Reprogrammée pour cause de pandémie, la 32e édition du Salon international du livre rare et de l’autographe ouvre ses portes au Grand Palais le 18 septembre. Aperçu et perspectives.
Reporter un salon de quelques mois dans un lieu aussi prestigieux que le Grand Palais n’est pas chose aisée. Et composer avec ses participants venant de France et de l’étranger n’a pas été simple non plus pour le Syndicat national de la librairie ancienne et moderne (SLAM), l’organisateur du Salon du livre rare et de l’autographe. Avec ses 20 000 visiteurs, parmi lesquels les principaux collectionneurs mondiaux, l’événement est bien plus fréquenté que son équivalent new-yorkais, le International Antiquarian Book Fair. À l’arrivée, 160 exposants seront bien présents à cette manifestation qui, chaque année, entend exposer le nec plus ultra des témoignages écrits ou iconographiques et de la bibliophilie. Le lien entre livre, illustration et estampe est maintenu par la présence d’une quinzaine de galeries d’arts graphiques. En revanche, la Chambre nationale des experts spécialisés en objets d’art et de collection (CNES), qui organisait conjointement le Salon de l’objet depuis 2017, a décidé de «se retirer de la gestion des salons à venir au Grand Palais» pour se concentrer sur une future formule on line. Comme dans la plupart des secteurs, le confinement, décidé à la mi-mars par le gouvernement français, a eu un impact sur le commerce des librairies spécialisées qui, peut-être plus que d’autres, privilégient la relation personnalisée avec leurs acheteurs. L’absence de chiffre d’affaires en avril – la date habituelle du salon – a généré des difficultés de trésorerie. Néanmoins, la plupart des professionnels, historiquement habitués à publier des catalogues et des descriptifs précis de leurs pièces, ont profité de la bonne tenue des ventes en ligne, et certains ont même réalisé des transactions avec leurs clients par visioconférence !
Le bel envoi
Le cœur du Salon est résolument le patrimoine écrit. Depuis des décennies, cette manifestation demeure le rendez-vous des bibliophiles et des amateurs de beaux livres, l’endroit idéal pour acheter des éditions originales et des tirages de tête, le tout accompagné d’envois autographes de belle provenance. Les grands noms de la littérature et des beaux-arts sont toujours autant recherchés : Camus, Mauriac, Verlaine, Baudelaire, Rimbaud, Flaubert, Céline, Proust… Le marché s’adapte et s’ajuste constamment au goût et à la passion des collectionneurs, que ce soit pour un exemplaire de l’édition originale des Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas (Amélie Sourget) ou une dédicace de Paul Signac à Félix Fénéon («En reconnaissance, amicalement, Paul Signac») pour le livre-manifeste D’Eugène Delacroix au néo-impressionnisme (Pierre Saunier). Tous les champs du savoir sont couverts, de l’histoire économique et sociale à la botanique en passant par l’astronomie et la philosophie : difficile de demeurer insensible devant l’édition originale du Discours de la méthode, de Descartes, publiée à Leyde en 1637 (Éric Zink). Cependant, tous les exposants ne vendent pas des pièces à plusieurs milliers ou dizaines de milliers d’euros. Le livre rare n’est pas forcément cher et les trouvailles sont tout à fait possibles, à condition de prendre son temps, de s’informer et de chiner.
Les inédits de l’ancien monde
Même si le marché du livre ancien (avant 1800) est plus difficile, faute de nouveaux acheteurs, le Salon constitue une vitrine importante pour les libraires. Pour le visiteur, cette réunion de professionnels offre l’avantage de pouvoir déambuler dans les allées, de passer d’une époque à une autre, de remonter le temps, de s’intéresser aux origines du livre et, par exemple, de contempler une autre rareté, comme ce livre d’heures dont les parties manuscrites inachevées montrent les étapes de fabrication d’un manuscrit médiéval (Ariane Adeline). Témoignage du savoir-faire des libraires, le Salon a toujours été aussi l’occasion de donner à des découvertes une forte répercussion médiatique. On se souvient du fameux portrait photographique de Rimbaud déniché dans une brocante et présenté en 2010 par Alban Caussé et Jacques Desse, des Libraires associés. Cette année, un manuscrit autographe de cinq pages d’Émile Zola concernant la défense d’Alfred Dreyfus (Le Manuscrit français) intéressera les amateurs en constante recherche d’inédits et de nouvelles histoires. De son côté, Christophe Champion (librairie Faustroll) a mis la main sur un ensemble de sept documents de Saint-Exupéry qui apporte des éléments biographiques sur l’auteur du Petit Prince. Notons également, dans le registre de l’érudition, la présentation par le Feu follet d’un ensemble de 20 000 feuillets manuscrits du chevalier de Sade (1753-1832), cousin du fameux marquis et auteur du Lexicon politique. Un précieux témoignage historique courant de la fin de l’Ancien Régime jusqu’à la Restauration.
La reliure à travers les siècles
Objet culturel, le livre s’appréhende de manière très ouverte. Évidemment liée à son histoire, la reliure est bien représentée, notamment avec un Office de la semaine sainte paré par Padeloup le Jeune, un des plus grands maîtres relieurs du XVIIIe (librairie ancienne Richard), mais aussi par des exemples de travail contemporain (Ludovic Miran). Car le livre rare et précieux n’est pas forcément vieux, ni poussiéreux. Cette année, un aficionado de Michel Houellebecq – «l’auteur contemporain le plus recherché» apprend-on – pourra s’offrir le numéro zéro de la revue Karamazov créée et dirigée par l’écrivain en 1979 (Faustroll) ou cette reliure d’Edgard Claes interprétant son roman Soumission (Blaizot). D’autres ne manqueront pas de feuilleter l’agenda Hermès des quatre derniers mois de l’année 1988 de Serge Gainsbourg (Walden). Il existe aussi des ouvrages inclassables comme celui issu d’écrits autographes de Tristan Tzara, réunis par Paul Éluard et reliés par Paul Bonnet (Sims Reed). Le Salon du livre rare est un endroit privilégié pour naviguer aux sources de notre culture visuelle : affiches, manuscrits et illustrations, comme cette Histoire charmante de l’adolescente Sucre d’amour (1927) de Joseph-Charles Mardrus, illustrée par François-Louis Schmied (Lardanchet). Les liens culturels et bibliophiliques entre le texte et l’image photographique ou animée sont également à l’honneur, cette édition mettant en avant le cinéma grâce à son invitée de marque, la Cinémathèque française, qui organise une grande exposition allant du pré-cinéma à la Nouvelle Vague.
Dimension patrimoniale
Par-delà son aspect commercial, l’événement est renommé pour ses explorations bibliophiliques, menées par des libraires professionnels au savoir reconnu, reposant sur des travaux de catalogage souvent précieux pour faire découvrir au grand public des éléments méconnus du patrimoine écrit et visuel. Ainsi, la librairie Vignes édite un catalogue de 120 éditions originales et autographes de François Mauriac provenant de la bibliothèque d’Henri Clarac, rédigé par Jean Touzot, spécialiste de l’écrivain. Confronté aux nombreuses façons d’exercer le métier de libraire, et à la vague de nouveaux marchands surfant uniquement sur la vente on line, le SLAM, organisateur du salon, maintient une exigence de rigueur et de qualité. Le syndicat, qui souhaite accueillir de nouveaux publics, n’oublie pas d’ouvrir ses portes à de jeunes enseignes, à travers des stands tremplins, ou d’inviter des bouquinistes. Car dans ce domaine bien particulier, le savoir et la compétence s’acquièrent au fil des ans et auprès de ses pairs.