Fort de sa réputation de grand-messe de l’art tribal, le salon parisien profite de sa seizième édition pour découvrir de nouveaux horizons, voguant de la Polynésie aux confins de l’art contemporain.
Paris a son triangle d’or de l’art tribal. Quelques rues aux noms chargés d’histoire Mazarine ou Visconti qui forment en plein cœur de Saint-Germain-des-Prés une constellation observée par les collectionneurs du monde entier. Chaque rentrée depuis 2001, à l’occasion du salon Parcours des mondes, les galeries qui y vivent à l’année présentent une sélection de leurs plus belles pièces, accueillant pour l’occasion leurs consœurs de l’étranger. C’est ainsi que du 12 au 17 septembre prochain, soixante-six exposants en grande majorité des enseignes françaises, belges et américaines dévoileront leurs trésors. «Des objets d’une qualité inégalée», grâce à un «vetting de plus en plus drastique», comme le souligne Pierre Moos, son directeur général. «Il y a cinq ans, on pouvait retirer quatre-vingts pièces au moment de la sélection finale, contre seulement six aujourd’hui ; ce qui prouve que les marchands eux-mêmes se montrent de plus en plus exigeants.»
Bonnes affaires
Ne pas se fier à sa grande convivialité que l’on doit au Café tribal, lieu quotidien de débats, et à ses nombreuses expositions thématiques , ni à ses airs de promenade de santé : c’est dans la discrétion feutrée d’un bureau, et non sur un stand à la vue de tous, que s’échangent coupes de champagne et espèces sonnantes. Parcours des mondes s’avère une manne providentielle pour les galeries. Il y a trois ans, dans la seule rue des Beaux-Arts, les transactions pour les arts africains se sont élevées à plus de 4 M€. C’est là que la galerie Flak s’apprête à ouvrir un espace agrandi et rénové, où les traits austères des masques eskimo (un régal pour les amoureux d’épure) côtoient une boîte à trésors maori. Comme pour ses confrères, la manifestation lui rapportera environ 75 % du chiffre d’affaires annuel. Un pourcentage officiel, dont on devra se contenter, les marchands préférant garder pour eux les détails de leurs livres de compte. Mine d’or ? En tout cas, un site de rencontres idéal pour séduire de nouveaux collectionneurs européens et américains, voire australiens les Chinois, eux, se comptent encore sur les doigts de la main. Petit nouveau de cette édition, mais familier du Parcours pour avoir dirigé la galerie Philippe Ratton pendant quatre ans, Éric Hertault, qui vient d’ouvrir sa propre enseigne, entend bien profiter de l’aura de la manifestation. «Ce sera l’occasion d’y tester auprès des amateurs mon goût pour les objets faciles de lecture, en provenance de Côte d’Ivoire ou du Gabon», explique-t-il. Patines brillantes pour intérieurs cossus. Autre primo-arrivant, le marchand basé à San Francisco Erik Farrow, qui espère «élargir sa clientèle européenne» avec un ensemble de pièces ethnographiques incluant des armes, sa spécialité.
Casting de rêve
Parmi les objets ayant passé haut la main l’épreuve du vetting, on trouve une reine de beauté Bambara du Mali (galerie Lucas Ratton), aussi imposante par sa taille (71,5 cm) que par l’autorité de ses formes, et, chez Bernard Dulon, une sculpture du Gabon «aux proportions parfaites», rare exemple d’ancêtre féminin Fang. Toujours en Afrique centrale, les fétiches Batéké de la collection Sophie et Claude Lehuard, collectés par le père de ce dernier, Robert, sont à l’honneur chez Abla et Alain Comte. Moins importants en nombre sur le marché que leurs homologues d’Afrique, les objets d’art océanien tentent d’année en année de se faire une place au soleil, notamment chez Anthony JP Meyer qui consacre son espace aux tapas (étoffes végétales) des îles Salomon et du lac de Sentani, dont un très grand exemplaire de couleur bleue, orné d’une frise de lamantins les fameux dugongs décrits par Jules Verne dans Vingt mille lieues sous les mers. L’Asie, avec sa fausse jumelle l’Asie du Sud-Est, représentée par moins d’un quart des marchands, reste pourtant l’objectif n° 1 de Parcours des mondes. «Nous voulons faire de Paris la première place pour l’art asiatique, s’engage Pierre Moos, rien d’impossible quand on voit les très beaux objets vendus tous les ans à Drouot.» Un discours bien rôdé c’est connu, la confiance booste l’économie , qui s’appuie sur quelques enseignes sérieuses. Parmi elles, la galerie de Christophe Hioco vient avec une sélection de bronzes thaï des XVe et XVIIe siècles. Pont entre Asie et Océanie, les objets en provenance d’Indonésie sont particulièrement chouchoutés chez Pascassio Manfredi. Inédite sur le marché, une figure ancestrale masculine de l’île de Flores impressionne par sa peau de bois tannée par le vent, le sel et l’eau. Ici, la nature a participé à en sculpter les formes. On lui connaît un pendant féminin, tout aussi énigmatique, conservé à la Yale University Art Gallery, dans le Massachusetts.
Vers des territoires inexplorés
Des objets «extra-extraordinaires» chez Alain Bovis, des masques sélectionnés pour leurs affinités avec l’œuvre de Picasso chez Charles-Wesley Hourdé, des cartes indiennes des XVIIIe et XIXe siècles chez le Londonien Kapil Jariwala… Parcours des mondes porte bien son nom, invitant à la découverte. Il propose cette année un focus sur la discrète Polynésie française, s’associant au lancement d’un ouvrage sur les tapas (éditions Somogy). «Les collectionneurs d’art océanien que je connais, beaucoup moins nombreux que ceux d’art africain, s’intéressent tous à l’art polynésien», nous informe Michael Evans. Le marchand américain a justement réuni un lot de massues provenant de Polynésie, «les plus recherchées de toutes». Un dépaysement encore plus poussé pour cette édition, avec l’ouverture du salon à la création actuelle. Le galeriste d’art contemporain Javier Peres, nommé président d’honneur, convie à confronter dans l’Espace tribal des objets du Nigeria à des œuvres actuelles (voir interview, page 12). Effet de mode ? «Cela fait très longtemps que je prône le mariage entre arts contemporain et tribal, nous répond Pierre Moos, cette tradition remonte au début du XXe siècle.» Selon lui, 60 % des «gros» acheteurs d’art tribal viendraient de l’art moderne et contemporain. En ces temps où le «cross collecting» séduit de plus en plus les collectionneurs, la diversité rime avec prospérité. Parcours des mondes l’a bien compris.