Parmi les designers nordiques, aujourd’hui si cotés, ceux de l’école finlandaise font entendre leur musique particulière. Il faut dire qu’à Helsinki, le design est partout. Une balade à la découverte de ses lieux clés s’impose, au moment où la Finlande fête ses 100 ans.
Bienvenue dans le «Design District», en plein centre historique de la capitale finlandaise… Sous ce label assez large, se sont fédérés pas moins de deux cents boutiques de décoration et de mode, galeries, ateliers ou encore cafés, tous dévolus à l’art de vivre au quotidien, et identifiables grâce au fameux autocollant noir apposé sur leur vitrine. C’est un peu comme si, de manière symbolique, cette philosophie du bien-être constituait le cœur battant d’Helsinki, une particularité qui lui a d’ailleurs valu en 2012 le titre de «Capitale mondiale du design». Un événement majeur n’est pas non plus étranger à la prestigieuse nomination : chaque année depuis 2005 se tient ici, mi-septembre, la «Design Week», le festival le plus important des pays nordiques en la matière.
La folle semaine d’Helsinki
La ville tout entière se met alors à vibrer au rythme des expositions, conférences et remises de prix aux jeunes talents, attirant plus de 150 000 visiteurs et professionnels. À l’occasion, six installations importantes, conçues par des designers, ont investi les rues, rayonnant depuis Kolmen Sepän Aukio, la place ornée de la célèbre sculpture aux forgerons de bronze. Pour l’édition 2017, la thématique choisie aborde les réponses, forcément écologiques, que l’on peut apporter au développement urbain. En témoigne ainsi la Growroom, installée sur l’artère commerçante de Keskuskatu : les Danois de Studio Space10, associés aux architectes Husum et Lindholm, ont conçu une serre en kit, démontrant les possibilités futures d’une agriculture citadine et autosuffisante. Quant aux galeries, elles en ont profité pour mettre en scène des pièces rares, comme chez Juhani Lemmetti, avec les prototypes d’un des designers finlandais historiques, Yrjö Kukkapuro, l’auteur du fauteuil Carrousel de 1964. D’autres ont proposé les réalisations de nouveaux créateurs, comme cette série de miroirs intitulée 124° du Norvégien Daniel Rybakken, et présentée dans son showroom principal par la grande marque Artek ; tandis que les concept-stores comme «Tre» ou «Lokal» ont mis en avant leurs sélections pointues d’objets, made in Finland bien entendu. On en retrouve beaucoup sur les stands du salon Habitare, se déroulant aussi pendant la fiévreuse semaine d’Helsinki ; la manifestation est devenue en quelques années le rendez-vous à ne pas manquer pour tout ce qui touche au design et à la décoration intérieure en Scandinavie. Résultat d’un tel leadership : la Finlande a été élue pour être la première à présider le très récent réseau des Semaines du design dans le monde, avant Tokyo ou San Francisco.
La maison d’Alvar Aalto et l’esprit de nature
Mais d’où vient cet engouement comme gravé dans l’ADN du pays, et partagé au quotidien, semble-t-il, par la majeure partie de sa population ? D’une absolue nécessité : «En Finlande, le design n’a jamais été un domaine réservé à quelques happy few, explique Suvi Saloniemi, conservateur en chef du Design Museum, il a été conçu pour tous, avec pour critères de base fonctionnalité et production à grande échelle, en particulier après les destructions de la dernière guerre mondiale.» Dès les années 1920, un homme a incarné cet idéal moderne : Alvar Aalto, le père fondateur du design finlandais. Né en 1898 à Kuortane, il va traduire de manière inédite les aspirations au mieux-vivre du jeune pays, indépendant depuis 1917, après avoir été un grand-duché de l’Empire russe pendant cent huit ans. Si les recherches de l’architecte s’inscrivent dans le mouvement fonctionnaliste international, dicté par les préceptes très géométriques du Bauhaus, il saura s’en écarter pour imaginer un style résolument organique. Aalto impose alors une ligne courbe caractéristique, affirmée par son fauteuil 41 Paimio de 1931-1932, dessiné pour un sanatorium, comme par le simplissime tabouret empilable 60 en bouleau local, vendu à des millions d’exemplaires depuis sa création en 1933. Car l’un de ses concepts incontournables est de privilégier, à la place du verre et de l’acier, matériaux froids, le bois offert en abondance par un vaste territoire couvert de forêts. Une inspiration écologique avant l’heure, qui donnera naissance en 1936 à l’iconique vase Savoy : ses douces ondulations semblent empruntées à une vague, ou encore aux contours d’un lac. Cet esprit de nature, on le retrouve dans la maison-atelier du grand architecte, située à Riihitie, aujourd’hui un quartier résidentiel d’Helsinki. Construite en 1936, elle s’affirme en avance de plusieurs décennies, car parfaitement intégrée à son environnement ; réglée sur la course du soleil, la demeure s’ouvre par de larges baies sur le jardin situé au sud, alors que la façade de l’entrée, donnant sur le nord et la rue, ne comporte que très peu d’ouvertures, selon un schéma récurrent chez Aalto. Le maître, qui a habité ici avec son épouse Aino, puis avec Elissa, sa seconde compagne, a organisé sa vie privée autour d’un salon et d’une salle à manger, nettement séparés de la partie bureaux par des cloisons coulissantes. Un univers à l’intimité chaleureuse auquel le mobilier en bois aux teintes claires n’est pas étranger, tout comme les luminaires, placés assez bas pour ne surtout pas concurrencer la lumière extérieure.
Du musée du Design à l’EMMA d’Espoo
Retour au centre d’Helsinki pour découvrir le nouvel accrochage du Design Museum, entièrement repensé à l’occasion du Centenaire. Sous un titre ambitieux, «Utopia now», se cache l’inventaire impressionnant des objets qui depuis cent ans ont joué un premier rôle dans la transformation de la société finlandaise. Au départ, le pari n’était pas gagné ; mais «l’utopie d’un design démocratique pour une vie meilleure et accessible à chacun, est devenue réalité», constate encore Suvi Saloniemi. Ce principe égalitaire a inspiré une scénographie mobile, qui aligne sur des rayons, à la façon d’un entrepôt, des dizaines d’artefacts de toutes dimensions et de différentes valeurs. Au fil des salles, on révise aussi ses grands classiques : ceux mythiques de la culture pop, comme la chaise Tulip d’Eero Saarinen de 1956 et la Ball Chair d’Eero Aarnio conçue en 1963, ou plus récents, à l’image de la Block Lamp dessinée en 1996 par Harri Koskinen, vedette du design d’aujourd’hui. C’est encore l’occasion de revoir les productions des nombreuses marques qui ont fait la renommée internationale de la Finlande, aussi célèbres qu’Artek fondée, entre autres, par Aalto en 1935 pour le mobilier, Arabia pour la céramique, Marimekko pour les textiles de mode et d’ameublement, Fiskars pour l’outillage, Nokia pour la téléphonie, et bien sûr Iittala pour la verrerie. Dans ce dernier domaine, marqué par une véritable poétique des formes et des couleurs, brillent particulièrement les créations de Kaj Frank. Ou encore celles de Tapio Wirkkala qui, en pionnier, décrocha plusieurs prix à la Triennale de Milan de 1951 ; pour en savoir plus sur lui, il suffira bientôt de se rendre à l’EMMA : situé dans la ville voisine d’Espoo, le musée d’Art moderne inaugure le 17 novembre l’extension prévue pour les trois mille objets déposés par la fondation Tapio Wirkkala - Rut Bryk. Et le futur alors ? Au Design Museum encore, l’exposition «Enter and Encounter» présente les axes de la création contemporaine depuis 2012. S’y affichent les réalisations décomplexées de la toute dernière génération de créateurs qui, de Ragamuf à Noona Healthcare, s’interrogent sur les applications globales du design, de l’urbanisme à la santé en passant par l’alimentation. En Finlande, la relève est assurée !