Le 42e Festival du cirque de demain, applaudi par plus de 25 000 spectateurs et retransmis par Arte, a été un pur moment de libération. Tenue depuis 1977 à bout de bras par une association de bénévoles (elle ne compte qu’un seul salarié), cette manifestation est devenue une référence dans le monde, rivalisant avec le Festival de Monte-Carlo. Elle s’en distingue par son refus des dressages d’animaux et l’accent porté aux jeunes générations d’artistes (la limite d’âge est de 25 ans). Exultant de ce retour après trois années d’absence, le public a fait une ovation debout à une troupe venue d’un quartier d’Addis-Abeba, médaille d’or de la compétition, dont le dynamisme, la joie et la technique présentaient une tout autre image de l’Afrique que celle à laquelle nous sommes habitués. La politique n’est jamais très loin. Ont été primées des artistes vivant en exil, ayant dû quitter l’Ukraine, la Russie ou l’Iran. La finale s’est ouverte sur la danse d’un étonnant manipulateur de sabres de Taïwan. Le grand prix est revenu à un numéro de voltige en l’honneur de la Résistance française « et de toutes les résistances », monté par deux compagnies du Gard réunies sous le nom de La Tangente du bras tendu. Certaines troupes sont multinationales. Ici, il est question de confrontation des cultures, de jubilation des retrouvailles avec le public, d’émerveillement en un temps suspendu dans les difficultés de l’époque. Dans leurs échanges, les professionnels venus du monde entier ont évoqué les obstacles auxquels ils sont confrontés, à commencer par les difficultés des voyages et la hausse des coûts de logistique. Il ne faisait pas chaud sous la grande tente du cirque Phénix, sur la pelouse de Reuilly, mais augmenter la température ne fût-ce que d’un degré aurait coûté 25 000 € pour les quatre représentations. Les frais en matériel et déplacements ont explosé. Les spectacles qui requièrent une lourde installation, comme les trapèzes, sont plus clairsemés. Même le tout-puissant Cirque du Soleil a dû réduire la voilure. Il est bien loin le temps du Barnum Circus sillonnant l’Amérique en convoi d’une soixantaine de wagons, faisant sauter les lions au milieu d’une gerbe de feu sous d’immenses chapiteaux. En Europe de l’Est, les spectacles pachydermiques ont disparu avec l’Union soviétique.
Le « nouveau cirque » joue son renouvellement. Si la prouesse technique demeure époustouflante, les artistes insistent sur l’esthétique, convoquant la musique, la lumière et la poésie pour délivrer un récit avec la grâce de l’éphémère. Dédié cette année au metteur en scène disparu Franco Dragone, le festival se veut aussi un support de transmission, mettant en valeur de jeunes talents non encore connus, qui emportent souvent des contrats en sortant de la compétition. Le danseur aux sabres taïwanais a été formé par un artiste qui avait reçu il y a plusieurs années la médaille d’or. Les organisateurs ont retenu vingt-quatre numéros, après avoir examiné trois cent vingt candidatures. La démonstration se clôt par la distribution de moult récompenses pour encourager les participants, jusqu’à un prix du président de la République. Un événement mondial ancré à Paris, au croisement des arts et du divertissement populaire, un rassemblement des cultures et des nationalités, une troupe française rendant hommage à la Résistance couronnée du grand prix, un prix accordé par l'Élysée… mais on avait beau chercher, où était donc la ministre de la Culture ? Son absence peut sembler d’autant plus étonnante qu’un domaine comme la bande dessinée a obtenu une reconnaissance méritée et que, dans une longue interview au Monde, dans laquelle Rima Abdul Malak déploie des efforts admirables pour n’absolument rien dire, sa seule annonce consistait en un soutien accordé par le ministère… aux fanfares.
Les propos publiés dans cette page n’engagent que leur auteur.