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Maître verrier, un métier d’avenir

Publié le , par Annick Colonna-Césari

Créateurs de lumière, ils perpétuent et réinventent un savoir-faire millénaire, tout en poursuivant leur mission de transmission. Portrait d’une profession confrontée à une multitude de défis techniques et artistiques.

Manufacture Vincent-Petit, repose de vitraux restaurés à l’église d’Ervy-le-Châtel,... Maître verrier, un métier d’avenir
Manufacture Vincent-Petit, repose de vitraux restaurés à l’église d’Ervy-le-Châtel, dans l’Aube.
© Manufacture Vincent-Petit

La France, pays de cathédrales, possède la plus vaste superficie de vitraux au monde – dont les plus anciens remontent au Moyen Âge –, soit 90 000 mètres carrés selon l’Institut national des métiers d’art. À ce patrimoine religieux exceptionnel s’ajoute celui d’édifices civils, immeubles, banques ou grands magasins, qui, au début du XXe siècle, se sont parés de décors art nouveau ou art déco : d’où l’importance de l’activité de restauration. Pour veiller sur leur destin, on recense 450 entreprises. Ce chiffre recouvre toutefois des réalités contrastées. La plupart d’entre elles n’emploient que deux ou trois salariés, une vingtaine au maximum pour les plus grandes. Leur niveau de qualification est par ailleurs inégal, aucun diplôme n’étant requis pour ouvrir un atelier. En définitive, indique le ministère de la Culture, seuls une quinzaine sont qualifiés pour intervenir sur des vitraux anciens. Et ils font des merveilles. Chaque entreprise a son histoire. Celle des ateliers Duchemin, à Paris, compte six générations. Ils sont aujourd’hui dirigés par deux sœurs, Marie et Charlotte Rousvoal, qui n’imaginaient pas succéder à leurs parents : la première était éprise de théâtre, la seconde préférait le stylisme. «J’assistais mon père occasionnellement, mais c’est lors de la réalisation des vitraux de Robert Morris pour la cathédrale de Maguelone dans l’Hérault, en 2002, que j’ai décidé de m’engager», se souvient Marie. Emmanuel Putanier a, lui, choisi cette voie en souvenir de son émerveillement lorsque, jeune garçon, il longeait chaque jour un atelier de maître verrier. Après des études aux beaux-arts de Saint-Étienne et un compagnonnage à travers l’Hexagone, il a été embauché par une entreprise sarthoise, Vitrail France, dont il a repris les rênes en 2014. Pour Flavie Vincent-Petit, le déclic s’est produit après son diplôme d’histoire médiévale, au cours d’un stage chez des artisans troyens, André et Alain Vinum. Elle restera dix-huit ans à leurs côtés, avant de fonder en 2012 à Troyes une manufacture à son nom. «J’aime ce métier, explique-t-elle, parce qu’il est à la fois manuel et intellectuel, avec une dimension spirituelle.» La profession de maître verrier ou vitrailliste continue de séduire jeunes et moins jeunes, en reconversion professionnelle. «Beaucoup en ont une vision folklorique», regrette toutefois Marie Rousvoal. «Ils croient s’épanouir en s’adonnant à un loisir créatif», abonde Flavie Vincent-Petit. Or, de la dépose des verrières à leur restauration en atelier, jusqu’au remontage, ce travail exige de multiples compétences : découper le verre, maîtriser l’art de la grisaille et du jaune d’argent, refaire les parties endommagées ou manquantes, sertir les pièces au plomb ou les dessertir… En outre, ajoute la présidente de la manufacture Vincent-Petit, «le métier comporte des aspects fastidieux. Sur des surfaces monumentales, les gestes sont répétitifs, comme lorsqu’on nettoie des centaines de mètres carrés au bâtonnet de coton». Bref, mieux vaut être doué d’un fort mental, résume Emmanuel Putanier, s’agissant surtout des chantiers de longue durée, dont on ne voit pas le bout. Heureusement à la fin, c’est la révélation. L’effet «waouh !».
 

Restauration des vitraux de Notre-Dame de Paris, test de nettoyage à la manufacture Vincent-Petit. © Christophe Deschanel / Manufacture Vi
Restauration des vitraux de Notre-Dame de Paris, test de nettoyage à la manufacture Vincent-Petit.
© Christophe Deschanel / Manufacture Vincent-Petit


L'excellence à la rescousse
Quoi qu’il en soit, certaines entreprises sont aujourd’hui débordées, particulièrement dans le domaine de la restauration. À leur charge de travail habituelle se sont en effet additionnés les chantiers décrochés dans le cadre du «Plan de relance patrimoine», mis en place par le gouvernement en réponse à la crise sanitaire. Sans oublier ceux liés à la restauration de Notre-Dame de Paris, ravagée par l’incendie du 15 avril 2019 : la manufacture Vincent-Petit et Vitrail France font partie des huit lauréats missionnés pour le sauvetage de ses vitraux. «Ils n’ont été ni détruits ni abîmés, décrit Flavie Vincent-Petit. Ils sont en revanche fortement encrassés par les fumées, et beaucoup comportent des cassures anciennes». Son équipe s’occupe aussi notamment de l’abbatiale Saint-Ouen de Rouen, dont la pièce maîtresse, la grande rose de la façade occidentale, datant du XVe siècle, est constituée de sept cents panneaux. Un chantier colossal qu’elle partage également avec Vitrail France. Emmanuel Putanier, lui, se trouve au chevet de la basilique de Saint-Denis, pour une restitution hors du commun : «Nous reproduisons à l’identique vingt-deux panneaux, en remplacement des originaux du XIIe siècle, qui, trop fragiles, sont conservés par le Laboratoire de recherche des monuments historiques de Champs-sur-Marne». Et chez les Duchemin, on achève un chantier de dix ans : celui de l’impressionnante coupole art déco surplombant le hall central du siège de la Société Générale, à Paris.

 

Ateliers Duchemin, vitraux créés par Jean-Michel Alberola pour la cathédrale de Nevers. © Ateliers Duchemin
Ateliers Duchemin, vitraux créés par Jean-Michel Alberola pour la cathédrale de Nevers.
© Ateliers Duchemin


Un métier en mouvement
La création contemporaine constitue l’autre pan de l’activité de la profession, avant tout consacrée aux édifices cultuels. Selon la Rue de Valois, elle représente généralement 20 % du chiffre d’affaires, mais peut atteindre 40 ou 50 %. Tel est le cas des ateliers Duchemin, habitués à collaborer avec des artistes. «C’est sans doute inscrit dans notre culture familiale, estime Marie Rousvoal. Avant de se mettre à son compte, mon grand-père travaillait dans l’atelier de Paul Bony, où ont été exécutés les vitraux de Matisse pour la chapelle du Rosaire, à Vence». Ses descendants lui ont emboîté le pas, stimulés par les commandes publiques de la décennie 1980, sous le ministère de Jack Lang. Ainsi la société a-t-elle accompagné, dans leurs projets pour cathédrales ou églises, Jean-Michel Alberola, Geneviève Asse, Olivier Debré, Anne et Patrick Poirier (voir l'article Toute la mémoire d’Anne et Patrick Poirier de la Gazette 2022 n° 21, page 194) ou encore Carole Benzaken (voir l'article Carole Benzaken, l’espace de la peinture de la Gazette 2019 n° 28, page 180). Ces derniers temps, sur fond de revalorisation des métiers d’art, les commandes privées se sont parallèlement développées, souvent par le biais de décorateurs ou d’architectes. Un essor facilité par l’apparition de techniques inédites, telles les dalles de verre enchâssées dans le béton. Mais de nouveaux interlocuteurs pourraient intégrer le cercle. En effet, «alors que le vitrail s’inscrit traditionnellement dans une démarche d’intégration architecturale, certains artistes le considèrent à présent comme un médium», remarque Marie Rousvoal. Elle-même a été sollicitée par les galeries Allen ou kamel mennour en vue d’expositions. Le vitrail semble donc toujours promis à un bel avenir. Pourtant, depuis mai dernier, les maîtres verriers s’inquiètent. Le règlement européen relatif aux substances chimiques devrait d’ici peu inclure l’interdiction de l’usage du plomb, matériau certes toxique, mais unique à leurs yeux pour sa résistance et sa malléabilité. Une décision qui menacerait à la fois leur filière et tout un patrimoine. «Les entreprises sérieuses ont déjà pris des mesures pour éviter les contaminations, plaide Flavie Vincent-Petit. Nos salariés sont équipés de gants, masques et combinaisons, et pratiquent des tests sanguins tous les six mois». De son côté, le Cerfav – Centre européen de recherches et de formation aux arts verriers – de Vannes-le-Châtel (Meurthe-et-Moselle) a mené depuis plusieurs années des études sur un alliage de substitution, dont l’expérimentation est enfin annoncée pour les mois à venir. Mais cette perspective ne suscite guère l’enthousiasme et, dans la profession, on espère obtenir une dérogation afin de continuer d’utiliser le matériau ancestral, au moins pour la restauration. «Dans les polyptyques de Rogier van der Weyden, on trouve des blancs travaillés à la céruse de plomb, note Emmanuel Putanier. Va-t-on entrer dans les musées pour les enlever 

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