Tradition et innovation sont les maîtres mots qui définissent le métier de sellier-harnacheur, dont le savoir-faire s’est adapté au fur et à mesure du XXe siècle, voyant la pratique hippique devenir un sport.
Des selles accrochées sur des portants attendant d’être livrées, des outils bien rangés sur les tables de montage, des caisses où la selle est en morceaux, avec cuirs et mousses prédécoupées, prêts à être assemblés. Lorsque l’on pénètre dans un atelier de sellier, les odeurs de cuir et de colle se mêlent, des petits coups de marteau se font entendre au moment où l’artisan recouvre de cuir l’arçon en bois «le châssis mécanique de la selle d’équitation», comme le qualifie L’Arçonnerie français avec des clous de tapissier. L’ambiance est au calme et à la concentration, dans un cadre purement urbain et parisien pour une maison comme Hermès, ou au milieu de trente hectares de plaines et de forêts dans l’Aveyron, avec chevaux et parcours pour tester les selles pour la maison Gaston Mercier. L’attention se porte rapidement sur les outils : griffes à frapper, alènes, molettes à marquer les points de couture, lissettes, gouges, champignons, rainettes, plioirs, outils de traçage… Ils sont beaux et élégants, recouverts d’une belle patine, surtout s’ils ont été fabriqués au XIXe siècle, lorsque l’artisanat était fort et que l’on utilisait volontiers des matériaux précieux comme l’ébène pour certains manches. Aujourd’hui, les aciers ne sont plus de la même qualité, alors il faut chiner dans des brocantes, traquer ces pièces dans les ventes aux enchères à Drouot ou les acheter directement auprès d’un artisan qui part à la retraite, s’il n’en fait pas le don à un ancien confrère. «L’outil fait 80 % du travail !», relève Laurent Goblet, maître sellier en charge du développement des nouvelles selles chez Hermès, où chaque artisan dispose de ses propres outils, tandis qu’un service spécial est chargé d’en trouver. Pour les cuirs, il reste encore quelques tanneries en France capables de fournir une matière de qualité, suffisamment épaisse et tannée dans le respect des règles environnementales. Ceux-ci ne doivent pas avoir de défauts, pour ne pas fragiliser certaines parties de la selle, ou tout simplement nuire à l’esthétique. On choisira des cuirs plus résistants pour les parties en contact avec le dos du cheval (trois à cinq millimètres) et des peaux plus fines pour le dessus de la selle (autour de deux millimètres). «Il ne faut pas oublier qu’une selle est un produit utilitaire et qu’elle est mise à rude épreuve, exposée au soleil, à la pluie, à la sueur, aux frottements», souligne Manuel Mercier, fils de Gaston Mercier. Il faut la nettoyer au savon glycériné, l’entretenir avec de la graisse, la huiler, d’où la gamme réduite de couleurs, entre les marrons et le noir. En effet, les cuirs aux couleurs plus vives, très fréquents en maroquinerie, sont moins souples et plus imperméables. «À une époque, les cuirs étaient naturels, marron foncé à force d’être graissés», rappelle Laurent Goblet. Une vingtaine d’étapes sont nécessaires pour fabriquer une selle et ce, en une trentaine d’heures pour des modèles standards. Un atelier comme Fleur de Lys, géré par un couple, produit autour de cent cinquante selles par an, là où Hermès monte à mille avec sa vingtaine d’artisans apprentis compris.
Matériaux nobles et nouvelles technologies
Si les gestes restent immuables dans ce savoir-faire main de l’homme qui découpe, coud, tend et fixe , les formes ont évolué au fil du XXe siècle, alors que la pratique, se transformant en véritable sport, revêt plusieurs parades saut d’obstacle, dressage, endurance, compétition, course , et qu’elle est sortie du monde militaire. Rappelons qu’il a fallu attendre 1952 pour que les jeux Olympiques acceptent de ne plus voir concourir uniquement des cavaliers masculins et militaires ! Les selles les plus courantes sont celles dites «anglaises», modèle à partir duquel se sont multipliés les ajustements techniques pour travailler l’ergonomie. Récemment, on a introduit la question du design pour répondre à des demandes particulières, ce qui a été le cas pour Bartabas, pour qui Hermès a conçu une selle aux formes épurées comme une virgule d’un noir profond sans aucune couture apparente. On introduit des nouveaux matériaux comme des mousses expansées qui vont remplacer les rembourrages en crin et laine sous les quartiers, mais aussi des arçons en matériaux synthétiques ou composites, ce qu’avait déjà lancé Gaston Mercier, il y a une quarantaine d’années. «Mon père est un autodidacte et il voulait alléger la selle en utilisant de la fibre de verre ou du carbone pour l’arçon. On était dans les prémices et il a beaucoup tâtonné avec d’autres artisans pour fabriquer un prototype. Aujourd’hui encore, nous relevons des défis techniques, comme récemment lorsqu’un client nous a demandé de créer une selle pour un cheval dont le garrot était cassé. Il a fallu passer de part et d’autre sans le toucher.» La prise en compte de l’animal est une révolution récente dans les mentalités, et aujourd’hui on parle du «couple» cavalier-cheval. Des discussions triangulaires sont menées entre le sellier, le cavalier lauréat de concours et le vétérinaire pour améliorer l’équilibre et le confort.
une affaire de transmission
La morphologie des chevaux a également changé en trente ans, ils sont devenus de véritables athlètes ; ainsi, «si la selle n’est pas bonne, le cheval ne peut pas se muscler», insiste Emmanuel Higuet de l’atelier Fleur de Lys, dans le Limousin. Jusqu’à peu, seul le confort du cavalier était pris en compte, et depuis quelques années, on s’intéresse au «couple» cavalier-cheval. On est dans le sur-mesure, où chaque selle est adaptée et où chaque artisan apporte sa spécificité et son savoir-faire qu’il est important de transmettre ; d’où l’accueil des apprentis de façon générale, et la réorganisation de la sellerie Hermès, où l’atelier de coupe a été déplacé pour dédier cet espace à la formation, accueillant des jeunes venant du Haras national du Pin. Pour Laurent Goblet, «il faut deux ans environ pour qu’un apprenti puisse être lâché, car ce métier fait beaucoup appel au ressenti, si vous étendez trop une peau, vous écrasez la mousse et si vous ne la tendez pas assez, elle plisse»… La relève est bien en place, surtout en «France, qui représente le summum pour la sellerie», rapporte Emmanuel Higuet. «Des clients allemands me disent que jamais ils n’achèteraient une voiture française, mais une selle, c’est une évidence !»