Le Festival de l’histoire de l’art a, cette année, pour thème le peuple. L’occasion idéale d’évoquer, à Fontainebleau, tous ces hommes et ces femmes de l’ombre au service des princes et des présidents.
L’envers du décor
Si la vaste demeure abrite des appartements somptueux et des décors extraordinaires, elle renferme également des espaces de travail et de vie destinés aux personnes chargées de son fonctionnement. À l’époque de Louis-Philippe, on comptait mille cinq cents à deux mille employés le temps des séjours royaux et de fastueuses réceptions, qui nourrissaient hommes et animaux, meublaient, décoraient, fleurissaient, chauffaient et nettoyaient. Tous contribuaient à la bonne marche de la «machine» à recevoir et à se distraire qu’était le palais bellifontain. Les circulations spécifiques de ce personnel, les objets, la nourriture, l’eau, le bois et autres matières que ces personnes de l’ombre transformaient et transportaient, les odeurs qui leur étaient liées, caractérisaient le château, véritable fourmilière lors des villégiatures princières. Sur les 1 530 pièces environ que compte la demeure, le visiteur peut en découvrir deux centaines, mais il ne croisera que la magnificence voulue par les souverains. Les portes dérobées qui mènent à l’envers du décor et à plus de simplicité restent closes, à l’exclusion de celles du magnifique appartement d’invité du second Empire, accessible lors de visites guidées : remeublé, il évoque la vie quotidienne des hôtes de passage. Ce sont finalement quelques cordons de sonnette plaqués au mur, tels des caméléons, ou un lit de camp du gardien du Portefeuille, caché derrière un paravent dans les petits appartements de l’Empereur, qui interpellent et rappellent le rôle du peuple, cet inconnu. Pendant le Festival de l’histoire de l’art, il sera possible, sur réservation, de déambuler dans les endroits plus secrets, les combles, les escaliers de service et les espaces réservés à la domesticité, même si nombre d’entre eux restent difficiles à lire dans un château aux multiples transformations, y compris récentes. Pour permettre au peuple laborieux d’accomplir sa mission, souvent mal rémunérée, de nombreux outils et des meubles à l’usage parfois oublié ont été livrés au château. On peut noter, pêle-mêle, les éléments de cuisine (casseroles, moussoirs, presse-agrumes…), les plumiers et les encriers, les arrosoirs, les marteaux et les rabots ou les lances à incendie.
À côté des chefs-d’œuvre des arts décoratifs, on trouve aussi, telles les reliques d’une vie quotidienne sans fard, des lits en fer qui peuvent être pliants, des bidets et seaux de nuit, des coffres à bois, des chaises paillées, pendules aux formes simples, tables de service… Il faut encore mentionner l’aspect sériel des meubles de suite, qui garnissaient les multiples appartements d’invités, comme des dizaines de tables de toilette ou de paires de chenets alignés désormais en réserve. Là, il n’est plus question seulement des «objets du peuple», mais du «peuple des objets», une des spécificités de la collection du château de Fontainebleau. La démesure architecturale du lieu trouve ainsi son pendant dans sa collection : ce qui peut y paraître incongru en est finalement constitutif. Si les chefs-d’œuvre sont toujours bien en vue du public, les autres éléments de la collection qu’ils forment le peuple des objets ou qu’ils soient les témoins muets du peuple seront disséminés dans l’Appartement intérieur lors du festival. Il s’agit d’offrir, à cette occasion, une présentation en contrepoint du parcours traditionnel de visite, de placer autant de touches de couleurs pour une vision plurielle de l’histoire locale.
Des graffitis comme témoins
Au-delà des espaces et des objets, les traces du peuple se lisent sur les murs, tant les graffitis sont nombreux à Fontainebleau. Datant du XVIe siècle à nos jours, mais plus généralement de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, ils se comptent par centaines. Ce sont autant de noms, dates, signes, chiffres, croquis ou encore véritables dessins ou maximes de vie qui sont apposés sur les murs, les sols, les plafonds et parfois même les œuvres. Ainsi, le royaume des combles s’enfonce-t-il dans les démêlés comptables ou érotiques. Et si le palais arbore nombre de représentations de souverains, de dieux et de nymphes, qu’ils soient sculptés ou peints, il cache aussi la propagande et la culture d’une autre époque et d’une autre classe sociale, à travers les portraits graffés de Staline, de Marianne et de Max Schmeling qui trônent dans le pavillon du Luxembourg. Le peuple, sur les murs du château, n’a pas juste un nom, il propose une réflexion, parfois une dérision. Il cherche volontairement ou non à tirer un sourire, une grimace ou une larme. Objets de deux visites particulières, les graffitis seront surtout une expérience physique des œuvres et des lieux qu’ils souillent ou embellissent, ainsi qu’une source d’analyse historique et sociologique. Lors du festival, visiteurs et historiens de l’art, ces peuples qui habitent le château occasionnellement ou régulièrement depuis presque deux cents ans, découvriront et rendront hommage au peuple du travail qui l’a façonné, l’a entretenu et magnifié pour le transmettre aux générations futures, le peuple à venir…