Gazette Drouot logo print

La culture laissée sans voix

Publié le , par Vincent Noce

Il y avait fatigue dans les esprits… l’on n’avait obtenu qu’une sorte de confusion dont on avait besoin de sortir… la société appelait une puissance éclairée.» Ce commentaire ne concerne pas Emmanuel Macron au lendemain de son triomphe électoral, mais le Bonaparte de retour des campagnes d’Italie. Il est de la plume de...

  La culture laissée sans voix
 

Il y avait fatigue dans les esprits… l’on n’avait obtenu qu’une sorte de confusion dont on avait besoin de sortir… la société appelait une puissance éclairée.» Ce commentaire ne concerne pas Emmanuel Macron au lendemain de son triomphe électoral, mais le Bonaparte de retour des campagnes d’Italie. Il est de la plume de Baptiste Capefigue, qui rédige en 1839 l’histoire de la consolidation du pouvoir dont s’est emparé un jeune homme de 30 ans, en bénéficiant de l’appui de la finance. Pourtant peu suspect de sympathie envers l’Empire, l’auteur ne peut dissimuler son admiration pour la «belle intelligence» que celui-ci manifeste dans la marche de ses ambitions. Illusion d’optique ? Il y a quelque peu de Napoléon dans Macron, une immense confiance en soi, une volonté de restaurer l’autorité, cette impatience de la réforme au prix de l’abaissement du parlement, ou encore un don pour réunir les contraires. Ils n’ont que faire des allégeances passées, Lebrun, Cambacérès, Talleyrand, Fouché…Madame de Staël elle-même se laisse séduire. «En neutralisant les influences, il les annulait les unes par les autres», écrit Capefigue, rappelant que «le consul avait à ménager tout à la fois la révolution dont il sortait et l’ordre public et monarchique qui faisait l’espérance de son avenir».

L’Élysée et la rue de Valois sont transformés en rayon de farces et attrapes, comme le «Pass Culture jeunes» ou l’itinérance de la Joconde.

La refonte de l’État avait été engagée par le Directoire, si bien que l’administration passa au Consulat puis à l’Empire sans césure. Dans cette entreprise, comme Macron aujourd’hui, Napoléon se montre capable de se fier à des personnalités qu’il ne connaît pas, ou peu. Il n’a pas échafaudé de «cabinet fantôme’. Mais il sait s’entourer d’hommes de qualité. «S’étant fait la part large, il devait choisir des esprits assez éclairés pour le seconder dans la marche des idées. On sauva l’idée par un admirable triage de personnes ; on faisait entrer au sénat des sommités, qui représentaient une pensée et un avancement de l’intelligence… on laissait les idéologues à l’assemblée et les hommes capables à l’administration… au Conseil d’État, on travaillerait.» Un an après l’élection présidentielle, il est difficile d’en retirer la même impression générale, et la culture apparaît comme la première sacrifiée. C’est une déception, de la part d’un homme qui a replacé les arts dans le récit présidentiel et prononcé son premier discours au Louvre. Il ne bénéficie de relais ni à l’Élysée ni rue de Valois, transformés en rayon de farces et attrapes comme le «Pass Culture jeunes» ou l’itinérance de la Joconde. Dépourvue d’orientation et de capacité opérationnelle, l’administration, vivant de sa propre survie, se retranche dans sa sclérose. Emmanuel Macron en a pris conscience ; il ne le cache plus en privé. Le départ du directeur général du Patrimoine en est un signe, mais la culture demeure une «non-entité» de son dispositif. «Napoléon n’avait aucun goût pour les hommes à idées vagues et rêveries dangereuses, les esprits bornés, faibles et décousus», relève encore Capefigue en pensant à Necker et Lafayette. Il n’a pas attendu douze mois, lui, pour obtenir la démission de l’abbé Sieyès, renvoyer Daunou à ses chères bibliothèques et même écarter le plus intelligent de ses frères. Emmanuel Macron, qui manque peut-être de la capacité à l’ingratitude qui fait les grands dirigeants, prend son mal en patience, laissant sa «marche des idées» en plan dans un domaine pourtant essentiel à sa propre parole.

Les propos publiés dans cette page n’engagent que leur auteur.

Gazette Drouot
Bienvenue, La Gazette Drouot vous offre 2 articles.
Il vous reste 1 article(s) à lire.
Je m'abonne