite des maisons aux toitures de tuiles et d’ardoise. En avant des arbres enchevêtrés, un personnage, des pommiers dans un jardin potager.

Un paysage travaillé par l’homme
Visitant Pontoise pour la première fois en 1866, grâce au chemin de fer qui relie le bourg à Paris en cinquante minutes, Camille Pissarro prend vite goût aux reflets de l’Oise, aux marchés pittoresques, aux champs variés, qu’il reproduit inlassablement sur la toile. Il y séjourne quelques mois par an jusqu’en 1868, avant de se fixer à Louveciennes, puis en Angleterre. De retour à Pontoise en 1872, il ne quittera plus le quartier de l’Hermitage jusqu’en 1882, date à laquelle il s’installera à Osny, un village proche où il demeurera jusqu’à son départ pour Éragny-sur-Epte en 1884. Quel que soit son domicile dans cette vallée qui court jusqu’à l’Oise, Camille Pissarro change peu de périmètre, mais il varie les angles. Notre toile est une séduisante illustration de sa période impressionniste, tant par son écriture que par son cadrage et le soin apporté à la restitution de la lumière. «Les touches sont très superposées, rapides, différentes de celles aplaties de Paul Cézanne, appliquées au couteau à palette ou au pinceau plat», souligne Claire Durand-Ruel à propos de ce tableau, «l’un des plus beaux qu’elle ait pu voir récemment». Presque invisible enfin, derrière un arbre, la silhouette d’une paysanne rappelle le respect que Pissarro porte à l’être humain et sa communion avec la nature…
 

L’Hermitage de Camille Pissarro
en 5 musées

Paris, musée d’Orsay
Jardin potager à l’Hermitage, Pontoise

Prague, Narodni Galerie
Le Jardin de Maubuisson, Pontoise, vers 1867

Cologne, musée Wallraf Richartz
L’Hermitage à Pontoise, 1867

Cleveland Museum of Art
Le Fond de l’Hermitage, 1879

Fine Arts Museum of San Francisco
Paysage à Pontoise avec un chasseur, 1879
vendredi 22 novembre 2019 - 14:00 (CET) -
Salle 6 - Hôtel Drouot - 75009 Paris
Ader