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Sylvie Patry, du musée d’Orsay à la galerie Kamel Mennour

Publié le , par Annick Colonna-Césari

Après une carrière de vingt ans au service des musées, la conservatrice Sylvie Patry, spécialiste reconnue de l’impressionnisme, a décidé de rejoindre la grande galerie parisienne d’art contemporain. Une trajectoire étonnante ? Pas tant que ça…

Sylvie Patry, 2023, à côté d’une œuvre de Judit Riegl, Un corps au pluriel, 1984-1990,... Sylvie Patry, du musée d’Orsay à la galerie Kamel Mennour
Sylvie Patry, 2023, à côté d’une œuvre de Judit Riegl, Un corps au pluriel, 1984-1990, technique mixte sur toile, 300 195 cm (détail).
Photo : Archives Mennour © Judit Reigl, ADAGP, Paris, 2023. Courtesy Fonds de dotation Judit Reigl et galerie Kamel Mennour, Paris

Pour rencontrer Sylvie Patry et discuter d’une exposition dont elle assurait le commissariat, il fallait jusqu’à récemment pousser les portes du vénérable musée d’Orsay, où elle occupait le poste de directrice de la conservation et des collections. Aujourd’hui, elle donne rendez-vous dans un hôtel particulier de Saint-Germain-des-Prés, siège de la galerie Kamel Mennour, qu’elle a rejointe en décembre 2022 au titre de directrice artistique. Autant dire que dans le milieu feutré de l’art, ce passage du public au privé a suscité un choc. Car même si le phénomène n’est pas unique, il reste rare, du moins en France. Suzanne Pagé, conservatrice en chef du musée d’Art moderne de la Ville de Paris depuis 1988, avait donné l’exemple, en 2006, en devenant directrice artistique de la Fondation Louis Vuitton. Elle était suivie en 2021 par Emma Lavigne, qui, après avoir présidé le Centre Pompidou-Metz et le Palais de Tokyo, prenait les rênes de la Collection Pinault, à Paris. En revanche, une conservatrice du patrimoine, spécialiste reconnue de l’impressionnisme, ralliant le secteur marchand de surcroît dans le domaine de l’art contemporain, ça ne s’était encore jamais vu… La bifurcation semble en effet a priori étonnante. Pendant plus de vingt ans, l’historienne de l’art a officié dans l’univers institutionnel, du Palais des beaux-arts de Lille au musée Delacroix à Paris, en attendant qu’une place se libère au musée d’Orsay – son objectif. Recrutée comme conservatrice en 2005 et plus tard conservatrice en chef, elle y a réalisé des expositions remarquées, en cosignant notamment pour le Grand Palais la plus grande rétrospective jamais consacrée à Claude Monet, à l’occasion du centenaire de sa disparition, ou encore en orchestrant une exposition sur Paul Durand-Ruel, le marchand des impressionnistes.
 

Performance devant les visiteurs de la galerie Kamel Mennour, réalisée le 15 mars 2023 par Hicham Berrada, créateur de tableaux en constan
Performance devant les visiteurs de la galerie Kamel Mennour, réalisée le 15 mars 2023 par Hicham Berrada, créateur de tableaux en constante évolution, entre art et recherche scientifique.
Photo : Archives Kamel Mennour

La rencontre avec Kamel Mennour
C’est à cette occasion qu’elle a rencontré Kamel Mennour, l’ayant invité à livrer son témoignage pour les besoins d’un documentaire. Puis en 2015, elle a été sollicitée par la Fondation Barnes de Philadelphie, réputée pour ses Renoir, Cézanne, Manet et autres Monet. « Une bonne surprise, commente-t-elle, étant donné que j’espérais, à un moment ou à un autre, tenter l’expérience américaine ». Nommée à la fonction de directrice adjointe, lui incombait la lourde tâche de redynamiser l’image et la programmation de l’institution. Mais en 2017, lorsque Laurence des Cars a accédé à la présidence d’Orsay et lui a demandé de la seconder, elle est revenue à Paris. Et cette « deuxième période Orsay » a enrichi son expérience, entre la restitution d’un tableau spolié de Gustav Klimt et l’organisation de l’exposition « L’impressionnisme, la modernité en mouvement », qui célébrait le 5e anniversaire du Louvre Abu Dhabi, une première sur le thème dans cette région du monde. Jusqu’à la proposition de Kamel Mennour, fin 2021. À cette époque, le marchand, avec qui Sylvie Patry a gardé contact, mène une réflexion, démarrée durant la crise sanitaire. « J’en avais conclu que la galerie devait ouvrir un nouveau chapitre de son histoire », explique-t-il. Avec ses quatre espaces parisiens, l’enseigne créée en 1999 a acquis une réputation internationale, et s'est forgé un ADN reposant sur le mélange des générations d’artistes. Parmi la quarantaine de noms représentés figurent en effet de jeunes talents, telles Camille Henrot ou Latifa Echakhch, des artistes stars comme Daniel Buren ou Anish Kapoor et d’autres disparus, d’Eugène Carrière à Alberto Giacometti et Pierre Molinier. Car la galerie gère également des « estates »… « Pour moi, l’art ne doit pas être compartimenté en époques », estime Kamel Mennour. Une vision qui s’est traduite par l’organisation d’expositions en forme de confrontations, Morellet/Malevitch, Buren/Giacometti ou même Buren/Caravage. « C’est cette dimension culturelle, tournée vers l’histoire de l’art, que je souhaite renforcer et offrir au plus grand nombre. Car il ne faut pas oublier que les galeries sont des lieux gratuits ouverts à tous. Je pensais que Sylvie pourrait contribuer à cette nouvelle étape ». Au même moment, cette dernière traverse justement une phase d’interrogation. Elle a des velléités de changement, et vient d’ailleurs de candidater – sans succès – à la présidence du musée d’Orsay pour remplacer Laurence des Cars, partie au Louvre.

 


Une décision mûrement réfléchie
« La proposition de Kamel m’a d’abord surprise », avoue-t-elle. Mais elle l'étudie sérieusement. Et pour cause : « L’art contemporain m’a accompagnée dès le début de mes études. C’était, à mes yeux, le complément indispensable de ma formation. Alors que je préparais le concours de conservateur, je me souviens d’être allée visiter la Biennale de Lyon, dont Harald Szeemann était le commissaire ». Par la suite, ses activités professionnelles l’ont mise au contact direct des artistes, d’abord au musée d’Orsay. « Ça a été la première institution à instaurer des invitations, au temps où Serge Lemoine en était président », rappelle-t-elle. À la Fondation Barnes, la conservatrice a accueilli Anselm Kiefer, dans le cadre d’un face-à-face avec l’art de Rodin, ainsi que le jeune Mohamed Bourouissa, dont elle avait repéré le travail chez Kamel Mennour. Et de retour à Orsay, elle a travaillé avec Marlene Dumas et Sophie Calle. Par ses fonctions, Sylvie Patry n'ignore pas non plus les mécanismes du marché. « Un conservateur ne reste pas plongé dans ses livres, sourit-elle. Il est amené à faire des acquisitions dans des foires, chez des marchands, à gérer des budgets, à s’occuper des valeurs d’assurances. » Bref, au final, la proposition de Kamel Mennour n’est pas si incongrue. Et elle l'accepte avec bonheur. « Parce qu’elle émanait de Kamel, insiste-t-elle. J’apprécie les artistes qu’il défend et je partage ses valeurs.»
 

Sylvie Patry aux côtés de Kamel Mennour, à Paris. Photo : Archives Kamel Mennour
Sylvie Patry aux côtés de Kamel Mennour, à Paris.
Photo : Archives Kamel Mennour
Le soutien au savoir et à la recherche
«Un galeriste est bien sûr un marchand, mais il peut aussi être un passeur, et la galerie s’avérer à la fois un espace de vente et de transmission du savoir ». La mission de Sylvie Patry est donc d’explorer toutes sortes de pistes allant dans ce sens. La première action concrète voit le jour en ce mois de mars. Un programme de visites gratuites en famille, à destination des 6-12 ans, est lancé. Gage de sérieux, elles sont animées par une conférencière des Musées nationaux, Anette Robinson. Le premier cycle, qui se déroule sur trois samedis, est consacré à l’œuvre de la peintre Judit Reigl (1923-2000). « Une heure après l’annonce, les créneaux étaient complets, s’enthousiasme la conservatrice. Ce qui prouve que l’idée répond à une demande des parents ». Depuis son arrivée, elle réfléchit parallèlement aux thématiques d’expositions à venir, et au renforcement du dialogue entre art contemporain et création plus historique. Elle projette d’inviter des « grandes voix » de différentes disciplines, pour tenir des masterclasses, y compris hors les murs et pendant les foires, ou assurer des commissariats, exercice auquel elle a hâte de se frotter elle-même. La galerie va simultanément s’engager « dans le soutien au savoir et à la recherche sur l’art d’aujourd’hui », par le biais de partenariats avec des musées et des établissements d’enseignement, des projets encore top secret. En tous cas, Sylvie Patry n’a pas pour autant oublié ses anciennes amours. Elle prépare un événement, prévu de longue date, qui célébrera le 150e anniversaire de la première exposition impressionniste de 1874, en 2024 au musée d’Orsay et à la National Gallery of Art de Washington. Coup de chapeau.
 
Sylvie Patry
En 6 dates

1968
Naissance à Paris
1999
Conservatrice au Palais des beaux-arts de Lille, jusqu’en 2002
2005
Conservatrice puis conservatrice en chef au musée d’Orsay
2015
Directrice adjointe de la Fondation Barnes à Philadelphie
2017
Directrice de la conservation et des collections du musée d’Orsay
2022
En décembre, devient directrice artistique de la galerie Kamel Mennour
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