Réunie sur trois générations avec la même passion exigeante et une curiosité intacte, la collection Jean-Claude Delauney retenait 2 136 594 € sur trois jours de vente et l’intérêt des institutions. Une consécration pour son propriétaire.
Lorsque érudition rime avec passion, cela se sent et des résultats qui font plaisir. Pour Jean-Claude Delaunay, ancien bâtonnier du barreau de Caen, le fait que les institutions se penchent sur ses objets était le Graal espéré car, ainsi qu’il l’exprimait en répondant à nos questions (voir l’Événement Collections Jean-Claude Delauney en page 21 de la Gazette n° 34 du 11 octobre), cela montrait «que l’on a fait une collection qui a du sens». Il était exaucé au-delà de ses vœux car, même si ce n’était pas sur l’une de ses œuvres favorites qu’était l’esquisse pour La Mort de Roland d’Achille-Etna Michallon (1795-1822), partie tout de même à 25 400 €, celles-ci intervenaient à dix reprises, récompensant tout particulièrement l’ancrage régional des œuvres. Ainsi la bibliothèque municipale de Rouen emportait-elle, entre autres livres et à hauteur de 4 445 €, Méandres. La Seine de Paris à Rouen, un ouvrage d’Henri Focillon (1881-1943) édité à Paris en 1938 et orné de quarante et une eaux-fortes de Charles Jouas (1866-1942). Celle de l’Arsenal accueillait pour la même somme La Cité des Eaux d’Henri de Régnier (1864-1936), une édition originale de cette évocation poétique de Versailles et de son jardin, dédiée à José-María de Heredia (dont il est devenu le gendre) et décorée sur ses doublures et pages de garde de compositions à la gouache de Paul Chabas (1869-1937). Citons encore la ville de Granville, qui s’arrêtait à 5 080 € sur une paire de flambeaux en argent uni à moulures et côtes pincées, exécutée dans la cité normande entre 1749-1761 par le maître orfèvre local, Antoine Fontaine, reçu en 1749 après avoir été formé dans l’atelier de Thomas Germain. D’autres lots intéressaient la bibliothèque d’Albi et le musée départemental du Tarn, sous la forme respective d’un manuscrit de Maurice et Eugénie de Guérin copié par Guillaume-Stanislas Trébutien (1 524 €) et d’un autre du frère seulement, également copié par l’ancien conservateur de la bibliothèque de Caen (2 032 €), alors que le musée de Fécamp, au chapitre de l’orfévrerie, acquérait une tasse à vin en argent insculpé à Caen entre 1755 et 1757 (3 810 €). Le Graal venait enfin en la personne morale du musée d’Orsay. L’établissement parisien préemptait en effet, après réunion, les deux volumes d’un recueil de croquis, de dessins et d’aquarelles réalisés principalement pour le Gil Blas illustré, entre 1891 et 1899 (deux reproduites pages 114 et 120). Cette collaboration de Steinlen (1859-1923) avec ce célèbre titre de la presse illustrée lui vaudra le surnom d’«Œil de la rue». Orsay déboursait 446 550 € pour cette réunion qui fera l’objet, dans un prochain numéro, d’un gros plan.
Un éclectisme cultivé
La bibliophilie et l’orfèvrerie (dispersée le même jour et recueillant 468 503 €) étaient deux mamelles essentielles de cette riche collection, et la qualité doublée de la rareté d’une paire de boîtes de toilette, déjà mises en avant dans l’Événement ci-dessus mentionné (voir également page de gauche), justifiaient les 165 100 € déposés pour leurs atours. Mais elles n’étaient pas les seules… Le bâtonnier, cultivant sa curiosité sans limite, s’est ouvert aussi aux objets d’art et aux tableaux anciens comme modernes. Le jeudi, aux côtés des premiers, place à un ensemble de porcelaines de Bordeaux et de faïences fines de Wedgwood et aux 11 430 € d’une paire d’aiguières en «black basalt» de la manufacture anglaise, réalisée en un parfait trompe l’œil de pierre. Décorées de satyres, de bélier, de dauphin, d’acanthes et de grappes de raisins, ces deux pièces ont fière allure, tout comme l’étonnant vase canope (h. 24 cm) à décor, dans le goût égyptien, d’un buste féminin et de hiéroglyphes sur le corps (8 636 €). Pour la capitale girondine, assiettes, tasses, coupes, vases et autres services à thé et café étaient adjugés entre quelques centaines et quelques milliers d’euros. Un peu plus tard, un petit (4,7 x 3,6 cm) cadran solaire de voyage octogonal, exécuté à Rouen vers 1160 et signé d’un certain Lefèvre, traçait son chemin à 14 065 €. La dernière journée d’enchères connaissait elle aussi quelques jolis scores aux côtés de celui de l’esquisse de Michallon.
Ils récompensaient des tableaux et des dessins comme une sanguine d’Hubert Robert (1733-1808) observant une Cuisine dans une salle voûtée (33,7 x 46 cm), dont la contre-épreuve est conservée au musée de Besançon, et pour la Normandie toujours Évreux, la cathédrale (50 x 65 cm) peinte par l’un de ses chantres, Albert Marie Lebourg (1849-1928). Cette toile, décrochée à 44 450 €, montre la vue sous un ciel moutonneux d’un monument régional six fois brûlé et autant de fois reconstruit : tout un symbole !