160 000 € récoltés, 300 adhésions, sept réseaux d’entreprises partenaires… En cinq ans, le Cercle des femmes mécènes du musée d’Orsay a doucement pris forme, au rythme de l’évolution des mentalités.
À l’automne 2013, en l’espace de quinze jours, le musée d’Orsay inaugurait une exposition «Masculin/Masculin» et le premier cercle de femmes mécènes d’un musée. Un grand écart ? Rien n’est moins sûr. Hors des sentiers battus, les deux initiatives positionnent l’établissement en faveur de la diversité, par le truchement d’un discours entre art et égalité. Présidente et cofondatrice du Cercle InterElles, qui regroupe des entreprises comme Engie, Dassault Systèmes ou Orange et œuvre en faveur de la mixité et de l’égalité professionnelle dans les secteurs scientifiques et technologiques , l’un des trois premiers réseaux fondateurs du Cercle des femmes mécènes (CFM), Catherine Ladousse estime que «le CFM est arrivé à monter en puissance sans dénaturer ses objectifs de départ, à savoir réunir des personnes intéressées par les arts. Après l’exposition sur les femmes photographes en 2015, le Cercle a été moins sollicité. L’arrivée de Laurence des Cars (présidente des musées d’Orsay et de l’Orangerie depuis 2017, ndlr), qui a l’air très engagée, devrait nous emmener vers une nouvelle étape grâce à une programmation qui apporte du contenu sur la question féminine». Outre une année inaugurale avec l’exposition sur Frida Kahlo et Diego Rivera, le réseau a été sollicité en 2015 pour le cycle de concerts «Drôle de dames» en hommage à de grandes cantatrices à la charnière des XIXe et XXe siècles et pour l’exposition «Qui a peur des femmes photographes ?», avant d’être associé, au printemps 2016, à la restauration du tableau Les Femmes gauloises d’Auguste Glaize. «La dynamique autour des femmes a été enclenchée il y a plusieurs années, mais elle arrive aujourd’hui à maturité et s’affirme avec plus d’évidence, du fait d’un contexte général sensible à la question de la parité», constate Laurence des Cars.
Ne pas rester entre soi
Sans surprise, la présidente fait de la question féminine le fil rouge de son projet d’établissement. Tandis que le musée de l’Orangerie a clôturé fin janvier la découverte des peintures de Paula Rego, de l’école de Londres, et accueille jusqu’en avril Ann Veronica Janssens, plasticienne belge qui réagit aux Nymphéas de Claude Monet, le musée d’Orsay organise une rétrospective «Berthe Morisot» à compter du 18 juin prochain. Parallèlement, la Britannique Tracey Emin sera invitée, à travers un accrochage subjectif, à faire un choix dans la collection de dessins de l’institution. «Nous réfléchissons à un parcours spécifique autour des femmes pour en identifier les différents rôles dans l’art, celui d’artiste, de collectionneuse, de donatrice ou de critique, dans le cadre du réaccrochage de nos collections, explique Sylvie Patry, directrice de la conservation et des collections d’Orsay. Il s’agit, en creux, d’expliquer pourquoi les femmes sont sous-représentées, dans leur contexte historique, sociologique et institutionnel. Nous voulons faire d’une faiblesse une clé de compréhension de notre société passée et présente.» Cette dynamique n’en est qu’à ses débuts. En septembre prochain, un colloque sur la place et le statut féminins dans le monde de l’art, du XIXe siècle à nos jours, sera organisé, tandis que sont déjà sur les rails des projets d’exposition sur les femmes photographes, comme Céline Lagarde (1873-1961), et de nouveaux axes de travail sur la question pour le futur centre de recherche du musée, sa politique de publication et d’acquisition. «Ces actions permettent de dépasser l’image d’une femme qui ne serait qu’une muse artistique ou un modèle, sans le droit à la parole», indique Sophie Balsarin, membre du CFM depuis 2016. Le cercle ne peut toutefois pas être entendu comme un concentré de féministes au discours partisan, loin de là : «Je suis avant tout venue pour le musée. Je travaille dans le mécénat et réfléchissais à comment m’investir à titre personnel. J’étais membre des Amis du Louvre, mais ce n’est pas le même engagement. J’ai décidé de passer réellement le pas avec Orsay pour contribuer à l’art, mais aussi pour m’associer à des valeurs qui me tiennent à cœur, poursuit la mécène, membre d’aucune association du mouvement féministe et qui se défend d’une telle étiquette. La cause de la femme recouvre la question de la tolérance et de la mixité, y compris raciale ou sociale, valeurs importantes à mes yeux. On a donc tous à gagner dans la défense des droits des femmes, y compris les hommes.» Et Catherine Ladousse de surenchérir : «Dans la lutte pour l’égalité, nous mettons un point d’honneur à inclure les hommes. Si nous voulons changer l’image traditionnelle du mécène homme, nous ne devons pas reproduire les clubs masculins qui n’acceptaient pas les femmes. Il serait contre-productif de rester entre nous. D’ailleurs, la plupart des réseaux sont mixtes. Nous devons accentuer leur présence et trouver comment les engager dans nos initiatives qui parlent de femmes.»
Sortir d’une démarche trop étroite
Désireux d’impliquer le plus grand nombre d’hommes, le musée aborde ce cercle, appelé à occuper le devant de la scène, comme un tremplin. Ainsi, depuis deux ans, Orsay intervient au Women’s Forum, tandis que son organigramme est unique en son genre : les trois plus hautes fonctions sont occupées par des femmes, avec Laurence des Cars, Sylvie Patry et Cécile Debray-Amar, directrice du musée de l’Orangerie. Cette synergie entre art et politique est la clé du succès. «L’initiative est intéressante, explique Catherine Abonnenc, ambassadrice du CFM auprès du réseau Femmes Business Angels, premier du genre en Europe, réunissant une centaine de femmes investissant personnellement dans des start-up à potentiel et dont elle est par ailleurs vice-présidente. Elle permet de sortir d’une démarche trop étroite, centrée uniquement sur l’art. De plus, le mécénat est avant tout une histoire d’investissement, personnel et financier, un message peu développé vis-à-vis des femmes. D’un côté, on parle peu d’argent, de l’autre, notre réseau professionnel nous enferme dans une approche exclusive de rentabilité financière. Le CFM nous permet de diffuser un message large sur les femmes, particulièrement en matière de gestion ouverte et responsable de leur patrimoine.» «Nous le pensons comme un lieu d’expression pour les TPE et PME qui développeraient des politiques RSE (responsabilité sociale des entreprises, ndlr) sur la question de l’égalité en leur proposant des thématiques qui font sens avec leurs propres préoccupations», explique Aurélie Cauchy-Laure, sa directrice du développement. Pour trouver ses cibles, le musée s’appuie sur les réseaux militants, aujourd’hui au nombre de sept, dont le Cercle InterElles, COM-ENT, Femmes Chefs d’Entreprises, Professional Women’s Network et Femmes Business Angels. Ambassadeur du CFM depuis 2018, ce dernier a permis de recueillir une douzaine d’adhésions à titre individuel. «Avec le temps, plusieurs cercles de femmes se sont associés à l’initiative. Même si le plus souvent nous les connaissons, nous nous rencontrons autrement par le musée d’Orsay, car nous nous retrouvons dans un engagement en faveur d’initiatives hors de notre champ d’action, pour le plaisir et dans des conditions privilégiées. Cette manière de se rencontrer nous met en solidarité», explique Catherine Ladousse. Et de préciser : «Quand je parle du cercle à des personnes qui ne le connaissent pas, c’est cette approche politique qui les intéresse.» En cinq ans d’existence, l’initiative n’a pas encore fait d’émule dans les établissements culturels. Forte de cette unicité, Laurence des Cars compte s’appuyer sur son monopole pour franchir les frontières : «L’enjeu de ce cercle, aujourd’hui, est aussi de le positionner et de le faire rayonner hors de nos frontières.»