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Acteurs du marché de l’art asiatique en France : le répertoire de l'INHA

Publié le , par Christophe Provot
Cet article vous est offert par la rédaction de la Gazette

Depuis 2018, l'INHA s’est donné pour mission d’explorer les collections asiatiques en France sous l’angle bibliographique. Une tâche titanesque lorsqu’on songe à la longue histoire qui unit le pays à l’Extrême-Orient.

Dessin d'un vase de Chine de l'époque Qianlong, vers 1770-1780, encre et couleurs... Acteurs du marché de l’art asiatique en France : le répertoire de l'INHA
Dessin d'un vase de Chine de l'époque Qianlong, vers 1770-1780, encre et couleurs sur papier, in Vingt-quatre vases chinois envoyés par les missionnaires à M. Bertin (1720-1792), vers 1820, reliure par François-Louis Serre, Paris, bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art, fonds Jacques Doucet.
© Institut national d’histoire de l’art

Cinq ans. C’est le temps qu’il aura fallu à l’Institut national d’histoire de l’art pour mener à bien ce programme de recherche : repérer et documenter, à travers l’histoire des collections, les œuvres asiatiques présentes ou rassemblées sur le territoire français, et mettre au point un répertoire des personnalités ayant joué un rôle dans l’histoire des collections d’art d’Asie en France. C’est à Pauline Guyot, associée à Pauline d'Abrigeon – jusqu'au départ de celle-ci en 2020 –, que ce projet alors balbutiant a été confié lors de son arrivée, en 2018. « Ce projet est par essence un travail collaboratif, porté par une équipe de chercheurs. Rattaché au domaine “Histoire des collections, histoire des institutions artistiques et culturelles, économie de l’art” de l’INHA, il a été initié par Ariane James-Sarazin et porté par Pauline d’Abrigeon et moi-même, avec Antoine Chatelain et Yongsong Zheng, chargés d’études et de recherche. Il a aussi bénéficié de l’aide de plusieurs stagiaires », souligne-t-elle. L'entreprise, d’envergure internationale, aura permis de regrouper près de 260 notices bibliographiques – consultables en ligne sur le portail Agorha –, rédigées en français et en anglais par près de cent trente spécialistes, conservateurs et chargés de collections à travers le monde. Chacune comprend une biographie et des sources archivistiques et précise la typologie et les dates de constitution des ensembles, les adresses du collectionneur ou du marchand et, le cas échéant, celles actuelles de conservation des collections. « Outre ces notices, deux cartographies ont vu le jour : la première, chronologique, permet de rendre visibles les adresses des marchands, collectionneurs et acteurs phares du marché de l’art à l’échelle nationale. Un travail a notamment été mené sur le recensement de plus de deux cents boutiques de marchands d’art d’Asie, signalées par leur localisation. La carte met ainsi en lumière une véritable géographie du collectionnisme d’art asiatique ainsi que de son commerce, du XVIIIe au milieu du XXe siècle. La seconde carte matérialise, à l’échelle du territoire national, les lieux de conservation actuels des ensembles asiatiques au sein des collections publiques françaises », précise Pauline Guyot. Tout cela étant mis à la disposition de la communauté scientifique et des simples curieux.

Japon, époque d'Edo, vers 1600-1630. Cabinet namban, bois laqué noir (urushi),décor en aplat de poudre d’or et d’argent (hiramaki-e), incr
Japon, époque d'Edo, vers 1600-1630. Cabinet namban, bois laqué noir (urushi), décor en aplat de poudre d’or et d’argent (hiramaki-e), incrustations de nacre (raden), ferrures en alliage cuivreux. Dijon, musée des beaux-arts.

Un devoir de transparence
Mêlant l’étude des collections à une histoire de l’art connectée et mondialisée, le programme veut s’inscrire dans une vocation véritablement universelle, à l’image de la Bibliothèque d’art et d’archéologie, constituée au début du XXe siècle par Jacques Doucet – lui-même important collectionneur d’art asiatique – et dont l’INHA est dépositaire. La période, longue de plus de deux siècles, sur laquelle s’étend le programme permet de revenir plus en détail sur le rôle de la France, dans un contexte politique et international souvent tendu. Dès la fin du XVIIe siècle, elle s’est engagée dans des opérations militaires s’accompagnant de relations commerciales forcées – voire de pillages –, au diapason des politiques de prédation menées par les autres puissances occidentales en Asie. Si un réel amour des cultures de la région habitait les collectionneurs et collectionneuses, il est moins évident qu’ils se soient véritablement souciés du consentement des premiers propriétaires ou dépositaires des objets qu’ils convoitaient. Pour autant, des échanges pacifiques et honnêtes – même lorsque d’importants montants financiers étaient engagés –, empreints d’une curiosité sincère, ont existé. C’est d’abord par le biais du commerce et de la diplomatie que les premiers échanges s’effectuent. Si les Portugais, à la suite de l’arrivée de Vasco de Gama en Inde en 1498, sont les premiers à s’installer dans les forteresses côtières, d’Ormuz à Nagasaki, les États réformés du nord de l’Europe commencent à s’intéresser au commerce d’outre-mer dès la fin du XVIe siècle. C’est ainsi que de nombreuses compagnies maritimes voient le jour, à l’instar de l’East India Company en Angleterre en 1600, ou de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, fondée en 1602 dans six ports des Provinces-Unies. En France, il faudra attendre 1664 et la fondation par Colbert de la Compagnie royale des Indes orientales pour entrer dans la course. Les compagnies fournissent à l’Europe toutes sortes de marchandises, parmi lesquelles les porcelaines et les laques font sensation. Les marchands-merciers sont les premiers fournisseurs de ces pièces, qui connaissent un succès exponentiel durant le siècle des Lumières. Ils font appel à de nombreux corps de métier afin de proposer de nouvelles variétés d’objets. Il n’est pas jusqu’à la famille royale et son entourage qui n’en soient friands, tel Louis XV, qui se fait livrer en 1743 par Thomas-Joachim Hébert une fontaine de porcelaine à glaçure céladon craquelée de l’époque Qianlong, montée en bronze doré. Après lui, la reine Marie-Antoinette sera aussi très sensible à ces « chinoiseries », et continuera d’enrichir sa collection de laques japonais héritée de sa mère, l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche – elle les confiera d’ailleurs au marchand Dominique Daguerre afin de les préserver des tourments de la Révolution.

 

Une vitrine du « musée Trimolet » au musée de Dijon (salle III), avant 1939, tirage photographique sur papier, Dijon, musée des beaux-arts
Une vitrine du « musée Trimolet » au musée de Dijon (salle III), avant 1939, tirage photographique sur papier, Dijon, musée des beaux-arts, fonds documentaire.

Un marché très actif
Le XIXe siècle est celui du développement du collectionnisme d’art asiatique. L’ouverture forcée de la Chine en 1842 puis celle du Japon, en 1854, marquent un changement d’échelle quant à la présence d’objets asiatiques circulant et étant visibles en France, en particulier à Paris. Le japonisme alimente cette tendance, porté par un grand nombre d’expositions dans la capitale, depuis celles organisées au retour de voyage d’Henri Cernuschi (voir Gazette n° 37, page 188) et d’Émile Guimet jusqu’aux expositions universelles, en passant par les rétrospectives de l’Union centrale des arts décoratifs. Le marché de l’art a joué un rôle primordial dans cet engouement, la place parisienne devenant en cette fin du XIXe siècle un passage obligé pour tout bon collectionneur. Ainsi, nombre de ventes spécialisées sont organisées à l’Hôtel Drouot, où les porcelaines chinoises dominent. Elles proviennent pour la plupart du pillage du Yuanmingyan, résidence palatiale des empereurs Qing – plus connu sous le nom de « sac du palais d’Été » –, auquel se livrèrent les troupes françaises et britanniques en 1860, à la fin de la seconde guerre de l’Opium. Ces ventes voient éclore tout un vocabulaire spécifique à l’identification des porcelaines, en même temps qu’elles conduisent à l’instauration d’un véritable réseau d’experts.

 


Cet important travail archivistique aura permis une meilleure connaissance des œuvres conservées en France, mais aussi de leurs conditions d’arrivée sur son sol. Sans compter les grandes figures du collectionnisme que sont Émile Guimet, Henri Cernuschi ou encore Philippe Burty, ce projet a donné une voix à des personnalités moins connues ou oubliées, collectionneurs passionnés et bien souvent donateurs aux musées de province. La foisonnante exposition « À portée d’Asie », actuellement au musée des beaux-arts de Dijon, peut être considérée comme l’aboutissement et la manifestation physique de ce vaste programme. Construite en partenariat avec l’INHA, bénéficiant de prêts d’institutions comme le Louvre ou le musée Guimet et reconnue d’intérêt national, elle offre l’occasion de découvrir les collections extra-européennes conservées dans la capitale de la Bourgogne. « Nous espérons que la valorisation des fonds, dont une grande partie est conservée dans les réserves, permettra leur mise en valeur par la recherche, mais aussi leur exposition au public », indique en ce sens Pauline Guyot. Après Dijon, qui prendra la suite ?
à voir
« À portée d’Asie. Collectionneurs, collecteurs et marchands d’art asiatique en France (1750-1930) »,
musée des beaux-arts de Dijon, palais des Ducs et des États de Bourgogne, tél. : 03 80 74 52 09.
Jusqu’au 5 février 2024.
beaux-arts.dijon.fr