2018 restera comme une année difficile pour le groupe MCH. L’action de la maison mère d’Art Basel a été plus que chahutée, à - 60 %. Comment un poids lourd de l’événementiel a-t-il pu perdre autant d’aura en si peu de temps ? Analyse et perspectives.
C’était hier. En 2016, MCH reçoit les lauriers du gotha pour l’organisation des meilleures foires d’art contemporain au monde : Art Basel, Art Basel Miami Beach et Art Basel Hong Kong ; ces événements marchands se multiplient alors partout, et la progression de la capitalisation boursière de l’entreprise semble saine. C’est le moment d’en faire évoluer les business models, car, même si le groupe continue d’être, et de loin, le leader, le monde autour de lui est en pleine mutation. Mais comment faire évoluer une société qui travaille de la même manière depuis plus d’un siècle ? Première étape : annoncer une nouvelle activité, Art Basel Cities, consistant à concevoir des événements culturels non commerciaux «clés en main» pour certaines villes. Investir ensuite dans des foires plus petites, qu’elles soient leaders sur des marchés émergents (India Art Fair) ou plus secondaires, mais dans des zones établies (Art Düsseldorf). Pas question pour autant de mettre en danger la marque principale, Art Basel. MCH décidera enfin la création d’une nouvelle foire à Singapour et un développement de Grand Basel dédié à l’automobile de luxe et de collection à Miami. De tout ce qui a été annoncé, seul Art Basel Cities verra réellement le jour ou aura un véritable impact. La première édition a eu lieu à Buenos Aires il y a quelques mois. Même si ce n’était pas une foire, et même si les revenus étaient moindres et provenaient principalement de la ville hôte, ce fut un bel événement culturel. Mais, à peu près au même moment, MCH annonçait qu’il vendait ses participations dans India Art Fair et Art Düsseldorf, qu’il annulait Art SG et mettait fin aux ambitions internationales de Grand Basel… S’il y a bien quelque chose que les investisseurs n’aiment pas, ce sont les reculades après des changements majeurs de stratégie. Soit le business plan était mauvais, soit l’atteinte des objectifs s’avère plus difficile que prévu. Des acteurs bien plus gros se sont effondrés du fait de plans stratégiques déficients. Deux ans après les grandes annonces, retour donc au statu quo… mais 60 % plus pauvre, avec une valeur au plus bas depuis dix ans.
Le roi est nu
La première alerte a eu lieu en juillet, quand Swatch annula son sponsoring de Baselworld ; estimé à cinquante millions d’euros, celui-ci était de loin le plus important de la foire la plus emblématique de MCH. Le choc fut aussi symbolique que financier, d’autant que Swatch n’a pas pris de pincettes pour se justifier : selon Nick Hayek, son directeur général, le modèle des foires est tout simplement démodé et «l’extrême arrogance de MCH pendant toutes ces années était devenu insupportable». Aïe. Baselworld 2019 risque de ne pas s’en remettre. L’événement sera organisé «selon un tout nouveau modèle», même si personne ne sait ce que cela veut dire. Ce départ fut un tel choc qu’il déclencha le renvoi de René Kamm, le P-DG du groupe, laissant à Hans-Kristian Hoejsgaard l’intérim et la tâche délicate de réinventer la quadrature du cercle. Le divorce entre Swatch et MCH a par ailleurs accéléré le crash de la valeur du groupe, qui devait atteindre les ténèbres avec l’annonce de l’arrêt des foires d’art intermédiaires. Les horlogers suisses ont peut-être été les premiers à comprendre que l’on était arrivé au bout du modèle des foires ou, pour le dire autrement, que le roi était nu.
Une certaine fatigue
L’une des raisons les plus évidentes pour expliquer en partie la situation actuelle est ce que les Américains appellent la « fair fatigue ». Galeries et collectionneurs n’arrivent tout simplement plus à suivre toutes ces foires, qui poussent partout comme des champignons. Renforcées par la montée en puissance des réseaux sociaux, les préouvertures sont désormais le lieu idéal pour devenir un «collectionneur influent». Les fêtes parallèles, les cocktails et les manifestations satellites ont suivi. Mais c’est devenu trop. Il faut reconnaître à MCH le talent d’avoir développé la marque Art Basel dans le monde entier. La foire suisse, initiée dans les années 1970, a largement bénéficié d’avoir été un pionnier du modèle des salons d’art, créant sans doute le plus grand événement spécialisé d’Europe et des États-Unis. Art Basel Hong Kong, le dernier ajout à la marque, est également très puissant en Asie. Et, de fait, Art Basel Miami Beach est devenu tellement important que la plupart des Américains ne réalisent même pas que Bâle est d’abord une ville d’Europe… Mais, après avoir créé des foires de premier plan pour chacun des continents les plus riches du monde, quelle peut être la prochaine étape ? Ajouter de petites foires d’art à son portefeuille semblait naturel. Mais les équipes de MCH ont vite compris que le monde était déjà rempli de ces événements, et qu’en parrainer de nouveaux revenait à cannibaliser son propre marché. Une bonne gestion ne suffit malheureusement plus pour réaliser des profits. Le succès d’Art Basel résulte principalement de la stratégie de marque et non du management, même si la foire est effectivement excessivement bien organisée. Les collectionneurs qui voyagent en jet privé et dépensent des millions de dollars n’en attendent de toute manière pas moins. Si les nouveaux événements MCH ne portent pas l’estampille «Art Basel», elles n’ont pas le même attrait et ne convainquent pas les collectionneurs.
La folie des grandeurs
Pour se distinguer des autres organisateurs de foires, MCH Group a décidé de désormais se présenter comme une «live marketing company» (sic), ne vendant plus de l’organisation d’événements, mais de la construction de marque. Même si elle était très mal exprimée, l’idée semblait bonne. Seulement, l’entreprise n’a pas transformé l’essai : elle a tout simplement continué à faire ce qu’elle a toujours fait, produire des événements. Aujourd’hui, MCH souffre d’un trouble de la personnalité. Impossible de savoir s’il est resté un organisateur d’événements, qui lutte pour en trouver de nouveaux à gérer, ou une société de communication, qui n’arrive pas à générer de profits et qui, franchement, manque d’inspiration et de management. Difficile de superviser le Zürich Slow Food Market ou Smart Home Swiss et de faire croire au monde que l’on est une machine de guerre du marketing international. Ce sont des événements pour une PME suisse, pas pour un conglomérat mondial. Autre inconvénient à se présenter comme une entreprise «globale» : la perte des avantages fiscaux locaux versés par le gouvernement du canton de Bâle-Ville, depuis 1920, pour promouvoir le tourisme pour les foires suisses. Essayer d’y inclure la rénovation d’un bâtiment aussi grand s’est révélé une pilule trop grosse à faire passer… Après trois années à générer 30 millions de dollars de bénéfice par an, la société a annoncé une perte sèche de 109 millions en 2017, et 2018 ne devrait pas se révéler meilleure. Après sa chute de 60 %, la capitalisation boursière du groupe est désormais de seulement 130 M$. Plusieurs galeries participant à Art Basel sont très probablement plus valorisées que le groupe MCH dans son entièreté… un fait impensable il y a trois ans. L’entreprise doit maintenant décider si elle veut redevenir un organisateur de foires marchandes en Suisse, avec quelques perles à l’étranger un peu comme elle l’était pendant un siècle, jusqu’en 2016 , ou si elle continue d’espérer devenir un groupe d’envergure internationale. Dans tous les cas, il est délicat de dire à ses investisseurs que son business model a atteint un plafond de verre et que l’on est à court d’idées… surtout si l’on est coté en Bourse. Cela ne pardonne pas. Pour l’instant, stopper toute velléité d’expansion et se séparer des événements non stratégiques, pour revenir à une structure légère, semble être la tactique adoptée se recentrer pour repenser. Mais il est malheureusement clair que le chemin du retour au succès pour MCH ressemblera moins à une belle Autobahn allemande qu’à la route de la mort bolivienne…