Les collections de verres anciens sont rares sur le marché français, et encore plus de cette importance. À l’évidence, celle-ci, patiemment constituée sur trois décennies par une dame dont la passion pour la culture française au sens le plus noble était connue et respectée de tous, va être guettée par les amateurs particuliers comme par les institutions. En compagnie de son époux Didier, Barbara Wirth a glissé leur nom aux côtés des grands défenseurs des jardins lorsque, après avoir acquis le domaine du château de Brécy en 1992 – un lieu qui fut un temps la propriété de la tragédienne Rachel Boyer –, ils décidèrent de lui redonner verdure. Il a été depuis récompensé du label «jardin remarquable». Et le 22 janvier 2012, alors que Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture, lui remet les insignes d’officier de l’Ordre des arts et des lettres, il peut déclarer : «Je suis particulièrement heureux d’honorer ce soir l’une des grandes dames jardinières de notre pays.» Également membre du conseil du musée des Arts décoratifs, elle cultivait la discrétion pour une passion singulière, mais ô combien délicate, celle des verres anciens. C’est cet ensemble qui va se retrouver sous le marteau. Attention, fragile !
En toute transparence
179 créations du feu composent précisément cette collection jusqu’à peu abritée dans un cabinet dédié du château, et protégée des regards par des boiseries. Un aménagement à la manière d’un Schatzkammer, dont – raffinement ultime – chaque pièce de verre était peinte sur le panneau de bois qui la protégeait des regards et des chocs. Parmi cet ensemble d’une grande élégance axée sur la transparence et la forme, quelques productions d’exception se détachent, comme un Bacchus chevauchant un tonneau de Bernard Perrot (voir page 17) et le verre émaillé à monture dorée, façonné en France à la fin du XVIe siècle ; ainsi que le précise l’experte Sylvie Lhermite-King, «seuls une quinzaine de verres émaillés réalisés en France à cette époque sont actuellement répertoriés». Il faut se rappeler qu’alors, Venise règne en maître de cet art et que notre bon royaume n’en est qu’à ses balbutiements. Ce sont d’ailleurs les Italiens qui introduisent la technique dans toute l’Europe, progressivement, au fil d’échanges heureux. Partis vers toutes les destinations à la fin de la Renaissance – vers les Flandres, les Pays-Bas du Nord, la France bien
sûr et même l’Autriche –, ils vont essaimer leur savoir-faire à la manière d’abeilles butineuses et généreuses, eux aussi essentiels. Un grand plat en verre bleu décoré à froid de frises feuillagées et dorées, élaboré à Innsbruck (diam. 42 cm, 8 000/10 000 €), en apporte ici une belle illustration. S’épanouit alors ce que l’on nommera la «façon de Venise», avec souvent une vraie difficulté à savoir si la réalisation provient de la Sérénissime ou d’un atelier transalpin. Il en va ainsi des aériennes tazza à la coupe hémisphérique et à la jambe creuse, dont plusieurs modèles datant de la fin du XVIe siècle sont proposés entre 3 000 et 5 000 €. Certitude en revanche pour un biberon de forme sphérique orné de filets blancs et bleus en relief et d’une frise de reticoli (3 000/3 5000 €) : celui-ci provient bien de Venise.
De bien belles jambes
La collection livre un véritable panorama des différents modèles de verreries de forme des XVIe et XVII siècles : à coupe conique, cylindrique, octogonale ou en cloche (campaniforme), à fruit et nommée « gobichon »… mais toujours sur jambe. Que cette dernière soit pleine, haute, balustre, polylobée, torsadée, à ailettes ou à bulbes, c’est elle qui dessine la silhouette. En effet, Barbara Wirth cultivait l’élégance en toute chose, l’on compte donc très peu de gobelets dans cet ensemble. Elle avait un véritable œil pour juger des allures, et un goût vénitien certain. Précision importante : dès leur création, aucune de ces pièces n’était destinée à l’usage de la table. Il s’agissait en les possédant de montrer son goût pour la nouveauté, en les exposant sur des dressoirs qui permettaient aussi – en tout raffinement bien sûr ! – de mettre en valeur sa richesse. Aujourd’hui, elles sont estimées à partir de 1 500 € pour les références les plus simples, autour de 3 000 € le plus souvent et jusqu’à 10 000 € pour un verre vénitien de la fin du XVIe siècle, dont la jambe est formée d’un bouton creux sur piédouche décoré de fins fili blancs. L’experte peut exprimer sa joie de retrouver cette collection, qu’elle connaît très bien (voir aussi page 15) : elle en avait présenté en 2008 dans sa galerie certains exemplaires au sein de «Cent verres français 1550-1750 – Trésors des collections privées», notamment une bouteille à long col produite en Champagne vers 1722 (h. 44 cm, 9 000/12 000 €), une pièce historique portant le sceau du sacre de Louis XV. Cette exposition a fait date, ayant remis sur le devant de la scène le verre français ancien et œuvré à la compréhension d’une période d’apogée de sa production entre la fin du XVIe et le début du XVIIe siècle, sous le bon roi Henri IV, alors que s’amorçait le déclin de Venise. L’ensemble est complété de quelques curiosités, où se remarquent une maquette en carton découpé et doré de la chapelle royale de Versailles, datant du début du XVIIIe siècle et présentée dans sa boîte en verre et bois doré d’origine (15 000/20 000 €), ainsi qu’une Allégorie de l’Immaculée Conception en émail translucide sur cuivre et corail, dans son cadre en bois peint (30 000/40 000 €), acquise chez les Kugel. Deux pièces qui, si elles n’illustrent pas l’art de la verrerie, ne manqueront pas de retenir elles aussi les attentions. Les institutions sont espérées : elles ne devraient pas manquer de rendre un juste hommage à une dame qui a œuvré tout au long de sa vie pour la défense du patrimoine français.