Charlemagne regrettait de ne pouvoir emporter avec lui sa volumineuse clepsydre ; il était obligé de regarder l’heure sur un cadran solaire portatif !
La mesure du temps fut l’une des plus grandes conquêtes de l’humanité. Mais elle se fit longtemps désirer ! En effet, ce n’est qu’au XIIe ou XIIIe siècle qu’apparurent les premiers systèmes mécaniques. Mais hors de question d’en faire des instruments de poche : il s’agissait encore d’objets volumineux et encombrants. Certains étaient transportables, comme l’horloge à cadran achetée par Louis XI en 1480, d’autres étaient simplement destinés à orner les tables. Très vite, la nécessité rendit les créateurs de plus en plus ingénieux. En effet, le mouvement étant mû par le poids, ces montres ne pouvaient être transportées qu’avec une infinie précaution. Des horlogers italiens, semble-t-il, furent les premiers à imaginer le ressort spiral. Le premier exemple connu remonte à la fin du XVe siècle. On le trouve dans un croquis de Léonard de Vinci. Après 1500 cependant, le rôle de l’Italie dans l’art de l’horlogerie se fit plus discret et, pendant cent cinquante ans, la première place revint à l’Allemagne puis à la France.
Les balbutiements de l’horlogerie
En 1511 à Nuremberg, un horloger nommé Hele créa le prototype de la première montre portative, capable de donner l’heure quarante heures durant. Peut-on cependant la définir comme une montre dans le sens où nous l’entendons aujourd’hui ? Le terme peut prêter à confusion, car on a souvent désigné sous le nom de montre le cadran des horloges. Par extension, le terme a désigné l’horloge elle-même. Et jusqu’au XVIIe siècle, quand on rencontre le mot «montre» dans les inventaires, on ne peut savoir s’il s’agit d’une montre ou d’une horloge. Quelques dizaines d’années plus tard, le centre de l’horlogerie mondiale se déplaça à Blois, résidence royale et important centre d’activité. Julien Coudray, sous le règne de Louis XII et de François Ier, fut le premier grand horloger français. La profession, aussi nouvelle que l’objet, paraissait pleine d’avenir, à tel point qu’en 1544, François Ier en fixa les statuts. Parmi les nouvelles obligations de cette corporation, celle pour les maîtres de marquer leurs ouvrages. Rapidement, Blois fit des émules et d’autres centres horlogers se créèrent à Autun, Rouen, Paris, Lyon, La Rochelle, Sedan, Dijon et Grenoble. Mais, disons-le sans détour : sur le marché, les montres de la première moitié du XVIe siècle sont rarissimes ! Les toutes premières étaient sphériques : c’est le cas de la première pièce française, exécutée par Jacques de la Garde en 1551 et conser0vée au Louvre. L’essentiel des montres françaises datant du XVIe siècle sont aujourd’hui dans des musées, les spécimens du XVIIe siècle étant un peu moins rares. D’autres formes de montres firent leur apparition, comme le tambour ou le rond. Elles étaient alors plus souvent pendues à une chaîne autour du cou que portées dans la poche. Les plus courantes, au début du XVIIe siècle, étaient de forme ovale, légèrement bombées, les côtés droits et percés de motifs décoratifs et ciselés. On retrouve néanmoins à cette époque beaucoup de montres octogonales. Mais on rencontre parfois des formes moins banales : croix, crâne, globe terrestre, tulipe... Comme au siècle précédent, elles avaient généralement leur boîte en métal doré, souvent percé, ciselé et gravé. Le cadran était protégé par un couvercle, en métal à l’origine, puis transparent, généralement en cristal de roche, pour permettre de lire l’heure. Sous Louis XIV, les montres ressemblaient à une boule aplatie. Au XVIIIe siècle, elles devinrent plus élégantes et moins épaisses. Autre innovation du siècle : le remplacement de l’acier par des pierres fines d’une grande dureté, comme le rubis, pour diminuer l’usure produite par le frottement des pivots des diverses roues en les faisant porter sur des pierres dures. À cette époque, le luxe apporté à la décoration de ces montres explique l’engouement des amateurs à travers toute l’Europe. En sortant des ateliers, elles atteignaient des prix ahurissants !
Vers l’horlogerie moderne
Dès la fin du XVIe siècle, l’émail champlevé fit son apparition sur le cadran des montres allemandes, mais l’émail revêtit toute son importance après 1630 lorsque l’orfèvre Jean Toutin remit à l’honneur le procédé de la peinture sur émail. À partir du deuxième tiers du XVIIe siècle, les montres prirent la forme d’une bassine, ouvrant la voie à de nombreux miniaturistes. Les fils Toutin, installés à Blois, suivirent les traces de leur père. Après avoir été le centre de l’horlogerie, Blois devint le centre de peinture sur émail, inspirant les artisans par-delà les frontières, de Paris jusqu’à Genève, où de nombreux horlogers prostestants chassés par l’édit de Nantes trouvèrent refuge. Malgré tout leur raffinement, les montres de cette époque n’étaient encore que des jouets de luxe et n’indiquaient qu’une heure très approximative. L’écart pouvait atteindre deux heures et il fallait remonter sa montre deux fois par jour ! Dans ces conditions, impossible d’indiquer les minutes. Cela n’empêcha pas les horlogers de s’amuser – ou d’amuser leurs clients – en compliquant les montres à l’envi. Certaines sonnaient tous les quarts d’heure, d’autres indiquaient les phases lunaires ou les signes du zodiaque. Puis vint le Néerlandais Christian Huygens, qui créa le pendule régulateur ; une invention capitale dans l’histoire de l’horlogerie, malheureusement non encore applicable au mouvement des montres. Pour ces dernières, il créa le spiral, entre 1665 et 1675, qui permettait de réguler l’amplitude du balancier. Grâce à sa découverte, les meilleures réalisations n’accusaient alors qu’un écart de cinq à dix minutes. Forts de cette trouvaille, des horlogers anglais tentèrent d’aller encore plus loin en imaginant de compter les minutes. Jusque-là, les montres n’avaient qu’une aiguille, celle des heures. Il fallut donc attendre les années 1690 pour que celle des minutes fasse son apparition en Angleterre. Cette nouveauté fut généralisée vingt ou trente ans plus tard, ce qui permit aux Anglais de prendre une bonne longueur d’avance dans la discipline et ce, jusqu’au milieu du XVIIIe siècle. À cette même période, le savant français Camus inventa les montres à seconde, capables de marcher un an sans être remontées. À la fin du XVIIIe siècle, la plupart des inventions mécaniques que nous connaissons aujourd’hui existaient. En d’autres termes, pendant près de deux cents ans, l’horlogerie vécut sur ses acquis, jusqu’à l’arrivée du quartz en 1967.