Débutée par des objets de marine et des instruments scientifiques, la collection réunie par Henri-Claude Randier a évolué vers des pièces de curiosité, réunies par la passion de la chine, l’amour de l’art et de l’artisanat, et la recherche du savoir.
Tout ce que tu ne sais pas, tu es content de l’apprendre, et cela tous les jours», confie Henri-Claude Randier dans une phrase qui pourrait être sa devise, tant il a aimé partir en quête d’objets inconnus et insolites toute sa vie. Connaisseurs et passionnés se souviennent de lui comme d’un expert dont le nom a dernièrement été associé à la dispersion «La mesure des mondes, instruments scientifiques extraordinaires», présentée par la maison Aguttes en 2020. Le spécialiste lui confie aujourd’hui ses propres pièces, un florilège de raretés réunies dans sa maison de la rue Oudinot, dans le 7e arrondissement de Paris, transformée en un véritable cabinet de curiosités constamment enrichi pendant près de cinquante ans. Trois jours seront nécessaires pour disperser plus de 860 pièces, qu’il avait savamment mises en scène à chaque étage. Chacune avait trouvé sa juste place. Ici, des accumulations d’objets appartenant à la même famille créaient des ensembles harmonieux : alignement d’une vingtaine de pots à tabac sur une étagère (de 100 à 1 500 €), assemblée d’un petit peuple de mendiants de bois et d’ivoire sculptés au XVIIIe siècle par des suiveurs de Simon Troger (entre 1 000 et 1 500 €), accrochage d’une quinzaine de miroirs sorcière démultipliant le décor de leur pièce grâce aux reflets de leurs verres convexes (entre 100 et 1 000 €). Là, des réunions beaucoup plus hétéroclites composaient un décor merveilleux évoquant les natures mortes en trompe l’œil du XVIIe siècle. Le plafond lui-même participait au spectacle, avec des curiosités suspendues selon le modèle des musées d’histoire naturelle, de la corne de licorne à l’étonnant modèle de lustre dit «Lüsterweibchen», façonné en Allemagne du Sud au XVIIe siècle. Un bois de cerf joue le rôle de support pour sa sirène en bois sculpté polychrome, portant sur son dos un enfant serrant une pomme, et tenant un second bambin dans ses bras (37 x 50 cm, 4 000/6 000 €).
L’art de la chine
Rares, insolites, artistiquement ou techniquement intéressantes, ces œuvres apparemment disparates ont en commun de raconter mille et une histoires à qui veut bien se donner la peine de les retracer. La sensibilité d’Henri-Claude Randier pour la chine s’est développée dès son enfance parisienne, alors qu’il accompagnait sa mère au marché aux Puces de Clignancourt, son œil artistique se formant quant à lui à l’École des beaux-arts, à l’époque où il souhaitait devenir peintre. Il s’engage cependant dans une autre voie au milieu des années 1960, lorsque son frère Jean – capitaine de marine marchande, devenu expert en antiquités de marine et historien – lui propose de partir en Écosse pour y chiner des souvenirs maritimes. À son retour à Paris, sa belle moisson d’objets est vendue par Guy Loudmer. Le succès étant au rendez-vous, il repart sur les routes au volant de sa 2CV fourgonnette, s’arrêtant de port en port pour faire l’acquisition de pépites délaissées à sauver de l’oubli. Il ne s’est plus jamais arrêté de chiner. Il a d’abord continué à se concentrer sur le thème de la marine, comme en témoigne par exemple un rare octant en ébène et laiton du XVIIIe siècle, au limbe gradué de 0 à 90, signé «Joseph Roux à Marseille» entre deux fleurs de lys. Tenant une boutique héritée de son père sur le Vieux-Port, cet hydrographe du Roi fut aussi peintre de la Marine, initiateur probable du genre des portraits de bateaux et premier d’une célèbre dynastie (700/900 €). La prédilection de notre spécialiste pour les objets scientifiques, qui représentent près de 180 numéros de cette dispersion, se manifeste notamment à travers un bel ensemble de cadrans solaires, à l’image d’un compendium allemand en argent et laiton doré fabriqué par Wolfgang Hager à Wolffenbüttel en 1690, garni d’un cadran solaire à gnomon rétractable, d’une boussole à quatre directions, et d’une girouette des vents au cheval élancé (4,5 x 4,5 cm, poids brut 87,1 g, 7 000/10 000 €).
Au-delà des sciences
Pour cet homme qui regardait les objets à la loupe, la rareté de l’habillage de marqueterie de paille géométrique, sur âme en carton, d’un microscope composé de type Culpeper en bois tourné, fabriqué en France au XVIIIe siècle, ne pouvait passer inaperçue. Claude Aguttes affirme qu’il n’a jamais rencontré de modèle similaire (h. 49 cm, 8 000/12 000 €). Autre objet de collectionneur s’il en est, un globe terrestre de poche en carton bouilli, fabriqué en Angleterre dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, retracera le voyage de James Cook, marqué en rouge (diam. globe : 7 cm, 2 000/3 000 €). S’il n’a pas conservé le plus gros coup de cœur de sa carrière, un anneau astronomique français du XVIIIe, vendu avec un pincement au cœur dans l’exercice de sa profession l’année de ses 40 ans, chacun des objets qu’il a conservés est néanmoins de ceux qu’il a préférés, parmi des milliers passés entre ses mains. Son favori est un lutrin sculpté en Normandie en 1786 par un certain Perret. Il se distingue non sans humour par ses deux pupitres, l’un peint en rouge et sculpté de volutes, l’autre orné d’un aigle aux ailes déployées et maintenant un coq dans ses serres, portés à bout de bras par un personnage fumant la pipe et arborant une rose à la boutonnière (h. 160 cm, 10 000/15 000 €). Le deuxième objet d'élection de notre homme montre une autre effigie haute en couleur, celle d’un Turc, également en bois polychrome, coiffé d’un chignon et doté d’impressionnantes moustaches, fièrement appuyé sur sa hotte retournée déversant ses cigares et ses paquets de tabac telle une corne d’abondance, destiné à servir d’enseigne à un bureau de tabac du XIXe siècle (h. 71 cm, 1 000/1 200 €).
L’attrait de l’atypique
Si ces deux œuvres ont une fonction aisément identifiable, d’autres ne se laissent pas facilement décrypter. Un défi que les collectionneurs chevronnés comme Henri-Claude Randier ont à cœur de relever. Sa curiosité le poussant à s’intéresser à tout ce qui échappait à son savoir, attiré par les énigmes autant que par la beauté d’une pièce, il a approfondi sa connaissance des objets en cherchant des rapprochements dans les livres et en échangeant avec d’autres passionnés, aussi bien qu’avec les artisans conservant la mémoire de techniques ancestrales maîtrisées sur le bout des doigts. Avec les symboles ésotériques de son cuilleron gradué en alliage cuivreux, orné d’une scène de sabbat au revers et prolongé par un manche sculpté en forme de chien en laisse, se tenant sur un médaillon figurant un couple cagoulé, une cuillère de sorcière en partie du XVIIe siècle réjouira ainsi les amateurs de secrets bien gardés (h. 13,5 cm, 800/1 000 €). Pour revenir en odeur de sainteté, rien de tel qu’un médaillon de dévotion français du XVIIIe siècle, multipliant à l’envi les références au Christ et à la Passion, aux saints, aux allégories de la charité et du phénix, accompagnées de phrases dévotes, figurées à la gouache sur vélin et gravées sur le cuivre doré de son boîtier. Ouvrant à quatre pans, il dévoile son trésor témoignant d’un art monastique minutieux, les paperolles. Ce décor de minuscules bandelettes de papier enroulées sur elles-mêmes s’est développé avec le réveil de la foi après la Révolution, alors que bien des reliques avaient été détruites et leurs plus beaux reliquaires placés dans des musées (9,5 x 6,5 cm, 2 000/3 000 €). La présence de ces deux dernières œuvres dans la collection Randier témoigne une fois de plus de sa diversité, portée par un amour de l’objet pour l’objet.