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Le classement des objets d’art et le droit de propriété

Publié le , par Laura Scurti

Si l’expression «monument historique» désigne communément un bien immobilier, les objets d’art ou de collection peuvent également bénéficier de cette protection. Revue des conséquences.

   Le classement des objets d’art et le droit de propriété
  
© Nicolas Vial

À compter de la période révolutionnaire s’est développée une conscience de l’existence d’un patrimoine français. Les actes de vandalisme, les confiscations d’édifices suivies de démolition ou de reconversion , ont fait émerger une volonté de protection des biens culturels. Celle-ci s’est transformée en véritable doctrine tout au long du XIXe siècle. Les actions administratives mises en place dès 1830 par l’État se sont cependant révélées, sans assise légale, parfaitement insuffisantes. Dès la fin du siècle, l’inefficacité de l’administration a rendu nécessaire la mise en place d’un régime légal. Une première loi est promulguée le 30 mars 1887, puis une deuxième le 31 décembre 1913. Cette dernière, plusieurs fois modifiée, est le texte fondateur de la protection des monuments historiques. Récemment, la loi du 7 juillet 2016 a complété le régime mis en place.

Objets privés d’intérêt public
Les premières législations relatives aux monuments historiques envisagent déjà la protection d’objets mobiliers. Si la loi de 1887 ne concernait que les objets des propriétaires publics, à compter de 1913 la notion de monument historique s’ouvrait aux objets des propriétaires privés. Selon l’article L622-1 du code du patrimoine, peuvent être classés monuments historiques «les objets mobiliers, soit meubles proprement dits, soit immeubles par destination, dont la conservation présente, au point de vue de l’histoire, de l’art, de la science ou de la technique, un intérêt public». Les objets «meubles proprement dits » sont ainsi protégés ; il s’agit de tous les biens qui peuvent se transporter d’un lieu à l’autre : des meubles meublants, des tableaux, des sculptures, un bateau… L’article L622-1 identifie également les immeubles par destination. Il s’agit d’«objets que le propriétaire d’un fonds y a placés pour le service et l’exploitation de ce fonds» et de ceux qu’il y a attachés à «perpétuelle demeure». Ce sont donc des biens meubles par nature que la loi tient pour immeubles, en raison de leur affectation par le propriétaire à un édifice. Des objets scellés au bâtiment, tels que des glaces ou boiseries, peuvent être qualifiés d’immeubles par destination. Enfin, depuis 2016 il est possible de classer un «ensemble historique mobilier», défini comme «un ensemble ou une collection d’objets mobiliers dont la conservation dans son intégrité et sa cohérence présente un intérêt public au point de vue de l’histoire, de l’art, de l’architecture, de l’archéologie, de l’ethnologie, de la science ou de la technique».

Les obligations liées au classement
Une fois le classement prononcé, le régime applicable va restreindre les droits des propriétaires. Le droit de propriété, à valeur constitutionnelle, est défini comme celui de «jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue ». Ce caractère absolu ne signifie toutefois pas qu’aucune atteinte ne puisse lui être portée, puisque l’article 544 du code civil poursuit : «pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements». Les obligations liées au régime du classement en sont un parfait exemple. La loi institue sur l’objet classé une servitude que le propriétaire doit respecter. Des devoirs spécifiques concernant la préservation de l’intégrité, la traçabilité de l’objet, son aliénation et son exportation sont mis à sa charge pour assurer la protection de l’objet. Le non-respect de ces obligations peut donner lieu à des poursuites civiles, pénales ou administratives. La première série d’obligations consiste à préserver l’intégrité physique de l’objet classé. Le propriétaire ou l’affectataire domanial a une obligation de conservation de l’objet.
Il doit entretenir, réparer, restaurer ou assurer la sécurité de celui-ci. Par ailleurs et pour tous propriétaires publics ou privés, aucun acte susceptible de porter atteinte à l’intégrité matériel de l’objet classé (modification, réparation ou restauration) ne peut être réalisé sans l’autorisation du préfet ou du ministre de la Culture si ce dernier décide d’avoir connaissance de la demande. Sauf exception, pour obtenir une autorisation de travaux, une demande doit être adressée en deux exemplaires par le propriétaire, l’affectataire domanial, le dépositaire ou le détenteur de l’objet classé au conservateur des antiquités et des objets d’art du département dans lequel se trouve l’objet. Un dossier complet est joint, comprenant une description des travaux projetés, un constat d’état, le diagnostic des photographies et les propositions d’intervention. Cette demande est transmise immédiatement au préfet de région, qui se prononce dans un délai de six mois. Lorsque le ministre de la Culture se saisit de la demande, il dispose de douze mois pour se prononcer. L’absence de réponse dans les délais équivaut à une autorisation. Les travaux autorisés sont effectués sous le contrôle scientifique et technique des services de l’État chargés des monuments historiques (la DRAC). Cette supervision est notamment destinée à garantir que les interventions sont compatibles avec le statut de monument historique, conformes à l’intérêt d’art ou d’histoire et ne compromettent pas la conservation de l’objet classé. Dans un délai de six mois suivant l’achèvement des travaux, les services déconcentrés du ministre chargé de la Culture procèdent à la vérification. Les modifications effectuées sans autorisation sur un objet mobilier classé constituent une infraction punie de six mois d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende. La poursuite de cette infraction s’exerce en outre sans préjudice de l’action en dommages-intérêts.


L’interdiction de vente à l’exportation
La loi impose également une série d’obligations au propriétaire public ou privé pour permettre le récolement des objets classés, qui est assuré par le conservateur des antiquités et des objets d’art au moins tous les cinq ans. Le propriétaire  ou le détenteur  de l’objet classé est tenu de le présenter aux agents accrédités par l’autorité administrative lorsque ceux-ci le requièrent. Pour assurer le suivi du bien classé, le propriétaire, l’affectataire ou le dépositaire ayant l’intention de le déplacer est tenu d’en informer deux mois à l’avance le préfet. Le délai est porté à quatre mois lorsqu’il s’agit d’un prêt pour une exposition temporaire. Les plus importantes atteintes au droit de propriété concernent probablement l’aliénation et l’exportation de l’objet classé. Les objets mobiliers classés appartenant à l’État sont inaliénables. Ceux appartenant à une collectivité publique ou à un établissement public ou d’utilité publique peuvent être aliénés, mais l’objet ne peut être cédé qu’à l’État, à une personne publique ou à un établissement public. Toute acquisition faite au mépris de cette règle est nulle, et l’action en revendication ou en nullité est imprescriptible. Des dommages et intérêts peuvent également s’ajouter. L’acquéreur ou le sous-acquéreur de bonne foi a le droit au remboursement de son prix d’acquisition. Les objets classés des propriétaires privés peuvent être vendus uniquement sur le territoire français, à la condition de faire connaître à l’acquéreur l’existence du classement et de la notifier dans les quinze jours au préfet de région. Ce dernier informe le ministre de la Culture de l’aliénation et du transfert dans un nouveau lieu. Les informations sont reportées dans la liste générale des objets classés. Concernant les problématiques d’exportation, il est interdit d’exporter un objet mobilier classé hors de France, sauf pour le cas d’une exportation temporaire. Une telle interdiction affecte la valeur marchande des œuvres classées et peut justifier l’allocation de dommages et intérêts par l’État. Le 27 avril 2017, le gouvernement a légiféré par voie d’ordonnance sur les questions d’inscription et de classement au titre de monument historique. Cette ordonnance, qui entrera en vigueur en janvier 2018, a vocation à modifier les dispositions applicables pour rapprocher le régime des objets inscrits de celui des objets classés.


Laura Scurti est avocate, membre de l’Institut Art et Droit (www.artdroit.org).

Les propos publiés dans cette page n’engagent que leur auteur.

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