Alors que toutes les autres foires s’y sont cassé les dents, l’indomptable britannique, à qui tout réussit, s’attaque à la côte ouest. Bilan d’une première édition qui en appelle d’autres.
Ils étaient nombreux, les dubitatifs, à s’interroger sur la dernière ambition de Frieze, après avoir conquis la côte est avec l’édition de New York : rejoindre le Pacifique avec une édition à Los Angeles. «J’ai participé à des foires là-bas depuis 1983 et ça n’a tout simplement jamais fonctionné», nous confiait ainsi le galeriste Sean Kelly avant l’événement. «Mais peut-être que Frieze a une botte secrète… » Les Français de Reed s’étaient également déjà frottés à la ville, à travers Paris Photo Los Angeles, de 2013 à 2015 précisément dans les studios de la Paramount, où a choisi de s’implanter Frieze , avant de jeter l’éponge. «L’agglomération est très étendue, il est très difficile de créer un momentum localement», nous indiquait Florence Bourgeois. La FIAC avait aussi manifesté quelques velléités pour la cité des Anges puis s’était rétractée avant la première édition sur place. Afin d’éviter toute déconvenue, cette première édition cherchait à limiter les risques : exposants en nombre réduit et invités, places limitées pour le public, peu d’invitations. «Plus encore que de faire venir le monde à Los Angeles, nous cherchons à révéler la richesse de son écosystème artistique aux habitants», nous confie Bettina Korek, la directrice de la foire. Le fait de prendre quelqu’un connaissant intimement cet écosystème Bettina Korek a fondé et dirigé ForYourArt, la principale plateforme d’information sur la scène locale semble à cet égard très pertinent. «Je suis donc ravie qu’à côté des acteurs locaux très établis tels le Lacma, le MOCA et le Hammer Museum, nous ayons pu trouver une place pour les artist-run spaces d’ici : Artists4Democracy, Women’s Center for Creative Work, A-Z West et Acid Free». Dans les faits, cela se matérialisait par les projets «curatés» dans les décors extérieurs de New York et le secteur principal sous des tentes spécialité de Frieze. De nombreux solo et duo shows, sur les petits stands, participent à la lisibilité du tout, comme l’exposition monographique de Jeppe Hein sur l’espace de la galerie König. «Nous avons rencontré beaucoup de nouveaux collectionneurs grâce à la merveilleuse mise en avant des organisateurs», précise Dina Münzfeld, de la galerie. Seule ombre au tableau, la météo exécrable, qui inquiétait la plupart des exposants à l’heure de l’installation. «Le temps était horrible. Nous étions inquiets de complications logistiques mais tout s’est bien très déroulé», explique ainsi Claudia Altman-Siegel (Altman-Siegel, San Francisco). Karolina Dankow (Karma International, Zurich et Los Angeles) ajoute : «Le soleil est si important pour l’attractivité touristique de la ville, nous avions peur que cela se reflète sur l’état d’esprit de la foire.»
Petites pièces et gros prix
Même si la plupart des exposants se montrent enthousiastes, peu sont véritablement diserts quant à leurs ventes. Parmi les plus loquaces, Thaddaeus Ropac annonce avoir vendu pour 3,25 M$ d’œuvres, dont un portrait de Georgia O’Keefe par Warhol pour 875 000 $ ou deux personnages d’Antony Gormley pour 400 000 £ chacun. Kayne Griffin Corcoran plaçait un dessin de Mary Corse au Hammer Museum pour environ 150 000 $ et vendait une pièce lumineuse de James Turrell pour 350 000 $. «Frieze a été un grand succès pour nous et a dépassé nos meilleurs espoirs. En tant qu’acteur local, c’est excitant de voir le prototype fonctionner. Cela confirme que la scène artistique de Los Angeles peut supporter une foire de cette taille et de ce calibre», confie Maggie Kayne, la directrice. La galerie 303 vendait deux œuvres de Doug Aitken, dont l’une pour 250 000 $. Les Coréens de Kukje Gallery vendaient plusieurs pièces du maître du dansaekhwa Ha Chong-Hyun, des sculptures de Gimhongsok ainsi que «presque toutes les œuvres présentées du jeune Suki Seokyeong Kang». «Il semblerait que les œuvres moins importantes fonctionnent très bien à Los Angeles. Peut-être est-ce que le public d’ici est moins habitué aux foires et à la collection en général, toujours est-il que les pièces plus petites étaient plus faciles à vendre», déclare Joorhee Kwon. «Nous avons vendu une pièce de l’installation Desert X, de Kathleen Ryan, pour 130 000 $, plusieurs œuvres de Neïl Beloufa pour 40 000 $ chacune, une toile de Marius Bercea pour 50 000 $ et une autre de Sayre Gomez pour 35 000 $», rapporte François Ghebaly. LA Louver cédait plusieurs peintures de sa présentation monographique consacrée à Gajin Fujita, dont un grand format à 250 000 $, quand Blum & Poe vendait une toile de Mark Grotjahn pour 600 000 $. Alex Katz rencontrait le succès sur plusieurs stands : 750 000 $ chez Ropac et plus de 1 M$ chez Pace. Altman-Siegel voyait tous les dessins de sa nouvelle signature, Koak, partir en quelques heures seulement, quand Susanne Vielmetter vendait presque l’intégralité de son stand dédié à Kim Dingle. «Cette édition est tout simplement fabuleuse. C’est l’une des meilleures foires auxquelles nous ayons participé», déclare, enthousiaste, la directrice de la galerie.
Nouveaux amateurs
D’autres annoncent des ventes plus mitigées mais sont de tout de même satisfaits. «Les ventes n’ont pas été fantastiques mais on ne se plaint pas», déclare ainsi Jeanne Greenberg-Rohatyn (Salon 94, New York). «Nous avons placé aussi bien nos œuvres auprès d’acheteurs chinois qu’à des collectionneurs locaux.» «Nos ventes étaient mitigées. Nous avons quand même placé des œuvres d’Ei Arakawa et Kuwayama Tadaaki», confie Takayuki Ishii (Taka Ishii Gallery, Tokyo). Tous soulignent néanmoins l’opportunité de rencontrer de nombreux collectionneurs. «Nous avons reconnu quelques visages familiers de Mexico mais nous avons surtout fait la connaissance de nouveaux amateurs», confie ainsi Jacob Flood (OMR). «Beaucoup de visiteurs de toute l’Amérique et d’Europe ont fait le voyage», ajoute Andrée Sfeir-Semler, de la galerie allemande du même nom. «Des jeunes curieux et très en recherche de nouvelles choses. C’est enthousiasmant !» «Certains étaient venus de New York, beaucoup de San Francisco. Un groupe du Carnegie, à Pittsburgh, s’est aussi arrêté sur notre stand», précise Claudia Altman-Siegel. «Je pense néanmoins qu’il faudrait revoir la politique quant aux tickets preview mis en vente par les organisateurs. Plusieurs clients se sont plaints qu’ils soient très tôt épuisés et de ne pouvoir accéder à la foire simplement. Mais une fois dans les lieux, tous étaient unanimes.» À l’heure, où la «fair fatigue» commence à inquiéter les organisateurs d’événements, Frieze a fait la démonstration que de nouveaux formats peuvent rencontrer le succès. Comme le résume Carol Greene (Greene Naftali), «plus grand ne veut pas toujours dire mieux. Small is beautiful»! «La taille de Frieze LA est parfaite, ni trop grande, ni trop petite. J’espère qu’ils resteront sur le même format dans les années à venir», conclut Takayuki Ishii. Souhaitons que les organisateurs l’entendront et ne transformeront pas ce prototype très réussi en mastodonte indigeste.