Il y a un peu plus de deux ans, la même maison présentait déjà un batea du XIXe siècle, comprenez un grand plat en bois laqué typique du Mexique colonial, emporté pour 24 680 €, soit quinze fois son estimation. Celui proposé ce samedi est plus précieux encore, puisqu’il a sans doute été fabriqué dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Il appartient depuis près de cent cinquante ans à la même famille d’origine bordelaise, installée à La Nouvelle Orléans avant de rejoindre le Mexique au moment de la guerre de Sécession en 1861, et qui ramena une collection d’objets indigènes en France, en 1910. Ce plat, qui a traversé l’océan Atlantique, est lui-même à la croisée des influences de trois continents. La technique de laque, le support de bois et les matériaux sont locaux – les Amérindiens utilisaient traditionnellement un mélange d’huiles végétales et animales, de terre riche en chaux ou de roche carbonatée appelée dolomie –, et le décor présente certaines similitudes avec l’art maya. Cette ornementation végétale stylisée est à rapprocher d’un modèle conservé au musée de l’Amérique, à Madrid. Très appréciées par les Européens installés en Nouvelle-Espagne, de telles pièces bénéficiaient en outre de l’engouement pour les laques asiatiques arrivant en masse en Amérique latine, grâce au commerce avec les Philippines, permis par l’ouverture d’une nouvelle route du Pacifique découverte en 1565, empruntée par le galion de Manille (nom donné aux navires espagnols qui traversaient une ou deux fois par an l’océan Pacifique entre les Philippines et le Mexique). Répandus dans toute la société, les objets en «laca mexicana» avaient un usage somptuaire, religieux et domestique. Le Michoacán, le Guerrero et le Chiapas s’en sont fait une spécialité, et ont également produit des meubles. Leurs décors variés ont pour principales thématiques des sujets religieux, didactiques ou moralisateurs, mais aussi descriptifs de la vie quotidienne.