Gino Severini, un peintre Italien dans le Poitou

Visage pensif appuyé sur une main, veston et cravate, sans oublier une coiffure très étudiée : le modèle de ce pastel sur carton, jeune bourgeois de l’époque 1900, s’appelle Pierre Declide. Né à Civray, dans la Vienne, il termine ses études d’odontologie à l’École dentaire de Paris, lorsqu’il rencontre Gino Severini en 1908, chez un ami commun. L’artiste débutant est arrivé deux ans auparavant dans la capitale française, après avoir suivi les cours du peintre Giacomo Balla, dans l’atelier de ce dernier à l’Académie des beaux-arts de Rome. À Paris, Severini va pouvoir étudier le travail de Georges Seurat, et côtoyer Raoul Dufy, Georges Braque ou Pablo Picasso, sans oublier Guillaume Apollinaire… Si tout semble séparer Pierre Declide, fils de famille destiné à une carrière toute tracée, du jeune peintre en quête de nouvelles formes plastiques, leur amitié devient pourtant profonde. Le jeune diplômé invite même l’artiste italien à passer l’été à Civray chez ses parents, qui lui font un très bon accueil. À tel point qu’il y reviendra en 1909, 1910 et, semble-t-il, encore l’année suivante. Ce portrait, probablement exécuté lors du retour de Severini à Paris à l’automne 1909, témoigne de leur relation sincère, qu’explicite sa belle dédicace : «Sebbene lontano ricordati, o pigro amico, del tuo fratello, d’adozione» («Bien que tu sois loin, souviens-toi, ô paresseux ami, de ton frère d’adoption»), et la date «MCMIX».

Peu de temps avant le tournant du futurisme
Lors des séjours poitevins de Gino Severini, les parents de Pierre lui présentent toutes les notabilités locales, qui vont se transformer en autant de clients potentiels. Ainsi, au cours des étés 1908, 1909 et 1910, le peintre réalise de nombreux portraits des familles Meron, Périvier, Pierron et Giraud, notamment. En témoigne le Portrait de monsieur Eugène Meron (maire de la commune de Limalonges de 1892 à 1896), un pastel vendu 38 080 € le 25 janvier 2020 par Côte Enchères Atlantique OVV à La Roche-sur-Yon. Ses modèles, Severini les fixera sur la toile ou le papier dans ce style encore divisionniste qui structure avec force notre portrait. Pourtant, en 1910, l’Italien s’oriente vers une autre voie et signe le Manifeste du futurisme avec Marinetti, Balla, Boccioni, Russolo et Carrà, texte fondateur célébrant les valeurs du monde moderne, les machines et la vitesse. Privilégiant désormais une construction éclatée et simultanée, inspirée par la technique du collage, Severini participe aux nombreuses expositions du mouvement à travers le monde, tel l’accrochage de la galerie Bernheim-Jeune, à Paris, en février 1912. Antérieur à cette révolution plastique, le portrait de Pierre Declide, issu d’une collection particulière du Poitou, est bien connu des spécialistes ; il apparaît ainsi dans l’article de Piero Pacini, «Percorso prefuturista di Gino Severini», dans la revue Critica d’arte (janvier-juillet 1978). L’œuvre est également répertoriée et reproduite dans le catalogue raisonné de l’artiste par Daniela Fonti (Mondadori, Milan, 1988), sous le n° 83.