Il y a 250 ans naissait la Royal Academy of Arts. L’institution profite de cet anniversaire pour renouveler ses espaces et remettre sa collection à l’honneur.
La naissance d’une Académie des arts au Royaume-Uni a été relativement tardive, mais elle s’est accomplie en un temps record. Le 28 novembre 1768, William Chambers en a suggéré l’idée au jeune roi. George III voulut bien accorder «Son Assistance», en prenant acte de ce que «la culture des arts relevait d’une responsabilité nationale». Il s’agissait bien d’ancrer l’institution dans la reconstruction d’une nation, sortie des déchirements et libérée de la menace catholique. Chambers agissait de concert avec une poignée d’amis, dont le peintre américain Benjamin West et le sculpteur Joseph Wilton. En moins de deux semaines, ils présentèrent un mémorandum, auquel le souverain ajouta ce paraphe : «J’approuve ce plan et en demande l’exécution». Daté du 10 décembre 1768, il est resté comme l’acte fondateur de la Royal Academy of Arts (la « RA »). Les principes énoncés ont été pour l’essentiel sauvegardés. À l’évidence, le projet s’inspirait des précédents de Rome, Florence et Paris. L’Académie était formée de quarante membres à titre plein, forts d’une réputation d’excellence dans leur métier, « âgés d’au moins cinq-et-vingt ans », tout en étant dotés d’une «juste personnalité morale». Ils étaient appelés à dispenser un enseignement gratuit, un principe toujours observé aujourd’hui au profit d’une cinquantaine d’étudiants. Une clause proscrivait l’appartenance à toute autre compagnie. Le siècle avait en effet vu éclore plusieurs associations, expositions collectives et écoles privées, dont celle proposant des études sur le vif de William Hogarth. Cet esprit libre avait déjà posé certains critères repris par la Royal Academy, comme l’indépendance et la démocratie dans le fonctionnement. Ses postes sont ainsi soumis à élection et rotation, une autogestion qui produisit dès le premier jour son lot de controverses, de conflits et d’intrigues, suivis de démissions fracassantes.
Une école avant tout
Mais si le navire tint, c’est aussi parce que les protocoles, dans une démarche qui n’avait au fond rien d’improvisé, avaient été fixés dans le détail. Seuls les peintres, sculpteurs et architectes étaient admis. Dans son premier discours de président, Joshua Reynolds présenta l’Académie comme le meilleur moyen de «préserver la création des intérêts mercantiles». Le programme, conférant la place d’honneur à la peinture d’histoire, était fondé sur l’apprentissage, de préférence au maniement des grandes théories. Rapidement s’est dessinée une résistance aux interférences du palais royal. Mais la protection du souverain présentait un avantage supérieur : la mise à distance des politiques. Le collège était appelé à garantir son propre fonctionnement, grâce aux recettes de l’exposition prévue chaque été une rationalité financière impensable à Paris… À partir de 1870, cette exposition fut doublée d’une autre, l’hiver, consacrée aux maîtres anciens. Aujourd’hui encore, l’Académie ne touche aucune subvention, même si elle est logée gratuitement au palais de Burlington, où elle s’est installée un siècle après sa création, après avoir occupé notamment une aile de la National Gallery sur Trafalgar Square. Le premier décret royal comptait trente-quatre noms, dont ceux d’Angelica Kauffman et de Mary Moser, mais le XIXe siècle allait refermer cette porte au nez des femmes. Plus marquante est la présence de résidents étrangers, comme Benjamin West, Giovanni Battista Cipriani ou Francesco Zuccarelli. La liste intégrait des peintres de carrosses, des graveurs qui avaient réussi à se faufiler, des artistes méconnus et qui le sont restés. Thomas Gainsborough ne voulut pas du poste de directeur, mais l’Académie parvint à intégrer William Hunter, John Flaxman, John Soane, John Constable ou J.M.W. Turner… Le XXe siècle vit un repli fatal. Son président de l’après-guerre, Alfred Munnings, fustigeant la corruption de l’art par Cézanne, Matisse et Picasso, fut pris dans un incident ridicule, l’une de ses diatribes alors qu’il était manifestement éméché étant diffusée par la BBC : «Si vous peignez un arbre, bon sang, faites en sorte qu’il ressemble à un arbre !» Pour ne rien arranger, la fréquentation de son exposition ayant baissé de 275 000 visiteurs en moyenne au XIXe à 200 000 au siècle suivant , l’Académie eut à surmonter ses premiers déficits. Elle choisit de sacrifier des pièces de sa collection, reçues en don, et fut tentée de se séparer de son marbre de Michel-Ange. En 1962, elle voulut mettre aux enchères le carton de la sainte famille de Léonard de Vinci, mais le scandale fut tel qu’elle dut le céder à la National Gallery. «En lisant la revue de presse, écrit James Fenton dans son historique, on se rend compte à quel point ce bastion réactionnaire, qui avait ignoré Henry Moore, Barbara Hepworth, Ben Nicholson et Graham Sutherland, avait fini par susciter la détestation générale». ll fallut attendre le dernier tiers du XXe siècle pour voir le début d’une ouverture. En 2009, le Britannique Anish Kapoor, natif de Bombay, fut le premier artiste vivant à avoir droit à une exposition personnelle, occupant tout le palais. Aujourd’hui, la « RA » propose des formations payantes et ouvre une galerie dédiée à la collection permanente composée des morceaux de réception et de donations , qui compte 46 000 numéros. Elle n’a jamais prêté une attention soutenue à son propre fonds : pour comparaison, l’Académie de Paris en a légué 450 000 aux Beaux-Arts. Mais, comme nous le fait observer le conservateur de la collection, Maurice Davies, «elle s’est conçue comme une école doublée d’un centre d’expositions, et non comme un musée». «Aussi, reconnaît son directeur, Charles Saumarez Smith, le rêve de Reynolds de constituer une collection de référence ne s’est-il jamais accompli». En 1791, l’Académie a décliné l’offre de la collection de ce dernier et refusa de s’intéresser à la dispersion de celle d’Orléans. En ceci, la nouvelle architecture s’efforce d’apporter une modeste réparation aux torts du passé.