L’art de peser et de mesurer à Rouen

Enfant, Jérôme Dunod fut conduit plusieurs fois au musée Le Secq des Tournelles, qui accueille depuis 1921 l’exceptionnelle collection de ferronnerie rassemblée à la fin du XIXe siècle par le photographe Jean-Louis-Henri Le Secq des Tournelles et son fils. En déambulant dans cette surprenante église désacralisée où des enseignes s’accrochent aux piliers, où le chœur et la nef sont remplis de coffres en métal et de serrures dentelées, il a senti naître son goût pour les objets de curiosité, qu’il ne cessera de rassembler dès l’adolescence. Aussi, cinquante ans plus tard, a-t-il choisi de donner à ce musée atypique une partie de ses trois cents objets et documents anciens liés au poids et à la mesure, et d’y déposer certaines pièces maîtresses de sa collection. Depuis le 16 décembre, celle-ci est mise en valeur au sein de l’exposition permanente du musée, dans les nouvelles vitrines disposées dans l’ancien triforium de l’église Saint-Laurent. On pourra admirer une partie de ces instruments méconnus qui rythmaient le commerce, et dont Jérôme Dunod a suivi la piste chez les marchands de curiosités parisiens, encore nombreux il y a une quarantaine d’années, puis durant ses voyages à travers le monde. Une quête dont cet amateur ne s’est jamais lassé, et que son épouse Marie-France a soutenue. Clous de sa collection, de lourdes piles à godets en bronze de Nuremberg des XVIIe et XVIIIe siècles, ornées d’étranges figures dont l’origine demeure mystérieuse : sirène à double queue et à tête d’aigle, otarie ailée ou crocodile. Ces boîtes emplies de godets de tailles différentes empilés, aussi nommées piles de Charlemagne, étaient utilisées dans toute l’Europe par les balanciers-ajusteurs pour peser les marchandises. Les piles étaient adaptées à l’unité de mesure de chaque ville et leur masse était contrôlée régulièrement, ce qui explique les nombreuses marques de poinçons retrouvées à l’intérieur. On découvre aussi toutes sortes de balances : romaines, d’apothicaire, à tabac, à beurre, des pesons à ressort, une ravissante enseigne de balancier aixois et d’autres objets liés aux métiers de changeur et de balancier-ajusteur. Certaines boîtes monétaires en bois provenant des grands centres de fabrication – Namur, Lyon, Paris, Cologne – sont de véritables bijoux. Deux d’entre elles, qui datent de la fin du XVIIIe siècle, possèdent des couvercles décorés à la manière de Claude Lorrain et de Nicolas Lancret. À l’intérieur, se dissimule tout l’attirail indispensable au pesage : le trébuchet, la table monétaire, les godets pour la mesure en gros et de fines feuilles de cuivre ou de laiton pour la mesure en grain. « À côté de ces instruments, se réjouit Jérôme Dunod, il y avait des gens qui s’assuraient que les monnaies étaient sonnantes et trébuchantes. Le changeur les cognait sur un tronc d’arbre pour vérifier leur qualité. Ces objets mettaient les humains en relation, ils permettaient d’échanger. En les voyant, j’entends les bruits de la foire, j’imagine les conversations dans tous les différents patois. Aujourd’hui, ils ne servent plus, j’ai éprouvé le sentiment d’accueillir des objets en déshérence. » Grâce à son don, ces objets de mesure vont continuer à vivre. Certains musées ont déjà contacté l’attaché de conservation Bruno Varin, très impliqué dans l’accueil de la collection « Jérôme et Marie-France Dunod » pour solliciter des prêts.