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Subodh Gupta, du spirituel dans l’art

Publié le , par Maïa Roffé

L’artiste indien investit les salons historiques, les cours intérieures et le musée de la Monnaie de Paris pour sa première rétrospective en France, qu’il conçoit comme un lieu propice à la rencontre, à l’image du concept hindi «Adda».

Subodh Gupta, en résidence aux ateliers de la Monnaie de Paris, 2018.  Subodh Gupta, du spirituel dans l’art
Subodh Gupta, en résidence aux ateliers de la Monnaie de Paris, 2018.
© Martin Argyroglo


On se souvient de son installation monumentale Ali Baba, caverne remplie d’une profusion d’ustensiles de cuisine en inox rutilants à l’exposition «Paris-Delhi-Bombay» au Centre Pompidou, en 2011. Né en 1964 à Kaghaul dans l’État indien de Bihar, l’artiste Subodh Gupta est l’invité de la Monnaie de Paris pour sa première rétrospective en France. Basé à New Delhi, il multiplie les objets domestiques brillants pour créer un effet de monumentalité ou d’abondance, comme dans l’installation Faith Matters (La foi est importante, 2007-2008) symbolisant le transport alimentaire mondialisé, qui voit tourner en boucle des ustensiles en acier inoxydable, en laiton et en aluminium sur un tapis roulant… «Quand j’ai commencé à travailler avec des ustensiles, je n’avais aucune idée de l’histoire et de la tradition préexistante de l’utilisation du ready-made. Je n’ai découvert que plus tard qui était Duchamp ! La méthode que j’ai développée en travaillant avec ce matériel est donc la mienne, d’une certaine manière, et non pas exactement dans la même ligne que le ready-made. Pour moi, ces objets que j’utilise sont un matériau que je transforme ensuite en quelque chose d’autre et je crée ainsi une œuvre d’art», raconte Subodh Gupta. L’artiste réalise aussi des répliques d’objets indiens du quotidien, qu’ils soient en bronze, en laiton ou aluminium : la pâte à pain Atta Dough (2010), le vélo portant des bidons de lait Two Cows (Deux vaches, 2003-2008), ou l’iconique voiture Ambassador Doot (2003). «Dès l’enfance, j’ai été fasciné par les histoires de fée ou de magicien touchant quelque chose d’ordinaire avec leur baguette pour les transformer en or ! D’une certaine façon, je m’inspire de cette même fantaisie lorsque je coule ces objets dans le métal. D’une manière ou d’une autre, lorsque vous moulez en bronze les objets les plus ordinaires, que ce soit une pomme de terre (Only One Gold, 2017) ou un taxi, les gens commencent soudain à leur donner de la valeur et à remarquer leur beauté. Ils semblent identiques mais se sont transformés en tout autre chose», explique l’artiste. Idem pour l’œuvre There is always Cinema (2008), qui juxtapose un véritable projecteur et des bobines de films avec leur réplique en nickel et en laiton.
 

Very Hungry God, 2006, structure et ustensiles en acier inoxydable, 390 x 320 x 400 cm, Pinault Collection, courtesy de l’artiste.
Very Hungry God, 2006, structure et ustensiles en acier inoxydable, 390 x 320 x 400 cm, Pinault Collection, courtesy de l’artiste.


Exil et migrations
Si l’époux de l’artiste indienne Barti Kher transfigure les objets du quotidien, il produit aussi des œuvres ayant une forte connotation politique, à l’image de 1 K.G. WAR (1 kilo guerre, 2007), un hexagone d’un kilo d’or de 24 carats. Exposée au Musée du 11 Conti, dans une exposition thématique sur l’Inde et les médailles, face à la pièce de monnaie d’un kilo en or Taj Mahal gravée par la Monnaie de Paris, l’œuvre symbolise la cupidité à l’origine des guerres dans le monde. Déjà, en 2012, Subodh Gupta avait conçu une réplique miniature en 3D de la niche vide du site de Bâmiyân, en Afghanistan, après la destruction des statues de bouddhas par les talibans (Renunciation). L’artiste explore aussi la question brûlante des migrations en exposant des bateaux de pêche traditionnels du Kerala chargés d’objets de survie, dont All in the same Boat (Tous dans le même bateau, 2012-2013) et What Does the Vessel Contain That the Rivers Does Not ? (Qu’est-ce que le navire contient que les rivières ne contiennent pas ?, 2013), inspiré d’un texte du poète persan du XIIIe siècle, Jalil ad-Din Muhammad Rumi. «Nombre de mes œuvres sont des méditations sur la migration et l’exil. À l’époque où j’ai réalisé ces travaux, la crise migratoire n’était pas aussi importante qu’elle ne l’est aujourd’hui... Mais je pense que ces œuvres prennent un sens nouveau et une nouvelle pertinence dans les paysages politiques d’aujourd’hui», souligne l’artiste, qui montre à la Monnaie de Paris une barque remplie de pots trouvés en laiton, Jal Mein Kumbh, Kumbh Mein Jal Hai (L’eau est dans le pot, et le pot est dans l’océan, 2005).

 

In this Vessel Lies the Seven Seas ; In It, Too, The Nine Hundred Thousand Stars (I), 2016, peinture à l’huile et impression numérique sur aluminium,
In this Vessel Lies the Seven Seas ; In It, Too, The Nine Hundred Thousand Stars (I), 2016, peinture à l’huile et impression numérique sur aluminium, lumières LED, 365,7 x 243,8 x 5 cm. Courtesy de l’artiste et Hauser & Wirth, photo Subodh Gupta


Un dieu vorace et insatiable
Plusieurs œuvres explorent par ailleurs la relation étroite entre la nourriture et le spirituel dans l’hindouisme. La vidéo Spirit Eaters (2012) met en scène des sortes de brahmanes payés pour manger abondamment, afin de nourrir l’âme d’un défunt. «La famille doit les nourrir parce qu’ils sont censés porter malheur si vous ne le faites pas, ils réprimanderaient l’esprit des morts. Pour la vidéo, je les ai nourris à nouveau pour mon père décédé, ma mère ayant cuisiné pour la performance», explique Subodh Gupta qui réalisait, lors de la foire Art Basel en 2017, une performance culinaire et gastronomique intitulée Cooking the World sous une hutte ouverte composée d’ustensiles usagés en aluminium, afin de commémorer ces pratiques rituelles. «Quand j’étais petit, je voyais la cuisine comme un lieu pour prier. Une sorte de temple. Pour moi, c’est un lieu plein de spiritualité», ajoute l’artiste qui expose l’installation Very Hungry God (2006), un crâne monumental fait de centaines d’ustensiles en inox employés dans la majorité des cuisines des classes moyennes et populaires en Inde, évocation d’un dieu de millions d’affamés indiens auquel les fidèles font des offrandes rituelles. Ce dieu vorace et insatiable, exposé pour la première fois lors de la Nuit Blanche de 2006 à Paris, souligne le contraste entre l’aspect rutilant de cette vaisselle peu onéreuse, symbole de prospérité, et la famine qui règne encore dans certaines régions de l’Inde.

 

Unknown Treasure, 2017, laiton et techniques mixtes, 427 x 122 x 135 cm.
Unknown Treasure, 2017, laiton et techniques mixtes, 427 x 122 x 135 cm. Courtesy de l’artiste et GALLERIA CONTINUA, San Gimignano / Beijing / Les Moulins / Habana Photo : Ela Bialkowska, OKNO Studio


Le cosmos dans l’assiette 
Mais l’artiste va plus loin encore dans cette relation entre nourriture et spirituel, en comparant les ustensiles de cuisine à des astres dans les récentes peintures In this Vessel Lies the Seven Seas (2016). «Pour moi, les casseroles et les poêles sont une allégorie de l’univers. J’ai travaillé avec des ustensiles pendant de nombreuses années. J’ai commencé par utiliser des ustensiles en acier inoxydable neufs et brillants, puis j’ai incorporé de vieux ustensiles usés, souvent faits d’aluminium et d’acier. Quand on regarde ces peintures de vieux ustensiles agrandis et isolés, les éraflures commencent soudain à ressembler à des cratères et les signes d’usure et de déchirure mènent à une étrange coloration d’un autre monde. Vous avez l’impression de regarder un tableau d’une planète lointaine, mais ce n’est qu’une poêle à frire ordinaire ! Ces peintures sont vraiment le reflet de ce sentiment d’avoir trouvé tout le cosmos dans mon assiette», affirme l’artiste indien dont l’œuvre s’est récemment orientée vers une représentation de l’univers. Ainsi les panneaux réfléchissants en acier inoxydable suspendus d’Anahad/ Unstruck (2016) déformant le reflet du visiteur, parcourus par une vibration intense, donnent forme au concept indien d’Anahad Naad, «un son qui vient de l’intérieur, qui n’a ni début ni fin, transcende l’espace et le temps. Le son de la conscience humaine et du cosmos». L’artiste, né dans l’État indien du Bihar où le Bouddha aurait connu l’éveil, dévoile aussi une œuvre où il réactive le mythe de la pierre philosophale changeant tout matériau en or : In this Vessel Lies the Philosopher’s Stone (Dans le pot repose la pierre philosophale, 2017). «Dans cette œuvre, je prends cette métaphore au sens propre, en suspendant une roche trouvée dans un récipient de cuisson en laiton. Le titre de l’œuvre est inspiré d’un texte du poète mystique indien du XVe siècle, Kabir. Pour Kabir et beaucoup d’autres poètes soufis, le vase ou le pot en terre est en fait un trope pour le corps humain. Il transmet essentiellement le message que tout l’univers et ses trésors, y compris cette gemme alchimique très recherchée, peuvent être trouvés en soi-même…»

À LIRE
Le catalogue de l’exposition «Subodh Gupta», sous la direction de Camille Morineau
et Mathilde de Croix, éditions Skira, 192 pp., 100 ill., 25 €.
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