Quatre ans après son rachat par la société lyonnaise GL-Events, la foire strasbourgeoise a du mal à définir une ligne artistique et met l’accent sur le design pour sa vingt-quatrième édition.
ST-ART serait-elle dans le creux de la vague ? Le taux de renouvellement de cette vingt-quatrième édition est énorme : 50 %, contre 35 % en 2018. Et la baisse du nombre de galeries est significative, passant de quatre-vingts à soixante-six... Patricia Houg, la directrice artistique, justifie l’important turn over par les difficultés rencontrées par les marchands à la suite des très nombreuses manifestations des «gilets jaunes» et la fermeture de nombreuses galeries. Mais certaines grognent, se plaignant d’un faible accompagnement de la part des organisateurs et du petit nombre de collectionneurs mobilisés sur la foire, reprochant même la volonté manifeste de GL-Events de vendre les espaces à tout prix.
Changement de politique
Au fil de cette édition, plusieurs indices traduisent un certain flottement. La carte blanche donnée en 2018 au critique d’art Henri-François Debailleux, qui avait invité quatre galeries parisiennes en vue l’année dernière (Anne-Sarah Bénichou, Thomas Bernard, Bertrand Grimont et RX), n’a pas été reconduite. «Nous n’avons pas eu le temps de nous en occuper, avoue Patricia Houg, car il a fallu s’approprier le lieu» : une structure temporaire proche de l’hôtel Hilton et du palais de la Musique et des Congrès, Strasbourg Événement se dotant d’un nouveau parc des expositions de six hectares signé par le cabinet d’architectes Kengo Kuma and Associates, qui ne sera pas livré avant le printemps 2021. Par ailleurs, alors que, depuis la reprise par GL-Events, une grande institution était invitée à présenter un volet de ses collections (la Maison européenne de la photographie en 2015, la fondation Maeght en 2016, la Venet Foundation en 2017 et le Museu Picasso de Barcelone en 2018), on change complètement de politique avec une exposition dédiée au design, dont les pièces sont fournies par deux boutiques strasbourgeoises. Une chute de prestige donc. «Je voulais quelque chose de très pédagogique, ludique et moins institutionnalisé», précise la directrice artistique. D’où un focus sur des pièces emblématiques rééditées, telles la chaise Zig Zag (1932) de Gerrit Thomas Rietveld, ou la Lockheed Lounge LC-1 (1985) de Marc Newson, et une sélection tirée directement des représentations de sept œuvres d’art, de Berthe Morisot à Jacques Monory, exposées juste à côté d’une reproduction sur écran des tableaux en question. Le choix de cette thématique est l’opportunité pour créer une section design, mais là encore, attention aux effets d’annonce, puisqu’on ne compte que quatre galeries, avec en plus une exposition sur Formica conçue par Carole Labedan. Quantitativement, on trouve plus de galeries spécialisées dans les éditions d’estampes, lithographies (dont Le Petit Jaunais et l’Estampe). Cette impulsion a en tout cas été un argument pour Steven Riff, de The Sloughis (Strasbourg, Bologne), pour revenir sur la foire. «Aujourd’hui, la frontière entre art et design tend à s’effacer, explique-t-il : les collectionneurs font aussi bien l’acquisition d’un tableau contemporain que d’un fauteuil historique, les époques et les médiums dialoguent dans leurs intérieurs. En rapprochant beaux-arts et arts décoratifs, ST-ART devient une foire complète.» Point de vue que l’on retrouve du côté de la galerie Philippe Decorde, qui, en trois stands, balaiera tous les points forts de la foire avec un ancrage local autour d’artistes plasticiens comme Roger Dale ou Marc Ledogar, du design (Guillaume Bounoure et Chloé Genevaux) et de l’édition (Tomi Ungerer, Kurt Mair ou Mikio Watanabe). Un dernier point soulève une sorte de quiproquo : nombreuses sont les galeries qui perçoivent la position géographique de Strasbourg comme un enjeu pour toucher des collectionneurs étrangers, à l’image de Fabrice Vignand de la Stream art Gallery (Paris), dont la motivation pour sa première participation, est «d’aller à la rencontre d’un public germanique, qui est tout aussi friand d’art cinétique que d’abstraction géométrique». D’où sa sélection comprenant, par exemple, les œuvres des Japonais Yoshiyuki Miura et Go Segawa (entre 2 250 et 12 800 €). Or, Patricia Houg n’envisage pas du tout cette proximité comme un atout : «Cette porosité de frontière n’existe pas car les Allemands ont leurs foires. Je ne suis pas sûre que ce soient ces collectionneurs qui m’intéressent… Développons et intéressons-nous à notre territoire et s’il y a des choses intéressantes, ils viendront. Il n’est pas question de transformer cet événement en foire franco-allemande !» Serait-ce là une des raisons pour lesquelles ST-ART, la plus ancienne foire de province, s’est fait damer le pion par Art Up, à Lille (créée en 2008), qui réunissait 122 galeries et éditeurs en février dernier et accueillait presque 40 000 visiteurs, soit le double de sa concurrente strasbourgeoise ?
Liens de confiance
Malgré ce contexte, certains marchands demeurent fidèles à l’événement parce qu’ils ont tissé des liens de confiance avec «des amateurs de la région que l’on ne voit pas ailleurs», comme le relève Pascal Gabert (Paris). «Beaucoup de mes clients sont même devenus des amis», renchérit Richard Nicolet (Maubec), qui présente cette année les sculptures de Gérard Cambon. Il y a «un noyau qui répond tout de suite et qui nous suit depuis six ans», s’enthousiasme Édouard Mazel (Bruxelles et Singapour). Ce galeriste vend chaque année des photographies d’Antoine Rose (entre 2 800 et 6 500 €) et introduit pour la première fois le street artist strasbourgeois Stom500 (de 300 € pour une encre de Chine à 7 000 € pour une toile). Ce dernier a créé, du 6 au 29 septembre, le premier festival de street art dans sa ville, Colors, auquel participait RNST, que l’on retrouve sur le stand de la Bear Galerie (Uzès) et que présente le cofondateur, Jérémy. «Cet artiste connait un très grand succès. Pour preuve, lorsqu’il sort une lithographie en quatre-vingts exemplaires, elle est sold out en quelques heures et revendue le lendemain trois fois plus cher sur eBay ou Catawiki. Nous réunissons une quinzaine de toiles peintes pour la foire (entre 900 et 2 200 €).» Côté street art, on pourra découvrir Urban Spree (Berlin), un espace pluriel (galerie, salle de concert, ateliers d’artistes, librairie, bar...) dont l’énergie sera condensée dans le dialogue entre les œuvres abstraites de l’Allemand Hendrik Czakainski (entre 3 000 et 18 000 €) et celles, inspirées par la figuration libre, du Californien Jonni Cheatwood (entre 5 000 et 8 000 €).
Explorations
Autre lieu atypique qui relève plus du centre d’art : l’Open Art Exchange (Scheidam), «une plateforme d’échange pour artistes non occidentaux reconnus et artistes locaux de la zone euro», comme nous l’apprend Joke Bakker-Jansen, qui a sélectionné plusieurs artistes dont Steve Bandima (République du Congo, entre 850 et 6 300 €) et le peintre et sculpteur Kingsley Ogwara (Luxembourg/Nigeria), qui a reçu le prix Pierre Werner du Cercle artistique de Luxembourg en 2016 (entre 3 000 et 8 500 €). La galerie Galéa poursuit l’exploration du continent africain avec le travail d’Ayanda Mabulu, artiste de Johannesburg «très engagé politiquement contre l’ANC au pouvoir depuis la fin de l’apartheid», précise Éric Galéa. «L’imposante toile que nous présentons, Le Cri de l’Homme noir, nous parle du massacre des mineurs de Marikana en 2012, tués par des policiers alors qu’ils faisaient grève» (250 x 340 cm, 35 000 €). La découverte sera donc le maître mot, avec des prix moyens entre 2 000 et 5 000 €, ce que résument les peintures de l’Indonésien Nurhidayat chez Valérie Eymeric (Lyon), un bon candidat au prix Art de la Ville de Strasbourg.