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Les opalines, un art très français

Publié le , par Sophie Reyssat

Par leur finesse, leur variété et leurs coloris, qu’elles soient décoratives ou utilitaires, elles témoignent d’un XIXe siècle empreint de féminité et de raffinement.

Sucrier en forme de melon et son présentoir en forme de feuille en opaline overlay... Les opalines, un art très français
Sucrier en forme de melon et son présentoir en forme de feuille en opaline overlay mauve et blanc «pâte de riz», milieu du XIXe siècle, 15 x 26 cm.
3 120 € frais compris.
Paris, Drouot-Richelieu, 12 mars 2007.
Gros & Delettrez SVV.
M. Lescop de Moÿ.

Derrière le terme générique, adopté par les antiquaires en référence aux irisations de l’opale, se cachent diverses matières et de multiples formes retraçant près d’un siècle de création, du premier Empire à l’époque Napoléon III. L’opalisation du verre, obtenue par l’adjonction d’oxyde d’étain, est connue à Venise dès le XVIe siècle. Elle gagne progressivement le reste de l’Europe, mais c’est en France, à partir des années 1810, qu’elle est appliquée à un verre à base de plomb mis au point en Grande-Bretagne au XVIIe siècle, le cristal. Les premières opalines nationales en verre soufflé, objets de luxe réalisés par les cristalleries de Baccarat, du Creusot, de Saint-Louis et, un peu plus tard, par les manufactures de Bercy et de Choisy-le-Roi, prennent alors le nom de cristal d’opale. Sobres, elles adoptent des silhouettes inspirées de l’Antiquité, alors en vogue. La matière, assez épaisse, est allégée par la taille de côtes larges et profondes dessinant des motifs simples comme la pointe de diamant. Les pièces les plus précieuses, tels les vases, les coupes ou les coffrets, sont montées en bronze moleté, ciselé et doré au mercure par des artisans spécialisés travaillant pour le compte de cristalleries ou de «magasins de nouveautés et de curiosités». Cet habillage précieux peut doubler la valeur des pièces.

Veilleuse en cristal d’opale gorge-de-pigeon et bronze doré, 1820-1830, h. 24 cm, collection Marc Imhaus.18 049 € frais compris.Paris, Drouot-Richelie
Veilleuse en cristal d’opale gorge-de-pigeon et bronze doré, 1820-1830, h. 24 cm, collection Marc Imhaus.
Paris, Drouot-Richelieu, 29 juin 2007. Bonduelle - Lancry SVV, Delvaux SVV. M. Dufrenne.
18 049 € frais compris.
Aiguière et son bassin en cristal d’opale savonneux, décor de Jean-Baptiste Desvignes, époque Charles X, h. de l’aiguière 30 cm.3 908 € frais compris.
Aiguière et son bassin en cristal d’opale savonneux, décor de Jean-Baptiste Desvignes, époque Charles X, h. de l’aiguière 30 cm.
Paris, Drouot-Richelieu, 22 octobre 2007. Boisgirard SVV. M. Dufrenne.
3 908 € frais compris.
Vase en opaline jaune, bord godronné orné d’une torsade rubanée bleue et blanche, Clichy, vers 1850, h. 15 cm.1 160 € frais compris.Paris, Drouot-Rich
Vase en opaline jaune, bord godronné orné d’une torsade rubanée bleue et blanche, Clichy, vers 1850, h. 15 cm.
Paris, Drouot-Richelieu, 22 octobre 2007.
Boisgirard SVV. M. Dufrenne.


 




                                                                                         

Lorsqu’elles sont ornées, par exemple, de deux oiseaux buveurs en bronze se faisant face, les coupes font s’envoler les enchères. L’une d’elles se négociait 9 867 € le 29 juin dernier (Bonduelle - Lancry et Delvaux). Teintés le plus souvent à la chaux, les cristaux d’opale sont d’un blanc légèrement laiteux caractérisé par leurs reflets rougeoyants. D’autres couleurs existent, parmi lesquelles le turquoise, le bleu décliné en outremer, en lavande ou en bleu de lin, mais la plupart sont irrégulières. Peu produits, le jaune et le vert jade sont aujourd’hui recherchés par les collectionneurs en raison de leur rareté. Une teinte les détrône cependant au panthéon des opalines : le rose gorge-de-pigeon. Sa fabrication exigeante, obtenue par l’adjonction de sels d’or, en fait une couleur de luxe. C’est aujourd’hui la plus prisée. Une exceptionnelle enchère de 250 516 F frais compris gratifiait ainsi le 17 mars 1991 à Versailles (Mes Martin et Desbenoît) une paire d’aiguières provenant de la collection Castille. L’engouement pour ce rose unique perdure jusqu’à la fin du siècle, même si des astuces de fabrication réduisant son coût le rendent beaucoup plus courant. Grâce aux progrès techniques, le règne de Louis-Philippe voit naître de nouvelles variétés d’opalines qui envahissent les intérieurs sous Napoléon III. Le verre remplace le cristal et les opalines blanches – destinées aux objets usuels comme les garnitures de toilette – prennent le nom de pâte de riz en raison de leur teinte légèrement grisâtre. Les pièces plus décoratives se parent de nombreuses teintes inédites, homogènes et souvent vives, que les cristalleries de Clichy et de Choisy-le-Roi, notamment, contribuent à mettre au point à l’aide de nouveaux colorants. Le jaune est très apprécié par les collectionneurs, qui déboursent entre 1 500 et 2 000 € pour les vases réalisés par Baccarat et Saint-Louis. Parfois fantaisistes, les formes illustrent la course à l’originalité que se livrent ces deux cristalleries. Depuis le début des années 1830, le procédé industriel du moulage permet en effet de réaliser toutes sortes de modèles originaux, dont certains, s’inspirant de la nature, reproduisent des ananas, des melons ou encore des feuilles de vigne. Associant forme et couleur, une paire de petits vases «ananas» en opaline jaune était ainsi adjugée 2 160 € le 12 mars dernier (Gros & Delettrez). Les innovations industrielles permettent aux fabricants de combiner divers procédés afin de proposer des pièces précieuses. C’est le cas des opalines overlay dont la taille élaborée dévoile les différentes couleurs des couches superposées de matière. Pour les amateurs d’opalines Napoléon III, la complexité de l’objet, la richesse de sa décoration, sa qualité d’exécution et la rareté de sa coloration font toute la différence. Après avoir été séduit dans les années 1980 par les couleurs franches des opalines pâte de riz, le marché revient à la qualité du cristal de pièces plus anciennes et plus rares. Les opalines Charles X tiennent le haut du pavé. Comme l’explique l’expert Roland Dufrenne, il reste néanmoins possible de se faire plaisir, car «les prix sont très variables. On peut trouver un flacon boule Charles X tout simple, sans décor et sans bronze, autour de 300-400 €. Avec un décor, s’il est de belle qualité, il se négocie entre 500 et 800 €. Un flacon boule gorge-de-pigeon avec un très beau décor va coûter entre 2 000 et 3 000 €». La fraîcheur de l’ornementation est l’un des critères de prix. Les fleurettes peintes et les feuillages dorés mis à la mode par Jean-Baptiste Desvignes au début du siècle, décor fixé par une cuisson à basse température au feu de moufle (1), ont en effet tendance à s’effacer. Ce n’est pas le cas d’ornementations plus tardives, comme les grands bouquets de fleurs au naturel sur fond savonneux réalisés par Jean-François Robert à partir de 1838, dont les couleurs vitrifiées conservent toute leur vivacité. Au revers des pièces, une rare surprise attend parfois les amateurs, sous la forme d’une étiquette retraçant le parcours de l’objet. Sans faire doubler son prix, la vignette d’une manufacture ou d’une boutique célèbre offre un témoignage capable de séduire les acheteurs.
Un coffret nécessaire à parfum, dont un flacon était tatoué d’une vignette de l’Escalier de cristal, sans doute le plus fameux magasin du Palais-Royal, partait pour 6 480 € le 12 mars 2007 (Gros & Delettrez). Si les amateurs sont essentiellement français, les opalines, tout particulièrement le cristal d’opale, ont leurs connaisseurs à l’étranger, notamment en Grande-Bretagne, aux États-Unis et en Orient. L’une des plus belles collections d’opalines Charles X au monde serait ainsi entre les mains du roi du Maroc.


(1) La moufle est une forme qui protège la pièce du contact direct avec la flamme
À LIRE
Les Opalines, par Christine Vincendeau, Les Éditions de l’amateur, 1998.
À VOIR
Musée des Arts décoratifs, Paris. Il possède une intéressante collection d’opalines Charles X comprenant plusieurs pièces gorge-de-pigeon. Le musée du Cristal Saint-Louis et le musée Baccarat, dans les villes éponymes, conservent quant à elles de belles opalines Napoléon III.
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