La sixième édition du salon genevois des pierres précieuses qui s’ouvrira le 11 mai prochain sera celle de moment de vérité, sur le marché et son avenir. Éclairage.
De quoi dépend, vraiment, le dynamisme des acheteurs ? D’envie de liberté, probablement aussi aiguillonnée par la crainte de se laisser berner. Ce 6e rendez-vous du petit salon genevois est l’occasion de revenir sur les raisons qui l’ont rendu incontournable, en finalement peu de temps. Tout commence au début des années 2010. L’arrivée massive sur le marché des diamants synthétiques affole celui-ci. Et pour cause, ces joyaux, créés en quelques heures dans des laboratoires, sont quasi identiques aux gemmes naturelles, formées durant des millénaires dans les entrailles de la Terre. Comme pour toute innovation disruptive, la réglementation législative du commerce des minéraux artificiels est à la traîne : un vide juridique qui profite aux vendeurs peu scrupuleux qui, en toute légalité, peuvent présenter des pierres synthétiques comme étant naturelles. Très inquiets, les professionnels cherchent alors des garanties d’authenticité, et c’est avant tout la réputation des marchands qui peut les leur offrir. En effet, le milieu étant petit, tout le monde se connaît. Installés en Suisse, Thomas Faerber et Ronny Totah font partie de ces références. En véritables hommes d’affaires, le duo décide alors d’inaugurer un cocon d'authenticité sous forme d’un salon : GemGenève. Sa première édition, en 2018, est un franc succès. Avec une sélection exigeante de deux cents exposants, la foire gagne la confiance du milieu, d’autant que sa taille permet une certaine intimité lors des échanges, fortement souhaitée par les professionnels.
La pandémie n’explique pas tout
La vitesse de croisière de cette manifestation aurait-elle été meilleure si le « corona-cauchemar » ne s’était pas invité dans nos vies ? À en croire la demande du marché pour les pierres précieuses, très probablement. Comme beaucoup, GemGenève fut contraint à une pause de dix-huit mois, un repli qui ne l'a pas empêché de repartir de plus belle en novembre 2021. Cette réouverture post-confinement demeure un moment mémorable pour Ronny Totah : « Sur les cinq éditions du salon, celle-ci reste, pour le moment, la plus éclatante au niveau des affaires ». Pourtant, après son retour de la foire de Hong Kong, qui a également rassemblé toute la profession en mars dernier, le négociant note que « les résultats ne semblent pas être à la hauteur de l’ébullition émotionnelle et sensorielle qui régnait sur place ». Si en Europe, le confinement appartenait déjà au passé, en Chine, une énième vague venait seulement de refluer. On peut donc en conclure que le simple fait de retrouver sa liberté de mouvement n’est pas suffisant pour huiler la valse des transactions commerciales. Toutefois, cette retenue dans l’acte d’achat ne concerne nullement les joyaux d’exception, quel que soit le moment de leur mise en vente. Il suffit de se rappeler l’enchère du diamant de 102 ct cédé en ligne, en plein confinement en octobre 2020, pour la bagatelle de 15,7 M$ chez Sotheby’s en Asie. Une acquisition qui s’inscrit sans doute dans une stratégie d’investissement.
Afficher la couleur
Si le prix des diamants a augmenté durant cette dernière décennie, celui des pierres brutes a connu une progression encore plus nette. L’explication de ce phénomène s’explique par l’intérêt grandissant des nouveaux investisseurs pour cette matière première destinée à rester au coffre-fort. De même, les professionnels continuer à se ruer davantage sur des diamants de couleur, mais également sur les trois autres pierres précieuses – rubis, saphir, émeraude – plutôt que sur les diamants incolores. La raison en est la marge lors de la revente, moins importante pour ces derniers, car leurs critères d’évaluation, clairement fixés, et les prix enregistrés par le Rapaport Diamond Report Òlimitent la liberté des marchands lors des négociations. C’est pourquoi les professionnels les plus avisés préfèrent souvent acheter aux enchères des bijoux anciens sertis de ces pierres de couleur, afin de les récupérer puis éventuellement les retailler en vue de leur revente. L’un des avantages de cette stratégie est l’authenticité quasi garantie des joyaux, dont l’ancienneté exclut une origine synthétique. Il est donc incontestable que les minéraux de couleur ont le vent en poupe. Quant à leur monture, si elle est toujours appréciée en or ou en platine, elle peut désormais se décliner en acier ou même en titane. Mais sous certaines conditions.
Automates et avenir
Dans le riche programme du salon, les visiteurs pourront également admirer les vingt-cinq automates d’exception que le Musée d’art et d’histoire de Genève (MAH) exposera. Fabriqués au tournant du XIXe siècle, ils proviennent des collections du Musée international d’horlogerie de La Chaux-de-Fonds. D’autres moments forts seront à vivre en compagnie d’un couple de tailleurs de pierre, Justin K Prim et Victoria Raynaud. Ensemble, les époux lèveront un coin de voile sur un métier qui tend à disparaître sous nos latitudes. Pour ce qui est de la prochaine édition de GemGenève, que les organisateurs prévoient pour l’automne 2023, sa tenue sera confirmée lors du bilan de la présente. À la question de savoir comment il voit l’avenir de sa manifestation, le cofondateur Thomas Faerber sourit : « Vous savez, j’ai ouvert mon entreprise en 1968. À l’époque, un dollar coûtait 4 francs suisses. Aujourd’hui, leur valeur est de 1:1. Le monde change et il faut s’adapter sans cesse. C’est ce que GemGenève fera, tout en restant fidèle à sa stratégie initiale : demeurer petit, exclusif et de qualité. »