NFT et Crypto-art ; impact environnemental du marché de l’art. Ces deux grandes tendances étaient au cœur des débats de la troisième édition de The Art Market Day, le 16 novembre dernier au Centre Pompidou. Revue de détail.
Après une année blanche en 2020, durant laquelle se multipliaient les Online Viewing Rooms (OVR) et ventes aux enchères à huis clos retransmises sur le Web, la troisième édition de The Art Market Day se focalisait sur le sujet du moment : les NFT, crypto-art et autre métavers, ce futur espace sur Internet dans lequel on pourra vivre des expériences immersives sous forme d’avatar, et accessoirement acheter et exposer des NFT… Rappelons que le Non Fungible Token (NFT) ou «Jeton non fongible» (ou non interchangeable) est un identifiant numérique unique et non modifiable, lié à n’importe quel fichier numérique (une image, un son, une vidéo, etc.) enregistré sur une blockchain, sorte de grande base de données permettant de conserver et de transmettre des informations de manière sécurisée grâce à des procédés cryptographiques (voir l'article NFT : risque ou opportunité ? de la Gazette n° 39, page 178). « Le NFT peut être aussi bien un simple certificat d’authenticité de l’œuvre que l’œuvre d’art elle-même, stockée de manière numérique sur une blockchain », déclare Gauthier Zuppinger, cofondateur de la plateforme d’analyse de marché NonFungible.com, avant de définir ce qu’est un crypto-art, ou œuvre d’art cryptographique : « Toute création à vocation artistique dont au moins une partie de l’œuvre existe de manière numérique sur une blockchain. » L’orateur poursuit avec des exemples : le collage numérique Everydays : The First 5 000 Days de Beeple, vendu 69,3 M$ chez Christie’s en mars dernier, est « l’œuvre d’art cryptographique la plus chère jamais achetée, 100 % numérique ». En revanche, The Currency de Damien Hirst est à la fois numérique et physique : elle réunit une collection de 10 000 NFT sur la plateforme Palm associée à 10 000 Spot Paintings sur papier. Ajoutons un troisième exemple, celui du jumeau numérique d’une œuvre de musée, comme c’est le cas avec les NFT en série limitée d’œuvres d’Hokusai, certifiés par le British Museum et vendus sur la plateforme LaCollection.io.
Crash ou gel du marché ?
Selon le spécialiste de NonFungible.com, le marché du crypto-art représente en 2021 (en date du 3 novembre) plus d’un milliard de dollars pour plus de trois cent cinquante mille ventes émanant de quelques soixante-cinq mille propriétaires. « Le crypto-art est revendu en moyenne au bout de soixante-trois jours (le plus souvent en crypto-monnaie ethereum ou ether, ndlr) sur des plateformes spécialisées telles que KnowOrigin, SuperRare ou Opensea. À ce jour, il y a plus d’acheteurs que de vendeurs pour ce type d’œuvres d’art », résume Gauthier Zuppinger, même si le profit à la revente était de 180 M$ par semaine en août dernier, contre 10 M$ au 3 novembre. « Est-ce un crash ou un gel du marché ? » se demande-t-il. Cela n’a pas empêché Artprice d’annoncer le lancement de sa place de marché de NFT Artprice-nft.com – « une destination immersive pour les collectionneurs et les amateurs d’art numérique, basée sur une sélection rigoureuse de NFT ». Invité à la table ronde consacrée à « La multiplication des canaux de vente, du lieu physique au métavers », le président de Christie’s EMEA, Dirk Boll, confirmait l’engouement de la maison de ventes pour les NFT artistiques : « Les dernières minutes de la vente en ligne de l’œuvre de Beeple ont été vues par vingt-deux millions de personnes. La communauté est énorme. » Dans une autre table ronde, « NFT : comment entrer sur ce nouveau marché ? Bonne pratiques et pièges à éviter », la responsable du service Droit de suite et Marché de l’art de l’Adagp (Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques) Élodie Berthier soulignait que « contractuellement, on peut appliquer aux reventes successives du NFT le droit de suite en France ». En effet, au NFT est associé un smart contract (un « contrat intelligent ») en théorie infalsifiable – sous forme de code informatique s’exécutant automatiquement et sans tiers de confiance –, dans lequel peut être inscrit le montant du droit de suite, étendu à la vente en ligne depuis 2007. « La transaction est automatiquement inscrite dans la blockchain, ainsi l’argent est instantanément versé au vendeur et à l’artiste sans intermédiaire », s’enflamme l’artiste et curateur Kenny Schachter avant d’ajouter d’une voix de stentor : « La pratique des galeries d’art, qui décident qui doit être dedans, qui doit être dehors, est dépassée. Les NFT ont provoqué un tsunami. Pour la première fois le pouvoir est passé du côté des artistes. » C’est en partie vrai, tempère la conseillère en crypto-art Fanny Lakoubay : « Pour la première fois, les artistes peuvent donner de la rareté à leur œuvre et la monétiser. Mais ce n’est pas pour tout le monde, il y a beaucoup de choses à faire avant d’entrer sur ce marché », plutôt réservé aux artistes numériques. Une pondération partagée par Élodie Berthier, qui rappelle qu’« artistes et collectionneurs doivent s’assurer des droits dont ils pourront jouir après la vente du NFT, les contrats étant différents selon les plateformes ».
Empreinte environnementale
À une question de l’auditoire évoquant la lourde empreinte environnementale des NFT (reposant sur la blockchain qui nécessite de faire tourner en continu de nombreux ordinateurs très puissants, donc particulièrement énergivores), Kenny Schachter répliquait que l’empreinte écologique d’une foire comme Art Basel est bien plus importante. La table ronde « Comment réduire l’impact écologique du marché de l’art ? » traitait justement de cet aspect. La modératrice Éléonore Théry rappelait qu’un tract du collectif Le Bruit qui court, distribué lors de la dernière FIAC, assimilait ladite foire à une FIOC (Foire inaccessible, onéreuse et carbonnée) avec les allers-retours en avion des collectionneurs, le convoyage des œuvres d’art, les emballages, le volet numérique énergivore, etc. Alice Audouin, présidente de l’association Art of change et consultante en développement durable, insistait sur la nécessité pour le monde de l’art d’opérer sa mue écologique en mesurant son impact à l’aide d’un outil « d’analyse du cycle de vie » prenant non seulement en compte le bilan carbone (les émissions de gaz à effet de serre), mais aussi d’autres facteurs, tels que la santé humaine. Celui-ci en cours d’expérimentation sera appliqué lors de la prochaine édition d’Art Paris, en avril 2022, foire écoconçue assortie d’une thématique « Art et environnement ». Du côté du Comité professionnel des galeries d’art (CPGA), sa directrice Marion Papillon rappelait la sensibilisation des adhérents aux bonnes pratiques, en collaboration avec l’agence Sustainable Art Market, et la mobilisation autour de Plinth, une plateforme de réemploi et de mutualisation d’objets scénographiques. Le public apprenait avec Tom Woolston, directeur des opérations chez Christie’s, que la maison de ventes s’engage à atteindre la neutralité carbone d’ici 2030, notamment en « détournant 90 % de ses déchets des décharges et en s’engageant à fournir à tous ses clients des emballages et du matériel imprimé 100 % recyclables », expliquait-il. Christie’s est membre de la Gallery Climate Coalition (GCC), dont l’objectif est de faciliter la décarbonation du secteur des arts visuels et de promouvoir les pratiques zéro déchet. Une application sur leur site web permet à tous les acteurs du marché de l’art de calculer leur bilan carbone en fonction des vols, des expéditions, de l’énergie, de l’emballage, de l’impression, etc. « Cette dynamique va s’élargir avec Ruinart, mécène d’artistes engagés sur des thématiques environnementales, qui va financer un outil mis à la disposition des foires pour mesurer leur empreinte carbone », annonce Alice Audouin.