Gazette Drouot logo print

Paco Rabanne à Portsall, le dernier refuge du métallurgiste de la mode

Publié le , par Christophe Provot
Vente le 03 juin 2023 - 14:30 (CEST) - Les Ateliers des capucins, 25 rue de Pontaniou - 29200 Brest

Des dessins, des meubles et des objets d’art de la maison du styliste passeront bientôt sous le feu des enchères. Autant de témoignages de l’univers de celui qui révolutionna le monde de la mode.

Paco Rabanne (1934-2023), ensemble de 55 dessins de robes dont 14 signés, essentiellement... Paco Rabanne à Portsall, le dernier refuge du métallurgiste de la mode
Paco Rabanne (1934-2023), ensemble de 55 dessins de robes dont 14 signés, essentiellement mine de plomb sur papier mixte, formats divers. Estimation : 800/1 200 

C’est une maison aux murs de pierre et au toit d’ardoise, percée de larges ouvertures offrant une vue splendide sur la mer. Une maison comme en on voit tant en Bretagne. C’est ici, face à la plage de Porsguen dans le petit village de Portsall, dans le Finistère nord, et à proximité du cairn de l’île Carn, l’un des plus anciens sites mégalithiques d’Europe, que Paco Rabanne vivait depuis une vingtaine d’années. Disparu le 3 février dernier à 88 ans, le couturier franco-espagnol avait une longue histoire avec la région. Il la découvre pour la première fois à 4 ans, en 1938, alors que sa famille fuit l’Espagne franquiste, qui a assassiné son père, colonel dans les forces républicaines, en 1936. Le jeune Francisco Rabaneda y Cuervo grandit dans les environs de Morlaix. Quelques années plus tard, alors âgé de 17 ans, il se rend à Paris et suit des études d’architecture à l’École nationale supérieure des beaux-arts, recevant notamment l’enseignement d’Auguste Perret. Afin de financer ses études, celui qui ne s’appelle pas encore Paco Rabanne produit de nombreux croquis de mode, pour Charles Jourdan ou Roger Model notamment.

L’année 1966 est charnière et riche pour le jeune styliste. Il présente deux collections, dont la première en février, intitulée «Manifeste», qui marquera une véritable rupture dans l’histoire de la mode. Les douze robes créées sont agrémentées de matériaux détournés tels des anneaux métalliques, sequins ou plaques en Rhodoïd. Si l’effet est au rendez-vous, elles sont jugées importables par la critique. En avril, il fait défiler les artistes du Crazy Horse dans des maillots de bain en Rhodoïd. Il s’installe en octobre au 33, rue Bergère, et collabore avec le monde du septième art. Quand Audrey Hepburn porte l’une de ses robes dans le film
Voyage à deux de Stanley Donen, c’est la consécration. Datant justement de 1966, une robe courte sans manches et constituée d’une résille de marguerites, rosaces et anneaux en métal de trois couleurs (voir encadré page 17) constitue un point d’orgue de la vacation (6 000/ 8 000 €).

Le créateur continuera d’expérimenter tout au long de sa carrière, poussant toujours plus loin les limites des codes vestimentaires, y compris dans la mode masculine. Un peu plus tardive puisque de 1980, une autre robe en velours, de couleur pourpre et à encolure bateau, rivalisera avec la précédente, bien que d’un autre style (5 
000/6 000 €). On y retrouve les fameuses marguerites de métal que le créateur aimait tant. En 1973, il lance son premier parfum, Paco Rabanne pour homme, qui rencontre un vif succès et demeure toujours prisé aujourd’hui. Un important flacon de cette fragrance, en édition limitée dans son coffret d’origine avec flaconnage en résille de métal, auquel est joint une enveloppe dédicace du styliste (120/ 180 €), réjouira les amateurs de pièces de collection. Au début des années 2000, Rabanne se retire de la vie publique et s’installe en Bretagne, sa terre d’élection, achetant une maison ancienne qu’il rénove entièrement.

 

Paco Rabanne, robe courte sans manches, à décolleté carré, 1966, entièrement réalisée en marguerites, rosaces et anneaux de métal de coule
Paco Rabanne, robe courte sans manches, à décolleté carré, 1966, entièrement réalisée en marguerites, rosaces et anneaux de métal de couleur argent, doré et cuivré assemblés en résille, taille 36. Estimation : 6 000/8 000 
Une robe florale et métallique
« Ce n’est pas un couturier, c’est un métallurgiste ! », s’exclamait Coco Chanel au sujet de Paco Rabanne. Il est vrai qu’en 1966, date à laquelle fut conçue cette robe, le styliste révolutionnait la mode et son univers, notamment avec ses défilés aux airs de happenings. Se résumant en un assemblage de marguerites, rosaces et anneaux de métal assemblés en résille, cette robe courte et sans manches, au décolleté carré, taille (supposée) 36, est emblématique de la créativité naissante du Franco-Espagnol. Reproduite dans l’ouvrage de Lydia Kamitsis Paco Rabanne, les sens de la recherche (éditions Lafon, 1996), elle fut immortalisée par l’objectif de Richard Avedon en décembre 1966, portée par la mannequin vedette Penelope Tree. À l’image de cette dernière, les célébrités sont séduites par sa modernité radicale, et Françoise Hardy, Anouk Aimée ou encore Brigitte Bardot plébiscitent les créations du couturier. Mais Paco Rabanne a également ses détracteurs, tenants d’une mode plus traditionnelle, qui goûtent peu à ces robes qu’ils jugent inesthétiques et importables (certaines pouvant peser jusqu’à 8 kilos, on ne saurait entièrement leur donner tort sur ce dernier point...) Entre 1967 et 1970, il continue d’expérimenter et d’innover. Robes en papier, en plastique moulé, des modèles en cuir fluorescent ou en catadioptres orangés, en métal martelé ou en jersey d’aluminium font leur apparition. Rien ne semble l’arrêter. Certaines de ses créations marquent les esprits et demeurent légendaires, comme la robe en plaquettes d’or incrustées de diamants portée par Françoise Hardy lors de l’inauguration de l’Exposition internationale de diamants, le 15 mai 1968, d’une valeur de 10,4 M$. Rabanne est aussi le premier à employer la fausse fourrure dans ses vêtements. Touche-à-tout, il s’intéressera à la mode masculine dès 1976, créant une ligne de prêt-à-porter. 

 

Styliste baroudeur et multirécompensé
L’homme, simple et généreux, aimait à se ressourcer dans sa maison battue par les vents, loin de l’agitation parisienne. Avant de se mettre en retrait, il avait pris une part active à la vie locale, offrant même une aide précieuse à la SNSM, Société nationale de sauvetage en mer. En 2006, il illustre les enveloppes pré-timbrées de cette dernière, dont 4 000 lots de dix exemplaires sont ensuite édités. Depuis cette date et chaque année, il dotait généreusement leurs tombolas, offrant des dessins, des sacs à main ou des parfums, et jusqu’à des chaises qu’il avait lui-même dessinées. Il s’investissait également dans le domaine musical, assurant la promotion de groupes traditionnels. Jamais en rupture totale avec le monde de la mode, il a même dessiné les costumes du Bagad An Eor Du, l'ensemble local. Entrer dans sa maison, c’est pénétrer dans un univers à part. Il a conçu le mobilier, qui a ensuite été fabriqué dans un atelier professionnel. Qu’il s’agisse d’une suite de quatre bancs en chêne et placage de chêne bruni recouverts d’une galette de cuir orange (500/800 €), d’une table en chêne de forme trapézoïdale reposant sur deux pieds en pyramide ou d’un bureau de la même essence, aux quatre pieds traités façon tréteaux (400/500 € chaque), sans omettre l’important canapé en confident – lui aussi en chêne et placage de chêne – recouvert de cuir rouge piqué sellier, tout est né dans son esprit.

De nombreuses récompenses et autres décorations constituent une galerie de trophées montrant l’impact qu’a eu le créateur sur son domaine. Parmi elles, le Dé d’or de la haute couture française, que le styliste a reçu en 1990 des mains d’Helena Rubinstein, marraine de l’événement, sera l’une des curiosités de la vente à saisir pour 800/1 
200 € (voir ci-dessous). Institué par Pierre-Yves Guillien du Quotidien de Paris, le Dé d’or venait récompenser deux fois par an, entre 1976 et 1990, la meilleure collection de la saison. Complémentaire de cette récompense, l’Aiguille d’or (800/1 200 €) marquait les créations les plus singulières et originales. La Russie également a récompensé le couturier, en lui décernant le trophée des Journées de la haute couture à Moscou. Cet objet en vermeil, en forme de mannequin de couture drapé, incrusté de petits diamants et posé sur un socle orné de pierres dures, est attendu à 600/800 €. D’autres décorations complètent ce palmarès, toutes estimées 100/150 € : de France, une croix de chevalier de la Légion d’honneur en argent émaillé, et une médaille de chevalier de l'ordre des Arts et des Lettres ; d’Espagne, une médaille d’or du mérite des Beaux-Arts et sa broche assortie, et une croix de l’ordre d’Isabelle la Catholique, avec sa réduction.

 

28e Dé d’or de la haute couture française parrainé par Helena Rubinstein, métal doré et argenté, printemps-été 1990, dans son écrin, h. 10
28e Dé d’or de la haute couture française parrainé par Helena Rubinstein, métal doré et argenté, printemps-été 1990, dans son écrin, h. 10,5, diam. 9,2 cm. Estimation : 800/1 200 
Paco Rabanne, Nu féminin accoudé, aquarelle et feutre noir sur papier signée et datée « 06 », contrecollée sur carton noir, 80 x 120 cm (d
Paco Rabanne, Nu féminin accoudé, aquarelle et feutre noir sur papier signée et datée « 06 », contrecollée sur carton noir, 80 x 120 cm (détail).
Estimation : 400/500 


Un dessinateur invétéré
Un très grand nombre de dessins et croquis de la main de Paco Rabanne, datés généralement avant 1966 – ce qui explique qu’ils soient signés «Franck Rabanne», «FR» ou «Rabaneda» –, constituent l’essentiel de la vente (estimations de 300/500 € à 800/1 200 €). Depuis les croquis produits dans sa jeunesse, il a toujours conservé cette appétence pour le dessin. «Il avait un sens inné de la création, explique l’expert Thierry Grassat, associé à une précision d’horloger. Il avait un besoin inexorable de dessiner, et pouvait créer des dizaines de croquis pour un seul tableau ou objet.» Robes, chapeaux, gants, montres, ceintures, bijoux, sacs à mains ou chaussures, tout y passe. Mais il dessinait également beaucoup au feutre – principalement des œuvres graphiques tels des nus féminins ou des profils d’homme – et sculptait. Curieux, il s’intéressait à tout, y compris aux domaines plus spirituels et jusqu’à l’ésotérisme ou l’alchimie. Issus de sa bibliothèque, de nombreux ouvrages relatifs à ces sujets (15/20 € à 20/30 €) montrent que cette attirance ne l’a jamais quitté. Critiqué pour ses «prédictions», qui se sont souvent avérées fausses, il était en Bretagne apprécié de tous pour sa simplicité et sa discrétion. «À Portsall, j’ai trouvé un lieu ou vivre et mourir », confiait le couturier à Ouest-France en 2006. Il aimait profondément la Bretagne, elle le lui rendait bien.

 

Paco Rabanne, important canapé en confident en chêne et placage de chêne patiné marron, sur pied à pans coupés, un accotoir ouvert à trois
Paco Rabanne, important canapé en confident en chêne et placage de chêne patiné marron, sur pied à pans coupés, un accotoir ouvert à trois niches, dossier, assise et angles recouverts de cuir rouge piqué sellier, 260 178 cm. Estimation : 800/1 000 
 
Les lots seront exposés à l'Hôtel Drouot le mercredi 24 et le jeudi 25 mai, en salle 7, à partir de 11h.
Gazette Drouot
Bienvenue, La Gazette Drouot vous offre 2 articles.
Il vous reste 1 article(s) à lire.
Je m'abonne