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L’AMI fait bonne impression

Publié le , par Valentin Grivet

Créé par l’industriel Jean-Paul Maury, l’atelier-musée de l’Imprimerie (ami) réunit machines historiques spectaculaires, documents et objets, pour une plongée instructive et interactive dans le monde de la presse et du livre.

Presse à bras de type Stanhope, utilisée par Balzac dans son imprimerie de la rue... L’AMI fait bonne impression
Presse à bras de type Stanhope, utilisée par Balzac dans son imprimerie de la rue des Marais-Saint-Germain à Paris, 1826-1828.
© AMI


Comment ont évolué les techniques d’impression au fil des siècles, des presses Stanhope au procédé offset ? Qu’est-ce que la lithographie ? Comment fabrique-t-on, concrètement, un journal ou un magazine ? Comment relie-t-on un livre ? C’est à ces questions, et à mille autres, que répond l’atelier-musée de l’Imprimerie (AMI). Inaugurée en septembre dernier à Malesherbes, petite ville du Loiret surnommée la «cité du livre» en référence aux multiples entreprises d’édition, de reliure, de fabrication de papier, d’impression et de diffusion s’y étant installées , il s’agit aujourd’hui de la plus grande institution d’Europe consacrée au sujet. À l’origine du projet, l’extraordinaire collection d’une centaine de machines réunie par Serge Pozzoli (1915-1992), passionné d’automobiles et fils d’imprimeur qui avait repris les rênes de la société fondée par son père, le Matériel moderne. Quelques années après son décès, un autre grand industriel, Jean-Paul Maury, imprimeur implanté dans la région depuis 1968, décidait avec son épouse de racheter la totalité de cet ensemble par le biais de l’association Artegraf regroupant depuis sa création en 1994 des professionnels de l’imprimerie et des arts graphiques, impliqués dans la préservation et la pérennisation de ces métiers spécialisés. «Nous ne voulions pas que ces trésors soient dispersés, ou partent à l’étranger, confie Jean-Paul Maury. Une fois la collection acquise, en 1998, il a été question d’un projet de musée municipal, qui ne s’est finalement pas fait. J’ai cinquante ans de vie professionnelle derrière moi : mon métier m’a beaucoup apporté, et je lui devais quelque chose. J’ai donc racheté l’usine Copygraph, qui était en faillite, et me suis retrouvé à “fabriquer” un musée».
 

Jean-Luc Parent (né en 1944), L’Espace des signes.
Jean-Luc Parent (né en 1944), L’Espace des signes. © AMI



Une histoire de révolutions
Le fonds Serge Pozzoli s’arrêtant aux années 1950, le premier objectif est d’enrichir la collection, par le biais de prêts, de dépôts, d’acquisitions. Puis, en 2015, le muséologue Jean-Marc Providence est sélectionné pour rédiger le projet scientifique et culturel de l’établissement, dont il prendra la direction. «C’est un musée que l’on souhaitait conçu et animé par des professionnels du métier, explique-t-il. Nous ne voulions pas d’un musée du passé. Il s’agissait de montrer, de façon vivante, tous les aspects de l’imprimerie et le vaste champ de ses applications : le traitement des textes et de l’information, le livre, la presse, la typographie, mais aussi la signalétique, les marques, les logos, en rendant hommage aux éditeurs, aux libraires, aux auteurs, aux affichistes, aux graveurs…» Installé sur le site industriel de l’ancienne usine de papier carbone Copygraph, ce musée privé, soutenu par l’État et les collectivités territoriales, abrite plus de mille pièces et documents. Outre des machines presses mécaniques à cylindre, linotypes, monotypes, Lumitype, rotatives, offset… illustrant deux siècles de presses d’imprimerie, il réunit du mobilier typographique (rangs, marbres…), des pierres lithographiques, du matériel de façonnage, de reliure (presses à percussion, massicots, cisaille…), de dorure, des trames pour la photogravure, des presses d’héliogravure, de flexographie, sérigraphie… «C’est un musée pédagogique, basé sur la connaissance et l’expérience, la transmission des savoirs et des savoir-faire, explique Jean-Marc Providence. Nous racontons des révolutions successives, celle de l’invention de l’imprimerie à l’époque de Gutenberg, au milieu du XVe siècle, puis celles du siècle des Lumières, de l’industrialisation au XIXe, du numérique.» À l’entrée, le visiteur est accueilli par une œuvre monumentale de l’artiste contemporain Jean-Luc Parent : L’Espace des signes, une mystérieuse bibliothèque blanche dont les ouvrages et les objets peuvent être touchés et manipulés. Le parcours se déploie ensuite sur une surface de 5 000 mètres carrés décloisonnée, qui privilégie une déambulation libre selon les envies, les centres d’intérêt et le degré de connaissance de chacun. «Nous sommes partis du sens. Créer un musée, c’est raconter une histoire, avec une collection, des textes, une scénographie. Et ici, plusieurs histoires s’entremêlent : industrielle, technique, sociale, politique, économique, littéraire, artistique, précise son directeur. Nous laissons au visiteur le choix de construire son propre récit, entre objets, panneaux, films et écrans tactiles interactifs.» Clair, documenté, pointu sans être ennuyeux, le propos est structuré en trois longues allées thématiques, scénographiées par Éric Verrier. La première, dédiée à l’histoire de l’imprimerie, est la plus spectaculaire, avec sa forêt de machines parfois en action dont certaines, par leur beauté et la complexité de leurs systèmes d’engrenages, apparaissent comme de véritables œuvres d’art. Chronologique, la présentation met en lumière les évolutions majeures, de la presse de lord Charles Stanhope mise au point en Angleterre en 1795 aux imprimantes numériques, en passant par les machines à cylindre contre plateau, celles à «retiration» (impression recto verso), les premières rotatives de la fin du XIXe siècle dont la presse Marinoni, présentée à l’Exposition universelle de Paris en 1889 et la presse Goss de 1908, qui sera utilisée pendant un siècle. En parallèle, le parcours ménage des alcôves, de «petits théâtres» autour d’épisodes clés de l’histoire dont les imprimeries clandestines pendant la Seconde Guerre mondiale , de techniques comme la lithographie ou la photocomposition, ou de facettes méconnues de personnages illustres. Ainsi Balzac fut-il lui-même éditeur en 1825, et c’est l’écriture qui allait lui permettre ensuite d’éponger ses dettes.
Favoriser l’interactivité
La deuxième grande section est vouée à l’édition et à la presse. Un convoyeur de livres traverse le plateau d’exposition sur toute sa longueur, en réunissant cinq cents titres, du premier Dictionnaire de César-Pierre Richelet (1680) au Da Vinci Code de Dan Brown, des catalogues de grands magasins aux manuels scolaires, des illustrés aux premières bandes dessinées, des ouvrages de poésie et de théâtre aux prix Nobel de littérature. À proximité, un «journal» mural forme un kaléidoscope de six cents unes, des plus anciens almanachs aux magazines actuels. Enfin, la partie intitulée «graphosphère» amusante mais plus anecdotique montre à quel point l’imprimerie envahit notre quotidien, par l’omniprésence d’images et de mots inscrits sur des supports aussi variés que le papier, le carton, le bois, le plastique, le verre ou le textile les vêtements en particulier. «Un supermarché est un véritable musée de l’imprimé», remarque Jean-Marc Providence. Enfin, comme son nom l’indique, l’AMI est également un atelier, et l’objectif est de favoriser la pratique et l’expérimentation. Aux côtés de professionnels, le visiteur peut donc s’initier à la fabrication d’une feuille de papier, aux techniques d’impression, à la gravure, à la marbrure, à la calligraphie, à la typographie, jusqu’au pliage et à la reliure… Et pour les écrivains en herbe, il est même possible d’imprimer sur place son propre livre de quarante à huit cents pages. Il suffit de venir avec son projet en PDF, sur une clé USB. Pour quelques euros, l’Espresso Book Machine délivrera votre futur best-seller, au nombre d’exemplaires voulu !

 

À voir
L’AMI - Atelier-Musée de l’Imprimerie, 70, avenue du Général-Patton, Malesherbes, tél. : 02 38 33 22 67
www.a-mi.fr
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